Édition du 19 novembre 2024

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Québec

Lettre ouverte à la mairesse Valérie Plante

Intervention urgente demandée contre la déportation de Lucy Francineth Granados :
« Elle est où ta ville sanctuaire ? »

Madame la Mairesse,

Excusez-nous de ne pas avoir ajouté le mot Chère devant Madame, mais l’indignation et la tristesse que nous sentons nous en empêchent. Lucy Francineth Granados a été violemment arrêtée par quatre agents de l’ASFC le 20 mars dernier, depuis ce jour elle est emprisonnée au Centre de détention de Laval malgré son état de santé qui ne cesse de se détériorer. Un ordre de déportation au Guatemala pour le 13 avril pèse toujours sur elle. Si la tristesse nous accable en raison du sort injuste et violent réservé à notre camarade, c’est notre indignation et notre soif de justice qui nous incitent à vous écrire aujourd’hui.

Vous connaissez déjà la situation de Lucy, mais nous tenons à rappeler certains faits. En 2009, menacée au Guatemala, Lucy s’est vue obligée de quitter son pays. Nous n’insistons pas sur ce point puisque votre expérience avec des projets de solidarité en Amérique latine vous permettent sûrement déjà de bien comprendre le manque de sécurité au Guatemala. Lucy, après un voyage extrêmement long et périlleux à travers le Mexique et les États-Unis, arrive finalement à Montréal où elle présente une demande d’asile. En 2012, devant le refus de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.e de lui octroyer le statut de réfugié.e, Lucy décide de rester à Montréal sans statut migratoire. Mais avait-elle vraiment le choix ? Lucy est l’unique source de revenu de ses trois enfants et de sa mère resté.e.s au Guatemala. En demeurant à Montréal, Lucy peut continuer à envoyer de l’argent à sa famille et tenter de régulariser son statut migratoire. L’obtention de la résidence permanente pour motifs humanitaires lui permettrait de réunir sa famille, de retrouver ses enfants et de leur offrir une vie en sécurité. Quelle mère aurait hésiter à enfreindre des règlements administratifs afin de protéger sa vie et celle de ses enfants ? Vous le savez aussi, les personnes immigrant.es ne prennent pas à la légère la décision de rester à Montréal sans statut. Lucy ne fait pas exception. Résider à Montréal sans statut signifie vivre avec la peur constante d’être déporté.e. Mais nous ne nous éterniserons pas sur ce sujet. Puisque vous êtes détentrice d’un Certificat en intervention multi-ethnique, nous imaginons que vous êtes bien au fait des conditions de vie des personnes immigrantes.

Quant aux conditions de travail de Lucy, elles étaient tout simplement exécrables. Pour Lucy, comme pour toutes les personnes sans statut, travailler signifie n’avoir aucun recours contre les agences de placement et autres employeurs sans scrupules qui les emploient. Travailler sans statut, c’est nettoyer les bureaux dans lesquels nous travaillons, étiqueter et emballer les aliments que nous mangeons, semer et cueillir les fruits et légumes que nous dégustons. Travailler sans statut, c’est aussi recevoir un taux horaire de 5 ou 6 dollars et parfois ne pas être payé.e du tout. De plus, avec un salaire si bas, vous comprendrez que les journées de travail de Lucy étaient interminables. Elle devait commencer très tôt et finir très tard afin d’envoyer de l’argent à sa famille, de réunir les sommes importantes nécessaires pour débourser les coûts de la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires ainsi que les frais d’avocat.e. et subvenir à ses besoins, réduits au strict essentiel. Nous vous donnons ces informations, car en tant qu’ancienne syndicaliste, nous ne pouvons douter que vous avez à cœur les conditions de travail de toutes et tous les Montréalaises et Montréalais, peu importe leur statut migratoire, n’est-ce pas ?

