Cette offre « non écrite » comporte deux composantes : d’abord une entente portant sur les sujets relevant de la table centrale (salaire, retraite, congés parentaux, etc.) ; ensuite, pour ce qui est des enjeux discutés aux tables dites sectorielles, les négociations seraient soumises à des comités paritaires qui négocieraient à l’intérieur d’une enveloppe fermée et ce pendant la durée de la convention collective de trois ans. Cette manière de procéder, « discuter des salaires maintenant et reporter à plus tard les négociations sur les conditions de travail, la retraite et les droits parentaux en mettant sur pied des comités paritaires dont les travaux pourraient prendre plusieurs mois avant d’aboutir » ne suscite pas, pour le moment, l’adhésion des organisations syndicales. Mentionnons aussi que ce soit sur la question de la rémunération ou des forums à mettre en place pour discuter d’enjeux spécifiques à certains secteurs, le Conseil du Trésor, maintient ses alignements annoncés le 12 décembre 2019. Devant un gouvernement qui s’entête à négocier dans un cadre qui a pour effet d’appauvrir, ronde après ronde, ses 550 000 salariéEs syndiquéEs, qui sont à 75 % des femmes, il est temps de se poser une question qui n’a quasiment jamais été soulevée dans les rangs syndicaux : comment doivent se préparer ces rendez-vous tantôt triennaux ou tantôt quinquennaux entre l’État et ce qui a déjà eu pour nom un Front commun intersyndical dans les secteurs public et parapublic ? Mais avant de répondre à cette question quelques mots sur l’offre du gouvernement et le nouveau contexte de négociation créé par la crise de la COVID-19.
https://www.pressegauche.org/Une-Offre-gouvernementale-globale-de-reglement . Consulté le 18 mai 2020.
https://www.tresor.gouv.qc.ca/nouvelles/?tx_ttnews%5Btt_news%5D=550&cHash=1a2881321fbea548e82e5994400ea88e Consulté le 15 mai 2020.
L’offre actuelle (non confirmée) du gouvernement à ses 550 000 salariéEs syndiquéEs
Selon une information obtenue « off the record », l’offre salariale du Gouvernement du Québec à ses salariéEs syndiquéEs est quasiment identique à la proposition qui a été présentée par le Président du Conseil du Trésor, monsieur Christian Dubé, le 12 décembre 2019. Il ne s’agit plus d’un contrat de travail d’une durée de cinq ans, mais de trois ans maintenant. Il est toujours question des mêmes pourcentages d’augmentation de salaire, c’est-à-dire :
2020 : 1,75%
2021 : 1,75%
2022 : 1,5%
Le gouvernement du Québec propose toujours de verser, en 2019, un montant forfaitaire de 1000$ pour les 350 000 salariéEs syndiquéEs qui ont atteint le sommet des échelons salariaux. Pour ce qui est de 2020, un nouveau montant forfaitaire (se situant autour de 600$) est prévu pour la totalité des 550 000 salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic.
https://www.pressegauche.org/Negociation-dans-les-secteurs-public-et-parapublic-Acte-4-scene-3 Consulté le 15 mai 2020
Un nouveau contexte de négociation
Il va sans dire que la crise de la COVID-19 a créé un nouveau contexte pour la négociation du renouvellement des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic au Québec. La conjoncture, en quelques jours à peine, a rapidement basculé. D’une situation de quasi « plein emploi » et, par conséquent, de « pénurie de main-d’œuvre », nous nous retrouvons maintenant avec un taux de chômage qui voisine les 18%. L’armée de réserve est débordante de « bras » disponibles, mais les ressources humaines, à la recherche d’un emploi, ne sont pas nécessairement formées pour les postes à combler. De plus, d’une situation de surplus budgétaire de 4 milliards de dollars, les prévisions du ministère des Finances pour l’année financière de 2020-2021 présentent maintenant un déficit anticipé oscillant entre 12 et 15 milliards de dollars. Autrement dit, nous sommes passés d’une conjoncture favorable aux salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic à son exact opposé à la vitesse de l’éclair. Le retour à la normale, dans les finances publiques du Québec, va prendre, selon le ministre des Finances, monsieur Girard quelques années (« un horizon de trois à cinq ans » d’après lui).
