Publié le 9 juin 2020 | tiré d’Alternatives socialistes
https://alternativesocialiste.org/2020/06/09/nego-en-sante-pour-un-ete-dactions/
Les « anges gardiens » font preuve d’abnégation depuis des années. Pourquoi ? Parce qu’on leur demande l’impossible dans des conditions intenables. Lorsqu’on veut quand même prioriser les soins aux patients et aux patientes, on le fait souvent au mépris de sa propre santé. Le personnel de la santé n’hésite pas à courir ou à sacrifier son temps de pause. Par contre, lorsque ses sacrifices ne sont pas suffisants pour garantir une qualité de soin minimale, les « anges gardiens » se révoltent. Et c’est ce qui se passe en ce moment.
Depuis l’adoption des premières mesures de déconfinement à la mi-mai, il n’y a pas un établissement de santé où ne s’est pas déroulée une forme ou une autre de contestation. Il y a des actions et des campagnes partout à travers la province. La contestation a pris différentes formes d’action individuelle, en particulier sur les médias sociaux. Des infirmières ont publié des photos d’elles vêtues de sacs-poubelle pour dénoncer le manque de jaquettes. Ce type d’actions de visibilité a poussé des administrations à réagir et des syndicats à aller plus loin.
La goutte qui a fait déborder le vase, c’est la menace de suspension des vacances estivales par le gouvernement Legault. S’il y a bien un secteur de la classe ouvrière qui a clairement besoin de vacances en ce moment, c’est bien celui des travailleuses et les travailleurs de la santé !
Certaines personnes sont même allées jusqu’à démissionner ou menacer de démissionner. Comme première réaction, il est légitime de ne plus vouloir être complice de la catastrophe actuelle. Une travailleuse, qui n’a jamais levé le ton de sa vie, m’a dit il y a quelques semaines, en sacrant : « nous allons commencer à faire de mauvaises choses pour qu’ils nous renvoient ». Il est plus que temps de transformer ce ras-le-bol en rapport de force.
Qui sont les « anges gardiens » ?
À entendre François Legault parler durant ses points de presse, il n’y a que des médecins, des infirmières et des PAB qui travaillent dans le réseau de la santé et des services sociaux. La réalité est plus complexe que ça. Il existe 301 titres d’emploi différents dans le réseau. Tous ces métiers sont interreliés et dépendants les uns des autres.
Il est impossible de soigner si les instruments ou les lieux pour le faire ne sont pas propres (préposé·es à la stérilisation et d’hygiène salubrité), s’il manque de matériel (magasinier·ères), de médicaments (assistant·e technique senior en pharmacie) ou si personne ne mange (préposé·es aux services alimentaires). Toutes ces opérations sont gérées, à toutes les étapes, par le personnel administratif et de l’informatique. Il faut ajouter à cela une centaine de titres d’emploi supplémentaires ayant une tâche spécifique essentielle au fonctionnement du système de santé.
Le gouvernement tente de diviser les employé·es du secteur public depuis des mois. Cette stratégie l’a amené à proposer des primes de risques COVID-19 uniquement à certains types d’emploi. En privilégiant certains emplois de la sorte, le gouvernement s’aliène tous les autres. Il n’a fait que jeter de l’huile sur le feu.
La colère existait avant la pandémie
La pandémie a révélé au grand jour tous les problèmes que les organisations syndicales dénoncent depuis longtemps (pénurie de personnel, surcharge de travail, sous-financement, privatisation, loi du silence, autoritarisme, etc.) La colère est également alimentée par les faibles conditions salariales des plus bas salarié·es.
Les augmentations salariales des « anges gardiens » ne suivent plus le coût de la vie depuis des décennies. Cette situation frappe encore plus durement les bas salarié·es, soit la moitié des employé·es du réseau de la santé. La dernière « augmentation » leur a laissé un goût plus qu’amer. En avril 2019, les anges gardiens ont reçu un montant forfaitaire de 15 cents, imposable, qui a disparu en avril 2020.
