Pourquoi après avoir conquis le nord du Mali, la rébellion continue-t-elle d’avancer ? Pensez-vous que les rebelles tentent de prendre le contrôle de tout le pays ? Quels sont les Touaregs et les groupes islamistes sont-ils unis ? Ont-ils les mêmes objectifs ?
Philippe Perdrix : L’intérêt pour les rebelles du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) d’avancer vers le sud, c’est tout simplement d’établir un rapport de force qui leur est favorable et ainsi de consolider leurs positions dans le nord du Mali qu’ils contrôlent maintenant totalement avec une alliance objective avec l’Aqmi. Mais cette avancée sur Mopti est sans doute, pour déstabiliser un peu plus les putschistes à Bamako et établir un rapport de force qui est favorable factuellement aux rebelles du MNLA.
Pensez-vous que les rebelles tentent de prendre le contrôle de tout le pays ?
Philippe Perdrix : Ce n’est pas forcément leur intérêt de conquérir l’ensemble du Mali pour deux raisons. Tout d’abord le MNLA revendique uniquement l’indépendance de l’état laïc de l’Awazad dans la partie saharienne du pays. COUPE .La deuxième raison car le MNLA n’a pas forcément intérêt militairement à avancer sur Bamako car là on se dirigerait tout droit vers une forme de guerre civile, voire même de "somalisation" du pays. Le MNLA a sans doute plus intérêt à consolider ses positions dans le nord, pour ensuite partir de ses acquis militaires pour engager éventuellement des discussions avec Bamako, lorsqu’un nouveau pouvoir sera capable d’engager des discussions, un nouveau pouvoir à Bamako, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Mais cette rébellion est-elle vraiment unie entre Touareg et islamistes ?
Philippe Perdrix : La situation est très confuse dans le nord du Mali. Il y a trois groupes finalement. Il y a les rebelles du MNLA, les rebelles touareg, qui eux revendiquent l’instauration d’un état laïc, et c’est important d’insister là-dessus, dans l’Azawad, la région saharienne du Mali. Il y a le mouvement islamiste Ansar Dine qui est dirigé par Iyad Ag Ghali qui était un ancien chef rebelle des années 90, qui lui est un mouvement islamiste qui revendique l’instauration de la charia. Et puis il y a les djihadistes terroristes d’Aqmi, d’Al Qaïda au Maghreb islamique, qui, eux ont les connaît, sont dans cette région et vivent de prises d’otages et de trafics en tout genre. Donc ces trois groupes profitent de l’absence de pouvoir à Bamako pour avancer leurs pions, consolider leurs positions et de fait ces trois mouvements ont une alliance objective. Mais ils n’ont pas du tout le même agenda. COUPE
Ces groupes semblent ne pas avoir les mêmes objectifs, comment font-ils pour collaborer ?
Philippe Perdrix : Ces trois mouvements ont des contacts entre eux. COUPE. Il y a aussi un partage du territoire, ne serait-ce que pour le contrôle des trafics qui prospèrent dans cette région : trafic de cigarettes, trafic de drogues. Ces trois mouvements se sont entendus pour un partage de la rente et pour le paiement de certains droits de passage, avec aussi là, c’est vérifié, c’est avéré, c’est documenté, une partie de l’état-major de l’armée malienne a participé à ces trafics qui prospèrent dans cette région. Tout cela pour dire que le Mali est profondément déstabilisé par l’existence de ces trafics dans cette région, par l’existence de ces trois mouvements armés et par l’extrême fragilité du pouvoir malien en sachant qu’Amadou Toumani Touré, le président renversé, n’a sans dite pas pris la mesure du risque qui planait sur lui, sur son régime, sur son pouvoir, sur son pays, devant cette menace de chaos qui se profilait à l’horizon au Mali. Finalement le Mali est peut-être la première victime collatérale de la chute de Kadhafi en Libye. Ce qui a mis le feu aux poudres au Mali, c’est vraiment le retour au pays de plusieurs centaines de combattants touareg qui étaient aux côtés de Kadhafi, qui sont rentrés avec armes et bagages. Et dans ces armes, il y a même des missiles sol-air, rendez-vous compte de la dangerosité de ces armes pour un pays aussi fragile que le Mali !
Une telle dégradation de la situation politique et militaire au Mali était-elle prévisible et quel rôle la France peut-elle jouer dans cette crise ?
Philippe Perdrix : Tout le monde a été surpris par l’évolution de la situation au Mali. Tout le monde savait que le président Amadou Toumani Touré était fragilisé par l’extrême insécurité qui régnait dans le nord de son pays. Mais personne ne pensait que des mutins pied-nickelés pouvaient en quelques heures renverser le président. Tout le monde a été pris par surprise par la situation politique à Bamako. Aujourd’hui, la dangerosité de la situation est telle que tout le monde prendra ses responsabilités. Cela ne veut pas dire que la France interviendra militairement puisqu’il faudrait un mandat de l’ONU, nous n’en sommes pas là aujourd’hui, mais il est clair que comme la CEDEAO, l’organisation sous-régionale, a annoncé à la fois un embargo et à la fois un envoi de troupes au Mali, 2.000 hommes, il est fort à parier que la France apportera un soutien logistique, en renseignement, si ces militaires de la CEDEAO venaient à intervenir au Mali. La France ne restera pas absente de l’équation malienne mais la France ne sera pas en première ligne pour un règlement politique de la crise malienne.
Pour voir la vidéo qui accompagne cette entrevue :
http://www.arte.tv/fr/La-premiere-victime-collaterale-de-la-chute-de-Kadhafi—/6576932.html
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