Le point de presse des ministres Girard et Dubé du 14 mai 2020
Nous avons écouté attentivement le point de presse conjoint du ministre des Finances, monsieur Éric Girard et du président du Conseil du trésor, monsieur Christian Dubé, tenu le jeudi 14 mai 2020. Lors de cet événement, il a été question de nouvelles sommes qui seront injectées dans le Plan québécois des infrastructures (PIQ). Le gouvernement du Québec veut relancer l’économie, qui tourne au ralenti en raison de la pandémie de coronavirus, par des projets d’infrastructures. C’est un choix qui se défend.
http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-60501.html Consulté le 15 mai 2020.
Lors de ce point de presse, il a aussi été question des négociations dans les secteurs public et parapublic. Il est plus que jamais clair que le gouvernement du Québec lie les ententes à convenir concernant certaines catégories de salariéEs syndiquéEs (les préposéEs aux bénéficiaires en particulier) à un « règlement global » sur les salaires pour les 550 000 salariées syndiquéEs.
« M. Dubé : Bien, j’ai dit : Si on n’est pas capables de s’entendre, on fait des mesures temporaires. C’est ça qui est notre approche en ce moment, pour être très clair. C’est ça que j’expliquais, des mesures temporaires. On a fait des mesures de 4 % et 8 % il y a trois semaines. On vient de faire des mesures qu’on appelle primes au temps plein. Alors, je pense qu’on essaie de trouver les moyens, de façon temporaire, tant qu’on n’a pas une entente avec les syndicats, les principales centrales. »
Le contexte créé par le coronavirus, dans la présente ronde de négociation, se répercute incontestablement sur la capacité de résistance des organisations syndicales. Par contre, ce nouveau contexte alimente le discours arrogant que tient le gouvernement caquiste sur les finances publiques. Voir à ce sujet les deux extraits suivants :
Premier extrait :
Mme Crête (Mylène) : Ma question est pour M. Girard. Est-ce que les Québécois doivent craindre un éventuel retour à des mesures d’austérité ?
M. Girard (Groulx) :17929 M. Girard (Groulx) : Pas du tout. Le gouvernement a un rôle à jouer pour se substituer à la demande privée qui a fléchi. Alors, on fait un effort cette année, il y aura un autre effort l’an prochain, et équilibrer les finances publiques, il va falloir faire ça tranquillement dans le temps, justement, pour ne pas avoir à augmenter les impôts puis couper les dépenses. On ne veut pas faire ça.
Et j’aimerais rappeler que notre position de départ était enviable. On avait quand même prévu un surplus budgétaire de l’ordre de 1,7 milliard. À ça s’ajoutait 2,7 milliards de contribution au Fonds des générations. Donc, on partait avec un surplus de plus de quatre milliards de dollars. Arrive la pandémie : un déficit de 12 à 15 milliards de dollars. Et là, dans le temps, avec le retour de la croissance économique, avec des dépenses responsables, bien, on va y arriver, sur trois à cinq ans, à reprendre l’équilibre.
Deuxième extrait :
M. Gagnon (Marc-André) : Merci. Je peux me permettre à mon tour, Marc-André Gagnon, du Journal de Québec, du Journal de Montréal.
Je vais profiter de votre présence pour revenir sur des propos que le premier ministre a tenus hier ici même. Il a dit qu’essentiellement, là, que pour tous les engagements qui devaient être... en fait, que tous les engagements qui devaient être réalisés à l’intérieur du mandat actuel, là, donc, seraient respectés.
Mais est-ce qu’il y en a, donc, qui devaient être réalisés à plus long terme, au-delà du mandat actuel, qui pourraient être mis de côté ? Parce que je sais que tous les deux, vous faites partie de ce comité actuellement qui se penche sur la révision de l’ensemble des engagements qui ont été pris par votre parti au cours de la dernière campagne électorale. Donc, est-ce qu’il y en a qui vont prendre le bord ?
