Il faut dire que le système de santé a été passablement malmené au Québec au cours des vingt dernières années. Mises à la retraite massives des infirmières sous le gouvernement Bouchard en 2000, compressions qui ont été poursuivies par le gouvernement libéral de Charest pendant 10 ans en plus de la restructuration du réseau de la santé. Le PQ en a rajouté une couche avec le retour au déficit zéro en 2013 et Barrette a achevé le malade avec d’autres compressions et une autre restructuration.
Le gouvernement Legault n’est pas en reste, en janvier 2015 alors que la CAQ était dans l’opposition Éric Caire soutenait que le gouvernement libéral avait toute la légitimité démocratique requise pour rééquilibrer les finances publiques et résister aux groupes de pression. Il estimait que l’austérité dénoncée à grands cris par les syndicats n’existe pas au Québec et qu’il s’agissait d’une « vue de l’esprit ».
Poursuivant cette logique il a refusé dans son dernier budget d’assurer de meilleurs ratios aux infirmières et infirmiers écrasés par la tâche. Legault affirmait en septembre dernier à l’approche des négociations avec les employés et employées du secteur public que les surplus budgétaires étaient pour la population et non pour les syndicats. Cela illustrait la façon pernicieuse dont il voulait utiliser le ressentiment de la population non syndiquée contre les coupures néolibérales, en les faisant passer sur le dos des travailleurs et travailleuses syndiquéEs qui s’accapareraient du magot au détriment de la population.
Cela a pris beaucoup de temps au gouvernement Legault pour réagir et mettre en place les premières mesures de riposte à la propagation du virus, accusant ainsi un retard qui a causé la propagation rapide du virus et placé le Québec au sommet des statistiques d’infection, retard qu’il est maintenant impossible à rattraper. Comme le souligne Pierre Dubuc dans l’Aut’Journal : comment le gouvernement Legault pouvait-il ignorer que les résidences pour aînés seraient durement touchées ? En Colombie-Britannique, dès le début du mois de mars le gouvernement a nationalisé le fonctionnement de toutes les résidences privées, uniformisé les conditions de travail de tous les employés et les a empêchés de se promener d’un centre à l’autre.
Les directives de l’OMS étaient pourtant très claires dès le début. Il fallait agir rapidement, tester le maximum de personnes et isoler les cas infectés ainsi que leurs contacts. Malgré cela, Legault a été parmi les premiers à enclencher le déconfinement, plus préoccupé par les impératifs économiques des entreprises que de la santé publique.
La direction de Québec Solidaire, exprimée par son aile parlementaire, est demeurée totalement muette jusqu’à maintenant en ce qui concerne ces enjeux aux conséquences dramatiques. Elle s’en est tenue tant dans les déclarations publiques que dans les formations de l’École buissonnière, à une approche programmatique et des positions de principe. On avance les idées de notre programme comme si on était dans une campagne électorale, mais on ne répond pas aux exigences de la politique actuelle. Ainsi on ne s’attaque pas à la réalité et on évite de prendre position sur les agissements du gouvernement et sur les politiques néolibérales qui en sont les causes.
De surcroît la perspective politique et environnementale proposée lors des formations se situait à plusieurs égards dans un cadre de concertation sociale et entrepreneurial. Lors d’une vidéoconférence, le représentant de la FTQ Patrick Rondeau s’exprimait ainsi : « La transition va demander de l’argent et il faut parler aux financiers, au Québec on a un historique de gouvernance comme celui sur la transition énergétique où le Conseil du patronat, les chercheurEs, les instances syndicales et groupes environnementaux travaillent ensemble. »
Dans une situation où le rapport de force sur le terrain est lourdement diminué à cause du confinement, il est primordial qu’à tout le moins nous soyons armés politiquement. Comment expliquer un tel comportement de la part de la direction de Québec solidaire ?
La stratégie mise avant tout sur la prise du pouvoir comme finalité et se base sur des objectifs électoraux. Elle ne se base pas sur la construction d’un rapport de force militant qui doit agir maintenant en démontrant la failles des politiques néolibérales et de la CAQ. Elle ne peut avoir comme conséquence que l’affaiblissement des forces sociales progressistes et ne tient pas compte non plus du rapport de force nécessaire à la construction d’un mouvement dynamique apte à réagir aux pressions et aux manipulations.
Il est faux de penser que la crise actuelle conduira à une redéfinition de la société où la meilleure idée gagnera, où la démocratisation et la socialisation s’imposeront en toute logique pour redessiner une société et une planète écoresponsables.
Ce monde doit changer de base et il est nécessaire d’y travailler maintenant. Il faut exiger la nationalisation des entreprises pharmaceutiques, de tout ce qui concerne le système de santé, prévoir des salaires décents et des conditions de travail appropriées. Il faut brasser la cage maintenant.
Dans son livre La stratégie du choc, Naomi Klein explique que les idées sont des solutions de rechange en attente d’une crise pour servir de catalyseur au changement. Mais ces changements ont été dans beaucoup de cas à l’initiative et à l’avantage des dominants. Thatcher l’avait démontré en utilisant la guerre des Malouines pour conserver le pouvoir et imposer son agenda antiouvrier. Les crises peuvent conduire à des catastrophes politiques et humaines si les forces de gauche et le mouvement ouvrier ne prennent pas le dessus en termes de contre discours et de leadership politique. La crise économique en Allemagne n’avait-elle pas engendré la montée du fascisme malgré la présence de partis de gauche puissants ?
La politique a horreur du vide. La crise économique qui suivra bientôt la pandémie imposera la loi des dominants si nous ne construisons pas notre rapport de force maintenant.
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