Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Option nationale et Québec solidaire, un débat décisif

Pourquoi les nationalistes n’aiment-ils pas les solidaires et réciproquement ? Leurs discours sont-ils apparemment ou fondamentalement incompatibles ? Les divergences stratégiques sont-elles dues à des différences idéologiques profondes ? Peut-on et doit-on modifier celles-ci pour créer une nouvelle force politique, un résultat dynamique issu de la conjonction de deux discours complémentaires sur l’avenir du Québec ? (...)

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Le mythe du LIT

La principale différence entre Option nationale et Québec solidaire, bien qu’elle soit en partie idéologique, est fondamentalement stratégique. Il est logiquement possible que les deux partis puissent soutenir des conceptions hétérogènes de l’indépendance (au niveau des raisons et justifications du projet, qu’elles soient économiques, politiques, sociales, culturelles), tout en cohabitant librement au sein d’une même organisation. Or, cela suppose de s’entendre sur les moyens de parvenir à l’indépendance (unité pratique, objective). La question pratique n’est donc pas de savoir pourquoi nous voulons faire l’indépendance (bien que celle-ci soit importante), mais comment nous devons la faire. Le pourquoi relève de l’éthique (le Bien), alors que le comment renvoie au politique (le Juste). Nous pouvons avoir un pluralisme raisonnable au niveau des diverses conceptions d’un Québec souverain, mais nous devons trouver un consensus sur la justice et l’efficacité du processus d’indépendance.

La stratégie d’Option nationale est simple, voire désarmante : prendre le pouvoir via les élections et décréter la souveraineté du Québec. Il s’agit de faire le LIT, soit de rapatrier les Lois, Impôts et Traités à l’Assemblée nationale. Or, le LIT n’est pas une stratégie, mais la simple description de la souveraineté d’un État. Cela peut sembler trivial, car les souverainistes s’accordent tous sur cette définition. Le LIT est une proposition analytique, du type « les célibataires sont des individus non-mariés », qui ne fait qu’expliciter ce qui est déjà contenu dans le concept de souveraineté.

Jean-Martin Aussant fait office de bon pédagogue, car l’explication conceptuelle de la souveraineté permet de désamorcer certaines confusions entourant ce projet. Mais il s’agit d’une conception abstraite de la souveraineté, qui suppose qu’une fois arrivé au pouvoir le parti élu aura toute la liberté et la légitimité de se réapproprier l’ensemble des compétences au niveau national. Cette affirmation hypothétique est-elle vérifiée dans les faits ?

D’une part, la stratégie gradualiste du Parti québécois est plus claire sur la question : celui-ci ira négocier progressivement certaines compétences avec le gouvernement fédéral, en espérant avoir une certaine écoute et une certaine légitimité découlant de son élection. Malheureusement, dans un contexte de gouvernement minoritaire, l’État fédéral ne voudra pas répondre sérieusement aux demandes du provincial, et la légitimité d’un tel processus sera même contestée à l’Assemblée nationale. La stratégie de négociation nécessite donc une majorité claire, et un rapport de force reposant sur des conjonctures économiques, sociales et politiques favorables, que ce soit à l’échelle internationale, fédérale, provinciale et locale. La recette est assez simple, mais les ingrédients pour la réussir sont rarement réunis. ON suppose donc une stratégie semblable au PQ, mais en plus musclée ; elle procède tout d’un coup, au lieu d’y aller par étapes. Voilà pourquoi les caribous y trouvent leur compte. Malheureusement, cette stratégie souverainiste dépend du processus d’élection, et donc de l’électorat, du mode de scrutin et d’autres contraintes reliées à la démocratie représentative.

Par ailleurs, comme ON veut écrire une Constitution seulement après que le processus souverainiste ait été amorcé par l’État, il voit celle-ci comme le résultat ou l’officialisation d’un processus essentiellement technique et administratif. Les institutions seraient principalement transformées par les élites (politiciens, experts constitutionnels, appuyés par une consultation publique imprécise), le peuple servant uniquement à élire et entériner un processus fait essentiellement par le haut (approche top-down). Aucune mention n’est faite sur les autochtones et leur droit à l’autodétermination (que le peuple québécois réclame par ailleurs), comme si l’unité nationale était un fait évident, ne nécessitant aucune réflexion ni construction. Le parlementarisme est donc considéré comme la seule voie du salut national.

