Faire des personnes migrantes, le bouc émissaire de tous les problèmes de la société québécoise, une démarche irresponsable
Le 5 novembre dernier, Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) publiait sur Twitter un texte intitulé : « Politiques complètement irresponsables en immigration : vers une crise sociale sans précédent ». Il reprochait au gouvernement Legault d’avoir trahi une promesse électorale en haussant le seuil de l’immigration permanente à plus de 64 000 personnes par année. Et il ajoutait : « Un regard lucide sur la situation sociale et économique qui découle de ces seuils d’immigration doit nous amener à conclure que nous construisons de toute pièce une crise sociale sans précédent. » Rappelant les stigmatisations de Legault sur la « louisianisation » du Québec qui nous guetterait en cas d’augmentation du seuil d’immigration, il écrit un brûlot qui fait de l’augmentation de ce seuil la source de tous les maux dont souffre la société québécoise.
PSPP rend les personnes migrantes responsables de la crise du logement
Pour PSPP la crise du logement s’explique aisément. Elle découle de la hausse des seuils et l’arrivée de migrants permanents et temporaires. Cette arrivée massive de migrant-e-s déséquilibre les rapports entre l’offre et la demande. Pour le chef péquiste, cette arrivée massive provoque non seulement la pénurie de logements et l’augmentation des loyers, mais est aussi responsable du développement de l’itinérance.
En fait, la crise du logement a des sources beaucoup plus profondes. Dans un texte sur la crise du logement au Québec, le FRAPRU, reprenant les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, nous rapporte que « dans 44 régions métropolitaines, villes et agglomérations du Québec (…) toutes sauf trois, avaient un taux d’inoccupation des logements locatifs sous le seuil d’équilibre, réputé être de 3 %. » [4]. Et quelle est la cause de cette pénurie ? « Le marché est comprimé par la financiarisation du logement ; on ne construit plus pour loger des gens, mais plutôt pour réaliser des profits juteux, le plus rapidement possible. Pour cela, les promoteurs immobiliers peuvent compter sur des fonds d’investissement disposés à leur confier des prêts risqués, contre un taux de rendement élevé. (… ) Dans ce marché agité, la situation des familles de locataires est particulièrement pénible. Elles peinent à trouver un logement accessible financièrement et suffisamment grand. » [5]
L’IRIS nous offre une analyse des fondements de la crise du logement [6] et l’analyse nous propose de nombreuses recommandations pour y faire face. Retenons simplement ceci de leur propos :
Enfin, s’il est souhaitable d’augmenter le stock de logements disponibles dans plusieurs localités du Québec, les gouvernements et les administrations municipales doivent soutenir en priorité la construction de logements hors du marché privé afin d’augmenter le nombre d’habitations à bas prix, qui a eu tendance à diminuer au pays dans la dernière décennie, et de prévenir de futures hausses. Cela signifie de miser sur le logement social et communautaire, qui regroupe notamment les habitations à loyer modique, les coopératives d’habitation et les organismes sans but lucratif . [7]
Se contenter d’additionner l’immigration permanente et temporaire et comparer le résultat au nombre de logements construits, comme le fait PSPP, laisse échapper totalement les fondements de la crise du logement. C’est une démarche démagogique qui stigmatise et détourne le regard des causes réelles des problèmes vécus par la majorité populaire au Québec.
PSPP dénonce l’accaparement par les migrant-e-s des ressources de nos services publics
Pour PSPP, la crise des services publics s’explique tout aussi aisément. Les ressources de l’école publique comme des services de santé servent à répondre aux demandes provoquées par la vague migratoire actuelle.
Depuis des décennies, les services publics (santé, éducation, fonction publique) subissent les assauts du néolibéralisme : coupes, compressions, hausse de tarifs et processus de privatisation rampant. « Le système de santé et les services sociaux sont à bout de souffle, étouffés par des années de compressions. Les réseaux de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, mais aussi des services à la petite enfance, doivent également remplir leur mission, mais avec de moins en moins de ressources pour y arriver. Les programmes sociaux ont eux aussi été sous-financés, ce qui a contribué à maintenir des centaines de milliers de personnes dans la pauvreté et à aggraver la crise du logement. » [8]
À l’heure où les travailleuses et les travailleurs du secteur public se battent pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, les difficultés des services publics ne peuvent pas être rejetées sur le dos des personnes migrantes. Ces employé-e-s savent trop bien que ce sont les politiques néolibérales qui sont les véritables responsables des difficultés des services publics. La population du Québec qui est bien consciente que ces travailleurs et travailleuses, et particulièrement des femmes racisées comme cela est devenu clair durant la pandémie de la Covid, soutiennent à bout de bras ces services et ne peuvent acheter la démagogie dont PSPP fait preuve.
