Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

10 ans de QS

Opter plutôt pour un tournant vers les mouvements sociaux

En contrepoint à la proposition de Simon Tremblay Pépin d’un « parti hybride, à la fois parti politique et mouvement social »

Les 10 ans d’anniversaire de Qs ont au moins cela de bon de pousser les uns et les autres à s’interroger sur le chemin parcouru au Québec par ce parti de gauche, mais aussi à réfléchir sur son avenir et ses chances de développement dans les années qui viennent. Au point d’ailleurs qu’est en train de prendre forme un véritable remue-méninges partidaire des plus stimulants.

Et tel pourrait être l’intérêt de l’article de Simon Tremblay-Pépin publié initialement dans le numéro 15 des NCS (Vers un parti hybride) : aider à nous questionner non seulement sur le parti que nous rêvions lors de sa création en 2006, mais aussi et surtout sur le parti que nous voulons pour l’avenir.

En effet pour Simon Tremblay-Pépin, « le parti processus » qu’est QS, devrait cesser d’être le « parti des urnes et de la rue » qu’il a essayé d’être depuis sa naissance pour se muer en un « parti hybride, à la fois parti politique et mouvement social ». Manière de passer selon lui à « une nouvelle étape de son développement », et de sortir du rôle par trop « flou » qui était le sien jusqu’à présent pour redevenir un parti capable d’occuper son temps « à agir politiquement » plus qu’à « administrer le parti » ou à discuter de ses positions.

Pour y parvenir, Qs devrait cependant passer par trois transformations : 1) faire des gains autres qu’électoraux en faisant avancer la société par la mobilisation sociale (par exemple autour de la question du salaire minimum ou de la violence faite aux femmes, etc.) ; 2) canaliser l’énergie des associations locales sur l’action politique ; 3) recentrer le message porté dans l’espace public.

En fait Simon Tremblay Pépin cherche à résoudre des problèmes tout à fait réels et qui touchent en particulier à la stratégie de construction du parti, c’est-à-dire à la meilleure façon de faire croitre son influence dans l’ensemble de la société. Mais s’il met bien le doigt sur quelques-uns des travers actuels du parti, les propositions de solution qu’il met de l’avant, aussi attrayantes qu’elles puissent apparaître, restent –en les regardant de près— passablement inopérantes voire tout simplement beaucoup trop vagues et générales. Et cela, même s’il souligne avec beaucoup de justesse à la fin de son texte qu’il faut être capable de « recentrer le message », en étant « clair et marqué à gauche », ainsi qu’en éliminant –comme le firent chacun à leur manière Corbyn en Grande Bretagne et Sanders aux USA— « toute possibilité d’alliance avec le centre ou la droite ».

Une proposition essentiellement formelle

En effet, l’idée centrale qu’il avance dans son texte renvoie à l’option de s’orienter vers un « parti hybride, mi parti politique, mi mouvement social » qui aurait pour objectif de remettre l’action politique (prise au sens large, et pas seulement parlementaire) au centre des préoccupations premières de QS, de manière à « faire avancer la mobilisation sociale » autour de « gains concrets ».

Mais si cette volonté est des plus louables dans la mesure où elle touche du doigt une des faiblesses évidentes de QS (sa difficulté à être un parti d’action autre que parlementaire et électoraliste), on peut cependant se demander si elle va au fond des choses. Car elle ne touche en rien au contenu même de cette action politique qu’on voudrait privilégier. En fait elle ne représente qu’une solution formelle à un problème qui lui, est pourtant de fond : comment, dans le contexte de déploiement néolibéral grandissant que nous connaissons au Québec, serait-il possible de de faire avancer la mobilisation sociale ? Certes en choisissant de travailler prioritairement à la mobilisation sociale sur telle ou telle question ad hoc, on fait un pas dans la bonne direction, mais seulement un pas, car rien d’essentiel n’est pour autant réglé. À commencer par l’orientation politique que l’on décide de privilégier très concrètement ! À ce niveau la proximité que nous avons avec les divers mouvements sociaux reste à l’heure qu’il est tout à fait « élastique » et « floue » : elle dépend bien sûr de la présence nombreuse et variée des militantEs de Qs –et cela est loin d’être négligeable— mais cette présence est d’abord le fait d’une approche individuelle ; elle n’est aucunement pensée de manière collective, en fonction même des projets du parti.

