Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Nos amis américains

En route vers le Forum social mondial

On le sait, l’Empire américain est en déclin. C’est un déclin prolongé, qui a probablement commencé il y s 40 ans, et qui va s’éterniser encore plusieurs décennies. Les Empires, dans le passé, sont nés, ont atteint un sommet, puis ont commencé à dégringoler et à la fin, d’autres Empires ont pris leur place. C’est à peu près comme cela que ça se passe. Certes, l’histoire ne se répète jamais de la même manière. Il y a des « accidents », des évènements imprévisibles, des forces qu’on ne soupçonnait pas l’importance et qui surgissent.

Ainsi après sa victoire sur la France, l’Angleterre au 19ième siècle semblait partie pour la gloire. On disait de son empire que le soleil ne s’y couchait jamais, de Calcutta en passant par Le Caire jusqu’au Cap et Montréal ! Les armées impériales étaient capables de briser toutes les résistances, comme celles des Patriotes de la Vallée du Saint-Laurent en 1837-38. L’économie britannique trônait en haut. Dans le monde, on regardait et on imaginait l’Angleterre comme une sorte de terre promise, en oubliant la misère noire dans les taudis de Londres et les atrocités commises par l’armée coloniale aux quatre coins de la planète. Vers le début du vingtième siècle cependant, les failles sont apparues. Des révoltes qu’on pensait écrasées se sont manifestées, comme en Chine, où les Anglais voulaient imposer à ce grand pays d’acheter de l’opium ! Oui, vous avez bien lu ! Un peu comme si les Hells Angels envahissaient le Japon et l’obligeaient à libéraliser la cocaïne ! 

Plus proche du centre impérial, les ouvriers anglais et irlandais en avaient marre et ont obligé l’État à concéder de coûteuses compensations, ce faisant, rendant l’industrie moins compétitive. Et aussi, sont apparus de sérieux concurrents, comme l’Allemagne, le Japon et les États-Unis. Quelques années plus tard, l’Angleterre entrait dans un irrésistible déclin qui l’a ainsi relégué, sur une période prolongée, au rang d’une puissance très secondaire, appauvrie, rescapée en fin de compte par les États-Unis qui ont transformé le capitalisme anglais en un immense complexe financier.

À plusieurs égards, cela nous fait penser à la superpuissance d’aujourd’hui. Elle a subi de durs échecs dans ses opérations impérialistes : Cuba, Vietnam, Irak, Afghanistan, et ailleurs, ce qui a coûté des milliards. Pendant ce temps, l’économie américaine bât de l’aile, au point où plusieurs multinationales américaines font maintenant leur beurre en dehors des États-Unis. Certes dans les secteurs de pointe comme l’informatique et le spatial, les États-Unis demeurent en avance, mais l’écart se rétrécit avec l’Europe et la Chine. Il reste aux États-Unis deux immenses avantages. Il y a d’abord le système financier mondial, encore dominé par Wall Street, qui s’impose entre autre par la suprématie du dollar américain presque partout et qui est relayé par les institutions du capitalisme globalisé comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’Organisation internationale du commerce.

Deuxième avantage, bien que vacillant, le dispositif militaire américain continue de dominer. À l’échelle mondiale, les États-Unis dépensent davantage pour leurs gadgets et leurs armées que tous les autres pays réunis, y compris la Russie et la Chine. Ils déploient plus de 500 000 soldats dans leurs bases à l’étranger et ils ont indéniablement encore l’avance dans les armes de destruction massive (nucléaire, spatial, missiles de longue portée, porte-avions, etc.). Encore là, les compétiteurs espèrent les rattraper, mais cela ne sera probablement pas avant 20 ou 30 ans. En clair et en concret, les États-Unis peuvent conquérir, piller, intimider presque tout le monde.