Enfin, PSPP désigne les personnes migrantes comme les responsables du recul du français
… « Après des décennies et des décennies de travail, on est en train de défaire tout l’héritage des 40 dernières années en protection du français en accueillant un nombre d’allophones beaucoup plus élevé que notre capacité d’intégrer et de franciser. »(PSPP)
Avec sa recherche de boucs émissaires pour expliquer les problèmes sociaux, PSPP s’avère incapable d’identifier les réels fondements de la précarité du français au Québec.
Si la langue française est la langue de la majorité au Québec, elle reste la langue minoritaire au Canada et sur le reste du continent et elle est au Québec confrontée à l’hégémonie économique, politique et culturelle de l’anglais.
Cette politique hégémonique découle de la politique assimilationniste de l’État canadien qui a marginalisé l’usage du français tout au long de son histoire. De multiples lois ont suspendu le statut légal du français une province après l’autre (Manitoba, Saskatchewan, Ontario). Encore aujourd’hui, le français recule partout au Canada non à cause des immigrant-e-s, mais à cause du statut de langue dominante de l’anglais comme l’anglais des affaires, de l’emploi et des communications.
Au Québec , la langue anglaise reste la langue la plus attractive. Ottawa joue un rôle important à ce niveau. La politique du bilinguisme qui impose au Québec des institutions bilingues conforte ainsi la place subordonnée de la langue française. Cette politique représente un refus de reconnaître le français comme langue nationale du Québec et découle du refus d’une véritable reconnaissance de la réalité nationale du Québec.
Le français n’est pas la langue commune du travail dans les grandes entreprises dont les plus importantes sont pour la plupart gérées en anglais. Les personnes immigrantes comme les natives francophones, se voient exiger la connaissance de l’anglais pour trouver un emploi ou aspirer à une promotion. La maîtrise de l’anglais est de plus en plus souvent exigée pour avoir accès à un emploi ou pour obtenir une promotion, parfois même dans les institutions de l’État. En somme, la place du français au Québec reflète le statut de minorité nationale du Québec dans le Canada et trouve son fondement dans le contrôle de l’économie par les grandes banques et les grandes entreprises anglophones malgré le développement d’une bourgeoisie québécoise dans les dernières décennies.
De plus le gouvernement du Québec, sous la domination des libéraux, a favorisé l’usage de l’anglais dans ses rapports avec les minorités culturelles et avec les grandes entreprises. Il a également accordé des budgets insuffisants à la francisation des nouveaux arrivants. À ces facteurs, il faut ajouter que le poids de l’anglais au niveau culturel a été renforcé par l’importance des médias sociaux américains et canadiens dans les productions des biens culturels les plus consommés. Tous ces facteurs expliquent pourquoi l’anglais a non seulement conservé, mais renforcé son pouvoir d’attraction auprès de la quasi-totalité des nouveaux arrivants et auprès de la population francophone elle-même.
La lutte pour l’indépendance est partie prenante de la défense de la langue française. Tant que le Québec restera subordonné à l’État canadien, comme le propose le gouvernement Legault, tant que les grandes entreprises stratégiques resteront en dehors de l’État du Québec, les droits nationaux du Québec et le caractère du français comme langue commune de la société québécoise seront constamment remis en question. La volonté majoritaire de la population de vivre dans un Québec français sera constamment frustrée par les attaques de l’État fédéral et du grand capital anglophone qui ne renoncera pas à imposer sa domination sur le Québec. C’est pourquoi la défense de la langue française passera par l’indépendance du Québec. Et cette indépendance, ne sera possible que si elle repose sur la reconnaissance de la diversité de la population du Québec et non sur une politique de division qui stigmatise les personnes migrantes et les communautés culturelles comme une menace à la cohésion nationale comme le font les nationalistes étroits de la CAQ et du PQ.
PSPP défend sans vergogne la logique du bouc émissaire pour expliquer les problèmes de la société québécoise
La politique prônée par PSPP reprend la logique de la forteresse assiégée que les entrepreneurs identitaires et autres idéologues de la droite n’arrêtent pas de construire. Ils présentent l’immigration comme le bouc émissaire des problèmes que connaît la société québécoise. Pas étonnant que Mathieu Boch-Côté ait présenté le texte de PSPP comme un texte courageux et intelligent. [9] Présenter des personnes immigrantes, comme les porteuses d’une possible régression culturelle et en faire des boucs émissaires de nos différents problèmes sociaux, de la crise du logement au recul du français en passant par la détérioration des services sociaux, c’est précisément cela qui peut nourrir la montée de la droite extrême et préparer le terrain à de nouvelles perturbations sociales. C’est exactement ce type de discours qui nous empêchera de construire un bloc social nécessaire à une lutte victorieuse pour l’indépendance.
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