Malheureusement, l’efficacité de la stratégie représentative est incertaine, car elle repose essentiellement sur l’électorat, qui doit se prononcer majoritairement en sa faveur avant le début du processus (celui-ci n’étant pas assuré de fonctionner). Il s’agit en quelque sorte d’un référendum renversé, où l’élection tient lieu de référendum exécutoire sur la souveraineté, au lieu de procéder en deux étapes (la prise de pouvoir d’abord, puis un référendum par la suite). Ce raccourci est intéressant, mais il est contraint par la légitimité de cette procédure. Par exemple, si ON obtenait 66 sièges à l’Assemblée nationale, avec un taux moyennement élevé d’abstention, il pourrait former un gouvernement majoritaire avec seulement 24% des électeurs qui auraient voté en sa faveur (ce scénario ressemble à celui du dernier gouvernement libéral). Logiquement, ON devrait immédiatement amorcer le processus souverainiste, même si seulement un quart de la population avait voté pour ce projet !

C’est bien la conclusion étrange à laquelle est confrontée Option nationale. Comme l’efficacité démocratique dépend avant tout de la légitimité, le gouvernement canadien aurait de bonnes raisons de refuser de redonner des pouvoirs à l’Assemblée nationale, le projet souverainiste ayant obtenu un faible pourcentage de participation. Le fédéral pourrait simplement dire que le mandat n’est pas suffisamment clair ou légitime, de sorte qu’ON serait obligé de faire un référendum sur la question ; il opterait alors pour la stratégie péquiste. De plus, rien ne prouve que les conjonctures économico-politiques seraient favorables à l’appropriation totale des compétences au niveau national, de sorte qu’ON devrait inévitablement négocier, un à un, les différents pouvoirs et composantes du LIT. Finalement, sa stratégie est fondamentalement semblable à celle du PQ, mais en plus précipitée. Comme elle dépend largement du système représentatif, ON serait poussé à faire des compromis, négocier des ententes entre la gauche et la droite, et se soumettre aux caprices des électeurs pour tenter de prendre le pouvoir à tout prix. Ainsi sonne l’échec de la simplicité apparente de la stratégie représentative.

L’indépendance participative

Le fait que Québec solidaire veuille « discuter du caillou » peut sembler anodin, et l’Assemblée constituante peut représenter pour certains un obstacle important à la souveraineté du Québec. Mais derrière la complexité apparente de ce processus, se cache la simplicité réelle de cette stratégie. Si la souveraineté dépend avant tout de la volonté commune d’avoir un pays, aussi bien faire participer l’ensemble de la population à la constitution de celui-ci. Au lieu de voter pour une réforme institutionnelle aux conséquences incertaines, c’est-à-dire un Oui ou un Non sans contenu précis, ne serait-il pas mieux de contribuer activement et collectivement à l’élaboration de la question nationale et de la forme qui sera donnée au projet ? Le Oui du référendum qui entérinerait la Constitution ne découlerait-il pas naturellement d’un processus d’autoformation de la volonté générale ? Il serait étrange qu’une société vote contre un projet qu’elle aurait elle-même construit !

La longueur relative de cette stratégie (moins de deux ans) n’est pas un argument suffisant pour réfuter son efficacité. Par exemple, en mobilisant différents acteurs, milieux et régions du Québec, n’allons-nous pas motiver davantage les gens, de sorte qu’ils pourront voter pour un projet qu’ils auront eux-mêmes dessiné ? Une délibération publique, où se dérouleraient des discussions informelles, débats, assemblées populaires de quartier, élaborations de consensus, contestations sociales de toutes sortes, ne pourrait-elle pas enrichir la Constitution et donner une image plus fidèle de la société québécoise ? Doit-on obligatoirement passer par une élite qui forgerait le moule de la société future d’après sa propre image, en refusant au peuple l’accomplissement de sa tâche essentielle, soit la souveraineté, c’est-à-dire la possibilité de décider librement et collectivement de son avenir ? La souveraineté populaire se résume-t-elle à un vote passif extraordinaire, ou existe-t-elle par une participation citoyenne continue ? Doit-on privilégier une approche unanimiste entre caribous qui cherchent à prendre le pouvoir (avant-garde), ou laisser une population plurielle décider par elle-même les contours de son projet collectif ?