L’exemple éclairant du Front commun 2015/2016

Par exemple comment aujourd’hui mener une lutte victorieuse ou faire des gains en pleine montée néolibérale et sur la base de rapports de forces sociopolitiques éminemment défavorables, alors qu’une bonne partie des directions des organisations sociales ou syndicats tendent à privilégier des orientations politiques de prudence frileuse et d’immobilisme, quand ce n’est pas de concertation sociale, voire de collaboration ouverte avec le gouvernement, fut-il l’actif promoteur d’une austérité anti-populaire ?

Il suffit à ce propos de penser à la lutte du front commun 2015/2016 et aux problèmes qu’elle a pu poser aux membres de QS qui étaient salariés dans la fonction publique et membres actifs de leurs syndicats. Que devaient-ils faire ? Se rendre aux raisonnements et décisions –abruptes et non validées démocratiquement— des directions du FC, et cela pour ne pas faire de vagues et ne pas déranger ? Ou au contraire tenter de faire entendre une autre voix, et pour cela de tenter de construire un courant oppositionnel qui leur aurait permis de peser, ne serait-ce que minimalement sur les décisions prises d’en haut [1] ?

On n’en sort pas, on se voit obligés –vaille que vaille— de revenir aux acquis d’une certaine tradition politique, justement celle qui n’a cessé, à QS, de militer pour l’idée « d’un parti qui soit autant des urnes que de la rue », c’est-à-dire d’un parti qui ne s’implique pas que sur la scène électorale, mais cherche en même temps à se développer en lien avec les mouvements sociaux et leurs luttes, en leur apportant au passage cette dimension politique qui les renforcera d’autant et leur permettra de perdurer et de croître, en faisant des gains plus durables et en replaçant leur lutte dans une perspective d’ensemble. Et cela, à travers une collaboration et une coordination chaque fois plus étroite des efforts des uns et des autres, ouvrant la possibilité à termes de faire surgir un véritable pouvoir « contre-hégémonique » susceptible de tenir tête aux forces pourtant « si hégémoniques » aujourd’hui du néolibéralisme. [2]

Penser le tournant vers les mouvements sociaux

Contrairement à ce que dit Simon Tremblay Pépin, on peut très bien se revendiquer de l’idée du parti des urnes et de la rue sans pour autant être redevable des dérives autoritaires et étouffantes des groupes maoïstes d’obédience stalinienne des années 70 (un traumatisme dont il est temps de revenir !). Et on peut le faire en cherchant à faire naître et soutenir –au fil d’authentiques pratiques démocratiques— des mouvements sociaux qui échapperaient ainsi à l’emprise de certaines orientations politiques de droite ou centristes (pour reprendre le vocabulaire de Simon Tremblay Pépin) ; orientations qui à l’heure actuelle paralysent toute possibilité de gains ou de victoires, notamment contre l’austérité ou le tout au pétrole. Mais cela veut dire –contrairement à la proposition 2 de Simon Tremblay Pépin— qu’il faut penser l’organisation du parti, non seulement à partir des comtés ou des circonscriptions (fussent-elles réorientées vers l’action !), mais aussi à partir de l’insertion de QS dans les divers mouvements sociaux (étudiant, syndical, femmes, communautaire, écologiste, etc.). Et cela pas pour « comploter » ou « téléguider » qui que ce soit, ou encore « faire de l’entrisme », mais pour jeter les bases d’un camp, ou mieux dit d’un réseau d’alliances tissé plus serrées avec nos alliés naturels ; réseau à partir duquel on accumule des forces de manière à être en meilleure position pour par la suite rejoindre des secteurs plus larges de la société.