Montréalaise d’adoption, Lucy est enracinée dans sa communauté. Elle milite au sein du Collectif des femmes sans statut et de l’Association des travailleur-ses d’agence de placement (ATTAP). C’est donc dire que Lucy participait pleinement non seulement à la vie économique Montréalaise, comme nous l’avons exposé plus haut, mais également à la vie démocratique et sociale de notre ville. C’est par son engagement et son enracinement dans la communauté, que Lucy a fait de Montréal sa ville. Nous vous le mentionnons, car en tant qu’ancienne travailleuse du milieu communautaire, nous sommes convaincues que vous valorisez grandement l’engagement communautaire de toutes et tous les résidentes et résidents de Montréal, n’en est-il pas ainsi ?

Or, depuis l’arrestation de Lucy il y a presque trois semaines, nous n’avons entendu que des mots timides de votre part au sujet de la Ville sanctuaire. Pourtant, c’est bel et bien à l’unanimité que l’assemblée du conseil municipal de la Ville de Montréal adoptait la « Déclaration désignant Montréal ville sanctuaire Résolution » (CM17 0106) le 20 février 2017. Si nous sommes d’avis qu’il est nécessaire de mettre rapidement en œuvre les mécanismes afin que la Ville sanctuaire devienne une réalité pour Montréal, la gravité de la situation de Lucy Francineth Granados devrait suffire à vous convaincre d’intervenir clairement et très rapidement. Devons-nous vous rappeler, qu’à titre de mairesse vous devez veiller au bien-être de toutes et tous les résidentes et résidents de Montréal en accordant une attention aux personnes marginalisées, nommément les femmes sans statut ? Depuis l’année dernière, les femmes dignes et déterminées du Collectif des femmes vous interpellent ainsi : « elle est où ta ville sanctuaire ? » Nous vous demandons donc d’émettre une déclaration publique pour appeler les ministres fédéraux Ahmed Hussen et Ralph Goodale, respectivement ministre de l’immigration et de la sécurité publique, à libérer immédiatement de Lucy Francineth Granados, à arrêter les procédures de déportation et à lui octroyer la résidence permanente.

Madame la Mairesse, durant votre campagne électorale, vous n’avez cesser de nous parler de l’importance de faire de la politique autrement. Il est donc grand temps de mettre de côté le jeu qui consiste à renvoyer la balle à d’autres paliers gouvernementaux et de faire preuve de courage politique. Or, c’est justement d’une perspective politique et dans l’esprit de la Ville sanctuaire que vous pouvez interpeller le gouvernement fédéral afin qu’un sanctuaire soit offert à Lucy Francineth Granados. De plus, en tant que cheffe de Projet Montréal, un parti qui se veut progressiste, nous nous attendons à entendre votre voix résonner haut et fort pour défendre les personnes opprimées.

Pour finir, durant votre campagne électorale et depuis que votre élection, vous ratez peu d’occasions de faire valoir votre féminisme. Mais de quel féminisme vous réclamez-vous ? Aucune féministe ne peut accepter qu’une autre femme soit traitée avec violence, blessée, méprisée ni injustement emprisonnée comme Lucy l’a été ! L’égalité réelle entre les hommes et les femmes, c’est pour toutes les femmes, peu importe leur classe sociale, leur statut migratoire, leur pays d’origine et la couleur de leur peau ! Votre féminisme de pacotille ne résout en rien la situation des femmes immigrantes sans statut et encore moins celle gravissime de Lucy. Madame la mairesse, nous voulons savoir si vous êtes vraiment la femme de la situation. Qu’attendez-vous pour intervenir ?

Susana Ponte Rivera
Membre de l’Association des travailleuses et travailleurs d’agence de placement (ATTAP)

Viviana Medina
Organisatrice communautaire, Centre travailleuses et travailleurs immigrant.es (CTI)

Mostafa Henaway
Organisateur communautaire, Centre travailleuses et travailleurs immigrant.es (CTI)

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