Par ailleurs, certains membres d’ON craignent que les fédéralistes fassent partie de l’Assemblée constituante et réduisent par le fait même sa portée. Par ailleurs, ils reprochent à QS de lier organiquement l’indépendance et la gauche, alors qu’il faudrait rallier les souverainistes de toutes allégeances. Or, l’incohérence est plutôt du côté d’ON, qui refuse de rallier les québécois(es) de toutes allégeances pour réserver l’indépendance aux purs et durs, en faisant abstraction des conflits réels qui animent la société québécoise. Les citoyennes et les citoyens de l’Assemblée constituante proviendront de nombreux milieux, de sorte que les politiques de gauche ne seront pas intrinsèquement liées au contenu de la Constitution, mais à la forme démocratique de ce processus (souveraineté populaire et participative, plutôt que nationale et représentative).

Cette question, bien qu’elle semble rhétorique, renferme une divergence stratégique profonde : pour motiver le peuple, il faut le rendre capable d’indépendance, et pour ce faire, il devra participer à son processus d’autoconstitution, dont la légitimité constitutionnelle émergera naturellement, ce qui contribuera à assurer l’efficacité de la réappropriation collective des moyens politiques et économiques du Québec. Il est peu probable que le peuple soit prêt à défendre coûte que coûte des réformes menées par quelques élites, aussi louables soient-elles ; mais il serait probablement plus intéressé à défendre son autonomie collective, surtout si celle-ci exprime l’identité qu’il aura lui-même forgée.

Dans un scénario où le gouvernement canadien refuserait de reconnaître juridiquement la souveraineté du peuple québécois, une grande résistance serait plus probable de survenir après la tenue d’une Assemblée constituante, car ça ne serait pas une simple décision politique qui serait niée, mais bien une identité collective fraîchement créée. Même s’il s’agit de spéculations, celles-ci permettent d’envisager la forme que prendrait la révolution politique du Québec en cas de refus, voire la révolution sociale amorcée par le processus d’émancipation collective pouvant résulter de l’Assemblée constituante. Ce ne sont que des hypothèses, des probabilités éventuelles de cette stratégie, qui est d’ailleurs beaucoup plus stimulante qu’un vote électoral où le mandat de la souveraineté serait confié à quelques députés.

Enfin, l’indépendance formelle du Québec (souveraineté nationale de l’État québécois), ne sera jamais aussi forte que l’indépendance réelle de la société (souveraineté du peuple québécois). Si nous ne nous dotons pas d’une Constitution permettant d’y insérer les principes fondamentaux d’une future République sociale et écologique (égalité hommes/femmes, mais aussi les droits de la Terre Mère, droit à un revenu de citoyenneté, etc.), nous resterons largement esclaves de la société actuelle, du gouvernement représentatif et du système capitaliste. Pourquoi changer la carrosserie du Québec si le même moteur désuet reste inchangé ?

Évidemment, l’hypothétique République du Québec reste une utopie, qui pourra néanmoins émerger du débat concernant la forme de la société future. Pourquoi privilégier la conception abstraite de l’indépendance (LIT) et concevoir la Constitution comme un accessoire, alors que celle-ci représente le cœur d’un nouveau Québec qui se réalisera par la souveraineté populaire ? La participation démocratique n’est pas anodine, car elle représente l’exercice déjà efficient d’une indépendance en marche. L’indépendance n’est pas une chose (le Grand Soir du référendum), mais un processus créatif et complexe qui rencontrera des obstacles, des opportunités, mais surtout de la nouveauté.

À la lumière de ces réflexions, la stratégie représentative apparaît comme étant moins simple que simpliste. À l’inverse, la stratégie participative pourrait déboucher sur plusieurs avenues hautes en couleur. La voie représentative ne donne pas plus de garanties que la stratégie participative, mais apporte un certain confort à ceux qui voudrait que la souveraineté se produise doucement par les urnes. La seconde stratégie relève des urnes et de la rue, l’urne n’étant qu’un moment d’un grand processus qui se déroulerait essentiellement par la délibération, la contestation et l’élaboration discursive au sein de l’espace public. Elle combine la stratégie représentative mais ne se limite pas à elle, de sorte qu’elle prend tous les outils disponibles pour réaliser la souveraineté du Québec. Si ON s’attache exclusivement au pouvoir de l’État, QS reconnaît l’importance de la participation active de la société civile ; l’État ne peut être que le parent qui regarde son adolescent devenir adulte. La première voie est autoritaire et électoraliste ; la seconde est anti-autoritaire et délibérative. L’indépendance participative reconnaît une légitimité réelle à la population, et ne fait que la supporter dans son processus d’auto-émancipation collective.

(tiré du texte Alliance socialiste et indépendantiste, de Jonathan Durand Folco, publié en 4 quatre parties, sur le site Politicogloble)

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