Édition du 17 décembre 2024

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Nicaragua : un régime qui s'enfonce dans la dictature

Co-fondateur des Études Nord-Sud du Collège Dawson, qui comporte un stage annuel au Nicaragua, Ovide Bastien a publié un livre récemment sur la crise au Nicaragua : Racines de la crise : Nicaragua 2018. Pour les versions anglaise et espagnole de ce livre, et les autres livres publiés par l’auteur, allez ici.

De jour en jour le régime Ortega-Murillo s’enfonce dans la dictature, se fragilisant de plus en plus et s’isolant sur le plan international.

Le soulèvement populaire massif de la mi-avril 2018, brutalement réprimé par la police et les paramilitaires pro-Ortega, a fait 325 morts, 2 000 blessés, 500 prisonniers politiques, et 60 000 réfugiés au Costa Rica. Si le régime, par son opération ’Limpieza’ de la mi-juillet, a réussi à démanteler les barricades érigées dans la plupart des villes, le contrôle qu’il exerce sur le cœur du peuple ne repose que sur la peur et la répression, ainsi que sur une propagande dans les médias dont il détient le monopole.

Le gouvernement a congédié des centaines d’employés du secteur public - médecins, infirmières, et professeurs jugés infidèles parce qu’ils avaient appuyé les manifestants -, déclaré illégale toute manifestation, et, ces dernières semaines, annulé le statut juridique de neuf ONG et tenté de réduire au silence tous les médias indépendants.

À la mi-décembre 2018, la police anti-émeute envahit les bureaux où le célèbre journaliste, Carlos Fernando Chamorro - c’est lui qui a dirigé le journal du gouvernement sandiniste révolutionnaire, Barricada, dans les années 80 - produit sa revue numérique Confidencial ainsi que ses très populaires émissions de télévision, Esta Noche et Esta Semana. Quelques jours plus tard, la police ferme le poste de télévision 100% Noticias et emprisonne les deux animateurs vedette de ce poste, Miguel Mora et Lucía Pineda Ubau.

Le 7 janvier 2019 quatre patrouilles de police font une descente dans la maison de Dora María Téllez, ex-leader historique de la révolution sandiniste - c’est sous son leadership que s’est libéré León, la première ville à se libérer de Somoza en 1979 - et actuelle dirigeante du parti politique Mouvement de rénovation sandiniste (MRS).

Au cours du soulèvement populaire, des centaines de policiers choisissent de déserter, au lieu de participer dans la répression de leurs frères et sœurs nicaraguayens. À la mi-octobre 2018, Mikel Espinoza, rédacteur en chef du journal numérique du gouvernement El 19 Digital, en a ras-le-bol et quitte sa fonction, se réfugiant au Costa Rica. Pour lui, la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la mort tragique d’une famille au complet, dont deux enfants, dans un incendie provoqué par les forces paramilitaires pro-Ortega. Mikel fait partie d’une cinquantaine de journalistes qui se sont vus obligés de quitter le Nicaragua.

La désertion de loin la plus pénible pour le régime Ortega-Murillo, cependant, est celle, toute récente, de l’un de ses plus proches alliés, Rafael Solis.

Solis a joué un rôle clé pour le couple, et ce depuis plusieurs années : c’est lui qui en 1999 aide Ortega à concocter un pacte avec l’ex-président, Arnoldo Alemán, ce qui permet aux deux d’échapper à des poursuites pénales, Ortega pour avoir abusé sexuellement Zoilamérica, sa belle-fille adolescente, et Alemán pour avoir empoché une partie substantielle de l’aide internationale suite à l’ouragan Mitch de 1998 ; c’est lui qui est garçon d’honneur au mariage Ortega-Murillo en 2005 ; et c’est encore lui qui manigance les choses afin qu’Ortega puisse se représenter aux élections de 2016, même si la constitution ne le permet pas.

Le 8 janvier 2019, ce très proche allié du couple présidentiel se rend au Costa Rica et publie une lettre annonçant sa démission de la Cours suprême de justice du Nicaragua ainsi que du FSLN dans lequel il milite depuis plus de 43 ans. Les raisons qu’il donne pour expliquer son geste sont cinglantes : Le récit de Daniel de Ortega et Murillo selon lequel le soulèvement populaire d’avril 2018 reflète une tentative de coup d’État, orchestrée et financée par la droite nicaraguayenne avec l’appui financier et médiatique des États-Unis, est faux. Ce couple porte la responsabilité de la plupart des morts, blessés et prisonniers politique, et de la chute libre dans laquelle se trouve présentement l’économie nicaraguayenne. Il se comporte comme dans une monarchie absolue, contrôlant toutes les institutions de l’État, y inclus le pouvoir judiciaire et même la Cour suprême de justice. En s’obstinant à rester au pouvoir par la répression, en réduisant les médias indépendants au silence, en refusant le Dialogue National sous la médiation de l’Église catholique appuyé par la grande majorité des Nicaraguayens, il sème les graines d’une possible guerre civile.

Survenant trois jours avant la session convoquée par l’OEA pour discuter de la situation nicaraguayenne, la démission de Solis sape la crédibilité du ministre des Affaires étrangères du Nicaragua, Denis Moncada, lorsque ce dernier affirme, dans un discours de 40 minutes, que le Nicaragua a été victime d’une tentative de coup d’État. Son silence par rapport à l’Affaire Solis en dit beaucoup plus que ses paroles.

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