M. Girard (Groulx) : Bien, je vais m’essayer juste pour vous dire que sa réponse était bien sûr excellente, mais elle était notamment appuyée par le fait que la plupart des engagements sont déjà rencontrés. Lorsqu’on regarde la liste de nos engagements électoraux, on a été plus rapidement dans l’exécution parce qu’on avait une marge de manoeuvre, nous étions en situation de surplus budgétaire, puis ça nous a permis de... La promesse, la plus grande promesse en termes de revenus disponibles, c’étaient les allocations famille. C’est déjà livré, cette promesse-là. Alors, ce qu’on a promis va être réalisé. »
Le discours du ministre des Finances, monsieur Éric Girard, est arrogant selon nous parce qu’il ne précise pas la véritable raison pour laquelle le gouvernement du Québec était en bonne position pour affronter la crise de coronavirus et il ne dit pas non plus pourquoi les engagements électoraux de la CAQ ont pu être tenus si rapidement. Cette double situation avantageuse s’explique par les faméliques augmentations salariales prévues et versées aux salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic depuis de trop nombreuses années.
Conclusion : Pistes de réflexion pour les prochaines rondes de négociation dans les secteurs public et parapublic
Il faudrait peut-être qu’un jour, pas trop lointain, qu’une analyse critique des finances publiques émerge des rangs des organisations syndicales présentes dans les secteurs public et parapublic et également de certains partis politiques d’opposition à Québec. Le ministre Girard lui-même l’a confirmé lors de son point de presse du 14 mai 2020 : son ministère travaille en ce moment sur la préparation du deuxième budget de la CAQ.
M. Dubé : […]
« Puis je peux vous dire qu’on est en train de refaire un deuxième budget ».
C’est justement durant cette période de préparation des budgets annuels que se discute (derrière des portes closes) entre hauts fonctionnaires et ministres des Finances, du Conseil du Trésor et du bureau du premier ministre, les sommes qui sont et seront allouées à la rémunération des employéEs de l’État. Autrement dit, le gouvernement prépare à l’avance son offre salariale déterminée, peu ou prou négociable, qu’il soumettra par la suite aux organisations syndicales. Cette offre, depuis les années quatre-vingt-dix, est fixée dans un cadre très rigide. Elle est calculée, à quelques dollars près, par les mandarins du Conseil du Trésor.
Si les organisations syndicales tiennent vraiment à éliminer les écarts qu’on observe dans la rémunération des salariéEs syndiquéEs de l’administration québécoise avec les personnes qui occupent des emplois comparables dans des entreprises similaires, cela va supposer que des représentations soient faites auprès du ministère des Finances et du Conseil du Trésor au bon moment dans le processus d’élaboration du budget. Ces représentations devront s’appuyer sur des études comparatives sérieuses et solidement documentées précisant les écarts réels à combler avec les autres administrations publiques et les entreprises privées de 200 employéEs et plus.
Il n’y a aucune raison pour que les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic soient tenuEs d’accepter ou se fassent imposer unilatéralement des conditions de travail et de rémunération qui sont inférieures à leur valeur réelle. La société québécoise est rendue à un stade de développement qui suppose l’existence en grand nombre d’emplois publics. Dans ce contexte, les membres de la société doivent assumer ce qu’il en coûte véritablement pour offrir des salaires justes et équitables aux personnes qui oeuvrent dans ces secteurs.
Il y a une limite à voir le gouvernement engrangé, année après année, des surplus sur le dos de ses employéEs syndiquéEs et le voir également détourner l’argent des taxes et des impôts pour accroître le Fonds des générations ou réduire les impôts à payer (comme il l’a fait à maintes reprises depuis 2007). Il est selon nous incontestable que les surplus milliardaires, qui sont apparus au cours des récentes années dans les finances publiques du Québec, ont eu pour effet de perpétuer le retard observé dans la rémunération des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic de la province. Les organisations syndicales doivent préciser et faire auprès du gouvernement, année après année, des représentations plus convaincantes au sujet de l’utilisation de ces surplus. C’est une avenue à envisager sérieusement pour sortir de l’ambiance morose qui accompagne les rondes de négociations dans les secteurs public et parapublic depuis bientôt… quarante-ans.
Yvan Perrier
yvan_perrier@hotmail.com
18 mai 2020
Zone contenant les pièces jointes
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