Il y a également la relativité salariale. En théorie, cela représentait une augmentation moyenne de 2,4 % pour tous les employé·es des services publics. La réalité, la majorité des bas salarié·es du réseau de la santé ont reçu bien moins que ça. Par exemple, les PAB à l’échelon 5 sont descendu·es à l’échelon 4 et ont reçu 7 cents d’augmentation. Il y a de quoi être en colère. Surtout quand vous constatez sur votre chèque de paie que les hausses annuelles du coût des assurances collectives sont supérieures à vos augmentations salariales, et ce, depuis des années.
Avec l’état d’urgence contre la COVID-19, les premiers arrêtés du gouvernement ont alimenté un incendie déjà bien étendu.
Les arrêtés ministériels durant la pandémie
Le premier décret est tombé le 21 mars 2020. L’objectif était de suspendre plusieurs clauses des conventions collectives afin de permettre aux directions des établissements de répondre le plus efficacement possible au besoin de la crise sanitaire. L’une des conséquences a été de donner tous les pouvoirs aux petits et petites gestionnaires qui, déjà, en menaient large.
Avec son décret du 4 avril 2020, le gouvernement a donné à tous les titres d’emploi du réseau de la santé une prime salariale de 4 %, et une de 8 % pour le personnel en zone COVID-19 (zone chaude). Or, c’est à ce moment que le gouvernement a annoncé quetout le Québec était exposé à la contamination communautaire. Dans une telle situation, la distinction entre les zones chaudes et froides devient symbolique. Toutes les personnes patientes sont alors considérées comme ayant potentiellement la COVID-19. Les précautions et les risques deviennent les mêmes. De plus, plusieurs titres d’emploi n’ont pas eu la prime de 8 % même s’ils se promènent régulièrement d’une zone à l’autre.
Le simple fait de verser une prime en pourcentage alimente la colère. Les personnes à bas salaire se ramassent avec les primes les plus basses alors qu’elles sont en première ligne et en contact étroit avec les personnes atteintes de la COVID-19. Par exemple, une PAB en zone chaude reçoit 1,79 $/h en primes pour nourrir et laver un patient, alors qu’une travailleuse sociale reçoit 3,62 $/h en plus pour intervenir à distance de lui. L’objectif n’est absolument pas de déprécier le travail des personnes à haut salaire, mais de mettre en lumière la frustration vécue par les personnes à bas salaire. Il ne s’agit que d’un exemple parmi tous ceux que permettent les 301 titres d’emploi du réseau.
Le gouvernement a poussé l’odieux à des sommets en proposant desprimes pouvant aller jusqu’à 2 500$/jour pour les médecins spécialistes qui viendraient aider des PAB en CHSLD (Centres d’hébergement et de soins de longue durée) à faire le même travail qu’eux, mais 10 fois mieux payé. Même Doug Ford, premier ministre de l’Ontario, a eu la décence de donner une prime de 4 $/h, en montant fixe, à tout le personnel de la santé.
Le décret du 10 mai, avec la prime d’assiduité, n’a fait qu’accentuer ce sentiment d’injustice. Au final, peu de titres d’emploi peuvent y avoir droit. Il est difficile d’obtenir cette prime d’assiduité même pour les titres d’emploi admissibles. Il ne faut ni être malade ni en retard même une seule fois, sinon le compteur tombe à zéro. La mesure exclut d’ailleurs les travailleuses et les travailleurs en préretraite. Dans certains CIUSSS (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux), les gestionnaires jouent avec les horaires pour éviter de donner la prime.
Suite au décret du 21 mars, plusieurs personnes ayant le « mauvais » titre d’emploi, mais qui ont été déplacés ailleurs pour y réaliser des tâches de « bons » titres d’emploi, ne reçoivent pas la prime. À l’hôpital, c’est le cas de personnes « préposées aux transports patients » qui font maintenant les tâches d’un « aide de service ».