En ce sens ce tournant vers les mouvements sociaux ne réglera pas tout, loin de là. S’il est loin d’être une condition suffisante, il est cependant une condition nécessaire qui permettra à QS de se trouver dans une position infiniment plus assurée pour partir après –si l’on peut dire— à l’assaut de la société entière. À la manière d’une sorte d’indispensable préalable !


[1On pourrait faire le même raisonnement avec les interventions des militantEs de QS lors du printemps 2012. S’ils étaient nombreux dans les manifestations ou à l’ASSE, s’ils étaient au coeur des manifestations des casseroles, ils l’étaient à titre individuel, sur une base personnelle et non pas comme expression et relais d’une réflexion/intervention collective. C’est sans doute la raison pour laquelle jamais QS n’a fait son propre bilan collectif —ne serait-ce qu’à travers une brochure— des forces comme des faiblesses de ce printemps érable ainsi que des avenues qui lui auraient permis d’aller plus loin.

[2C’est là toute la difficulté de "penser le parti au-delà du parti" ; du point de vue des militants du parti qui doivent réaliser toute l’importance de travailler en synthonie avec les mouvements sociaux ; mais aussi du point de vue des militants des mouvements sociaux qui doivent saisir toute l’importance que peut revêtir un parti qui prend ouvertement parti, dans le champ du politique,pour leur cause.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

Messages

  • Cette approche proposée par Pierre Mouterde, si classique soit-elle, me semble essentielle. Pour que "la rue" arrive au pouvoir, QS doit être au coeur des enjeux de la rue ! Et QS doit y être non comme un mirroir, mais comme un courant structuré, agissant et porteur de solutions que ses militant.es, de façon concertée, savent proposer et défendre au sein des congrès, des assemblées, les lignes de piquettage et les manifestations.

    L’action de la rue devient politique et efficace quand elle est planifiée et coordonnée. Par exemple, dès les débuts de l’année 2015 on connaissait le programme d’austérité mis en place par le gouvernement libéral et on savait que la droite était déterminée à briser la résistance syndicale et à continuer à imposer des coupures dans les programmes sociaux. Pour autant, QS a-t-il préparé un plan de résistance ? Est-ce que QS a su mobiliser ses membres et les sympathisant.es dans une direction commune, en contre-offensive, pour appuyer les syndicalistes progressites, les militant.es solidaires et socialistes dans les instances centrales, les fédérations, les syndicats locaux et fondamentalement dans les assemblées et les lignes de piquettage ?

    Au niveau électoral, QS compte sur un appui qui varie autour de 10% et qui s’élève parfois jusqu’à 16%.... et ce en raison de la cohérence dans les idées que ses député.es vedettes véhiculent et aussi en raison de l’image d’intégrité que ce petit parti projette. Or, il semblerait que les militant.es de QS ne se rendent pas compte que ce pourcentage de sympathie est énorme et qu’il représente un potentiel jamais atteint pour la gauche au Québec. Il est temps que QS cesse de se voir petit, demeurant à la remorque des évènements pour réagir après-coup !

    Avec justesse Pierre Mouterde insiste : "’il faut penser l’organisation du parti, non seulement à partir des comtés ou des circonscriptions (fussent-elles réorientées vers l’action !), mais aussi à partir de l’insertion de QS dans les divers mouvements sociaux (étudiant, syndical, femmes, communautaire, écologiste, etc.). Et cela (non) pas pour « comploter » ou « téléguider » qui que ce soit, ou encore « faire de l’entrisme », mais pour jeter les bases d’un camp, ou mieux dit d’un réseau d’alliances tissé plus serrées avec nos alliés naturels ; réseau à partir duquel on accumule des forces de manière à être en meilleure position pour par la suite rejoindre des secteurs plus larges de la société."

    Cela implique donc que QS doit prévoir, mobiliser ses membres, ses sympathysant.es et électeurs dans des campagnes politiques précises et/ou des revendications sociales fondamentales pour contrer les politiques d’austérité et la privatisation des services sociaux (santé, éducation).

    Jean-Jacques Roy

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