Maintenant qu’est-ce qui se passe à l’intérieur ? Dans un sens, la campagne électorale actuelle, documentée de semaine en semaine par Donald Cuccioletta, est un révélateur : chaos, pertes de sens, luttes féroces, confusion. La scène politique est dominée par un duel entre la droite et l’ultra droite avec l’exception imprévue de Bernard Sanders. La légitimité des uns et des autres est très basse. La faible participation citoyenne démontre le peu de respect de la majorité des citoyens à l’égard des institutions. De cela découlent de nombreux symptômes : corruption systématique du système politique, éclosion de « pathologies » sous formes de sectes, de milices armées, voir tout simplement, de fous furieux armés. À une échelle plus « normale », c’est la course effrénée des couches populaires et moyennes pour joindre les deux bouts, payer l’hypothèque, envoyer les enfants à l’université, se payer une assurance-maladie privée qui a un peu d’allure. Les « working poor » sont des dizaines de millions, sans compter la masse des déshérités, mal-logés et mal-nourris, qui dépendent des « food stamps » pour ne pas tomber d’inanition.

Si vous ne me croyez pas, allez y voir, en dehors des périmètres habituels qu’on observe quand on est touristes là-bas (centre-ville de New York et de Boston, les plages de la Nouvelle Angleterre ou de Floride, etc.). Allez à Détroit, à Atlanta et même à Los Angeles et à Chicago, et vous verrez ce que cela veut dire, surtout si on est Africains-américains ou latinos.

Ceux et celles qui connaissent l’histoire des États-Unis, à commencer par les Américains eux-mêmes, vous diront que ce pays a été marqué au fer rouge de l’oppression, des massacres et des génocides. Et que malgré tout, il y a toujours eu des gens qui ont résisté et qui ont survécu. Effectivement, les États-Unis sont également le pays des luttes épiques, des innovations organisationnelles, d’une créativité débordante pour renforcer et faire sortir la voix du peuple. Les luttes des esclaves sans compter le grand mouvement pour les droits civiques (années 1960), les mobilisations contre la guerre au Vietnam, le courage des syndicats et du mouvement féministe, sont des jalons extraordinaires que raconte si bien le grand historien Howard Zinn (« L’histoire populaire des États-Unis » publiée en français par Lux).

Et ça continue en 2016 avec les enseignants de Chicago, les (343) les manifs des employés des fast food en Californie, les grèves dures dans les mines et les manufactures un peu partout, la résistance contre la violence policière du mouvement Black-Lives-Matter, etc.. En 2010, des dizaines de milliers ont participé au mouvement Occupy. Cette explosion a été de courte durée, mais la résonnance du discours a été extrêmement forte. Par exemple, le 1 % versus le 99 % fait maintenant partie de l’imaginaire états-unien.

Un des défis de ces mouvements et luttes est de surmonter l’éparpillement. La culture politique des États-Unis est fragmentée entre États, régions et sous-régions, villes et banlieues, rural/urbain, etc. Il est rare qu’un projet réellement « national » prenne forme, comme cela a été le cas, par exemple, avec le « New Deal » mis de l’avant par les syndicats et le Parti Démocrate dans les années 1940. Le fait est qu’aujourd’hui, il y a comme une convergence qui se crée autour de Sanders. Cela reste à voir si cela va continuer après la désignation du candidat démocrate (lors de la convention démocrate en juillet prochain), mais il y a des signaux que cela pourrait arriver, peut-être même pour penser un nouveau projet politique en dehors des deux grands partis actuels.

Pour connaître ce mouvement, nous aurons la chance, cet été au FSM, de rencontrer et de discuter avec des camarades états-uniens. Les NCS (dont le programme est maintenant en ligne : cahiersdusociaisme.org), en invitent plusieurs dont Kashama Sawant la conseillère municipale socialiste de Seattle qui fait beaucoup de vagues, Bhaskar Sunkar, le directeur d’une des principales revues de gauche (Jacobin), l’éminent sociologue Immanuel Wallerstein, Michael Léon Guerrero, l’animateur du Global Justice Network (l’équivalent de notre coalition Mains Rouges), Medea Benjamin (animatrice du mouvement anti-guerre) et plusieurs autres.

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