Comme si cela n’était pas suffisant, l’offre du 20 mai du Conseil du trésor concernant le renouvellement des conventions collectives du secteur public est presque identique à son « offre » de décembre. Il officialise sa volonté d’augmenter uniquement les PAB des CHSLD, mais pas ceux et celles du milieu hospitalier, comme il l’a laissé sous-entendre depuis un an. La situation est tellement ridicule que le même PAB travaillant à la fois dans un CHSLD et un hôpital recevra deux salaires complètement différents. Le gouvernement propose aussi la fusion du régime de retraite des employé·es RREGOP (Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics) avec celui des cadres pour éponger le déficit du régime des boss.
Jumelez tout cela avec une menace d’annuler les vacances, vous vous retrouvez avec une situation explosive.
À nous d’arrêter cette mascarade !
Le gouvernement Legault veut régler rapidement les conventions collectives du secteur public afin de dégager la marge financière nécessaire pour bien paraître lors des élections de 2022. Le gouvernement provincial a déjà commencé sa propagande sur ses « coffres vides », alors que c’est le gouvernement fédéral qui donne la majorité de l’argent. C’est d’ailleurs les libéraux de Trudeau qui ont fait débloquer, le 7 mai dernier, 4 milliards de dollars pour hausser les salaires des services essentiels. C’est sans doute cet argent qui sert à financer les PAB des CHSLD.
La colère généralisée ouvre la porte à de grandes luttes qui permettraient d’aller chercher des gains substantiels, maintenant, pour le personnel de la santé. Ne pas se mettre en action, c’est assumer la mort lente des services publics au Québec, le plus grand gain des luttes sociales des années 60 et 70.
Les règles de distanciation sociale rendent l’organisation d’action difficile, mais nous devons composer avec elles. Nous devons faire preuve d’imagination et tenter de nouvelles choses. Les déplacements sont limités, mais il est possible de réunir les gens sur les étages ou dans les départements qui travaillent ensemble depuis le début.
Il nous faut ancrer la lutte localement, par établissement. Nous devons créer des comités d’action qui regroupent toute personne motivée à lutter, peu importe son affiliation syndicale. Ces comités doivent être mis en contact avec les exécutifs syndicaux locaux. Ces comités doivent être élus et révocables. Les personnes impliquées doivent s’entendre sur une série de revendications, mais également sur les points plus généraux concernant la sauvegarde et l’amélioration des services publics.
Ce n’est que par l’unité d’action entre tous les titres d’emploi que nous pourrons faire reculer le gouvernement. Cette unité implique de partager les mêmes revendications. La lutte contre le temps supplémentaire obligatoire (TSO) est autant l’affaire des bas salarié·es que les augmentations salariales à montant fixe sont importantes pour les personnes à haut salaire.
Il est très probable que la CAQ adopte un décret visant à imposer les conditions de travail de tout le secteur public pour les trois prochaines années. Il faudra alors le défier, tout le monde ensemble. La possibilité d’une entente au rabais signée par les directions syndicales n’est pas à écarter. Si c’est le cas, nous devrons également la combattre, et il faudra le faire rapidement !
Cette fois-ci, nous devrons taper assez fort pour faire reculer le gouvernement. Nous n’avons pas le choix.
Pour le maintien des vacances estivales !
Pour le dépistage massif de la population, en commençant par les travailleuses et les travailleurs des services essentiels !
Pour l’accès à l’équipement de protection requis en tout temps !
Pour l’augmentation immédiate de 3 $/h et l’indexation des salaires au coût de la vie pour tout le personnel de la santé !
Pour des ratios sécuritaires et l’abolition du TSO !
Pour une commission d’enquête indépendante de l’État sur sa gestion de la crise de la pandémie !
Pour le contrôle public et démocratique de toutes les compagnies privées liées à la production de matériel et de services médicaux essentiels (usines, laboratoires, cliniques, agences de placement, CHSLD, etc.) !
Taxons et imposons le capital des grandes fortunes comme les banques, les géants du web et les compagnies de grande distribution pour financer les services publics !
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