Édition du 24 septembre 2024

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Nashville de Robert Altman

Une impression de chaos au cœur de l’Empire ébranlé dans certaines de ses valeurs fondatrices

Dans un film nous retrouvons mille et une choses. Nous ne nous trompons pas en disant qu’il y a au moins les éléments suivants : un début et une fin. (Wow ! Quelle entrée en la matière. Poursuivons sur un ton un peu moins caustique ou sarcastique.) Entre les deux, il peut y avoir (car il n’y en a pas toujours) un scénario et des personnages ; une situation initiale, des rebondissements et un dénouement. Le film, en plus, appartient à un genre en particulier. Il peut relater des événements, fictifs ou non, qui se déroulent dans un (ou plusieurs) lieu(x), à une (ou à différentes) époque(s). Le récit peut être du type linéaire (qui respecte la chronologie) ou relever de la déchronologie (qui est en rupture avec la chronologie).

Mon point de vue partiel et partial sur le film

Voilà donc quelques éléments qui nous suffisent pour amorcer un début d’analyse d’une réalisation cinématographique que j’ai vue durant la deuxième moitié des années soixante-dix et qui m’a profondément impressionné. Tellement impressionné que j’en parle encore, plus de quarante ans plus tard. Pour être plus précis, il s’agit du film du grand cinéaste Robert Altman qui a pour titre : Nashville. Cette fresque nous présente un certain tableau de la société américaine à l’occasion d’un festival de musique western et d’une campagne électorale. Le tout se déroule simultanément, durant une période de quelques jours. On nous présente des liens probables entre ces deux univers que sont la politique et la musique : la politique comme spectacle et le spectacle comme politique. La mise en scène de ce film choral [1] me semblait assez inventive. Cette réalisation filmique montre plusieurs petites histoires qui se touchent sans arrêt et se télescopent parfois. Les divers incidents relatés sont présentés dans un tout à la fois coloré et cohérent. En raison du personnage d’Opal (Géraldine Chaplin), une journaliste de la BBC, ce film donne l’impression, à certains moments, d’un reportage télévisé. Ce sont précisément les liens entre les histoires, le caractère des personnages, certaines actions et la musique qui ont retenu mon attention. Les interprètes ont été autorisés, par Altman, à improviser leurs chansons.

Nashville USA, 1975. Le film se déroule dans la capitale étatsunienne de la musique western. Ici se mêle le destin d’une vingtaine de personnages (vingt-quatre pour être plus précis) dans un cadre musical particulier, et ce, à un moment important de la vie politique, c’est-à-dire, durant un processus électoral au plus haut niveau et tout juste une année avant les célébrations du bicentenaire du pays. Précisons : à cette époque, les USA sortent de la guerre du Vietnam et du Watergate. Guerre qui se solde par une défaite humiliante pour l’Impérialisme Yankee. En 1975 toujours, une majorité de la population adulte est profondément ébranlée par certains éléments du scandale du Watergate. Il n’est guère facile d’accepter, pour plusieurs citoyennes et citoyens, que celui qui a été leur 37e président des États-Unis, Richard Milhous Nixon (qui a été en fonction de 1968 à 1974), se soit comporté en menteur achevé pendant toutes ces années durant lesquelles il occupait les fonctions lui donnant accès au Bureau ovale de la Maison-Blanche. Bref, les certitudes quant à la puissance supposément « invincible » des forces armées américaines sont ébranlées. Pour ce qui est de la confiance à accorder dans certaines institutions et à certaines valeurs fondatrices à leur base, peu de personnes semblent toujours prêtes à y croire. En cette année des primaires présidentielles et en cette année qui précède les célébrations du bicentenaire du pays, le patriotisme a du plomb dans l’aile. Le socle unificateur de la nation s’effrite. Les assises des institutions fédérales vacillent. Place donc à la décadence, au chaos et au choc des codes culturels.

Le film s’ouvre avec une séquence qui se déroule à l’aéroport de Nashville où sont introduits les principaux personnages du film et se termine durant un concert lors duquel la chanteuse Barbara Jean (Ronee Blakley) est assassinée. La vedette de la musique country Haven Hamilton (Henry Gibson) chante « We must be doing something right to last 200 years » (traduction libre : « Nous avons sûrement fait quelque chose de bien sinon notre pays n’aurait pas 200 ans »). Nous sommes à Nashville, une ville où la musique country est quasiment partout. Une ville où se frottent et où se coudoient des personnes qui sont talentueuses et d’autres qui sont en manque de talent pour réussir. Une ville où le choix de la couleur n’est pas un choix innocent. Du côté des Star’s, il y a Barbara Jean et Haven Hamilton, la reine et le roi du country. Ils incarnent la « pureté ». Ils portent du blanc. Aux USA, il y a, nous le savons, des tensions raciales entre les blancs et les noirs. Tommy Brown (interprété par Timothy Brown) est un chanteur country. Il est issu des rangs de la communauté noire. Il se fait accuser d’être un traître à la cause des siens, les Afro-américains. Du côté des personnes moins talentueuses, il y a cette serveuse qui rêve d’être découverte. Elle ne sait pas vraiment chanter. Pour attirer les regards sur elle, elle fait un Strip-tease lors d’une soirée-spectacle du candidat aux élections présidentielles, Hal Philip Walker, le candidat du Replacement Party. Personnage politique que nous ne voyons jamais dans le film. N’est-ce pas là une caractéristique des politiciens de haut niveau que celle qui consiste à réussir à faire parler d’eux, sans avoir nécessairement à se montrer le bout du nez ? N’est-ce pas une de leur caractéristique également d’adopter un discours axé sur le « Changement » ? Mais, nous le savons, le monde de la politique institutionnelle c’est souvent un espace de la pratique sociale qui se caractérise par le règne de l’alternance sans véritable alternative. Un lieu où triomphe le conservatisme et le « Plus ça change, plus c’est pareil ! ». Passons. Résumé oblige, nous ne ferons pas le tour des vingt-quatre personnages du film. Je me limiterai à un tout dernier petit commentaire sur Tom Frank (interprété par Keith Carradine), un chanteur folk rock. Durant cette période de « Révolution des mœurs » et de grande liberté dans le choix de ses partenaires sexuels, ce chanteur va avec beaucoup de légèreté, d’une femme à l’autre… La chanson intitulée I’m easy (dont Keith Carradine est l’auteur-compositeur-interprète) sera oscarisée en 1976 dans la catégorie « Meilleure chanson ».

Que retenir de ce film ?

Ce film est une longue démonstration sur les liens entre la musique et la politique. Nous y retrouvons de la violence, de la corruption et du désordre. De plus, symbole du choc entre deux manières de vivre sa vie, le « Red neck » Haven Hamilton dira à un musicien qui a une tête de hippie : « Cut your hair. You don’t belong in Nashville ! » Comme si, seule une coupe de cheveux était suffisante pour rétablir l’ordre et mettre un terme au chaos et à l’anarchie qui régnaient dans le cœur même de la capitale du Country, au milieu des années soixante-dix.

Yvan Perrier

[1] Par « film choral » il faut comprendre une œuvre cinématographique qui met en scène plusieurs personnages aux destins liés.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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