Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Lettre d’un Solidaire aux indépendantistes

Vous en avez assez d’attendre l’arrivée du pays. Vous êtes prêts à tout pour qu’il advienne « avant la fin de vos jours » ou simplement au plus vite. Et vous croyez que la solution toute trouvée à la crise actuelle du mouvement indépendantiste consiste à réunir tous les partis qui s’en réclament dans une grande alliance contre les fédéralistes aux prochaines élections. Pour vous, l’indépendance n’est « ni à gauche, ni à droite, mais en avant » et il convient de mettre « la patrie au-dessus des partis » pour un temps, quitte à reprendre les batailles sociales et politiques sur tout le reste une fois réalisé l’objectif commun.

Nous sommes d’accord sur un point, et c’est que toutes choses étant égales par ailleurs, il est préférable que le Québec soit indépendant. Ce serait un atout précieux pour assurer la pérennité du fait français en Amérique du Nord, le Québec ayant toute l’autorité nécessaire pour réguler les activités du secteur privé, en plus de rapatrier les fonctions (et les milliers d’emplois) actuellement assumées par des institutions fédérales « bilingues ». De plus, les nouveaux arrivants sauraient dans quel pays ils arrivent, ce qui réduirait la probabilité de leur adhésion à l’identité canadienne et à la langue anglaise. L’indépendance serait aussi probablement l’occasion de réformer nos institutions dans un sens plus démocratique, en rupture avec la tradition monarchiste britannique. Tout dépendant de comment on y arriverait.

L’indépendance est radicale

Le problème est que rien n’est jamais « égal par ailleurs » dans la vraie vie politique. L’indépendance est forcément une rupture avec les institutions en place, celles de l’État canadien. Ces institutions politiques sont d’ailleurs parmi les plus stables au monde. Nous ne sommes pas dans une situation de crise totale comme avec la décolonisation ou l’effondrement du Bloc de l’Est. (Et ces nombreux cas d’accession à l’indépendance ont souvent fait l’objet de luttes féroces !) L’idée qu’on pourrait réaliser une séparation facile, « à l’amiable », avec l’État canadien est une illusion pernicieuse véhiculée par le Parti québécois et qui a désarmé le mouvement indépendantiste. Est-ce que nous n’avons rien appris de la Crise d’Octobre, de la campagne de peur de 1980 ou du déluge « d’amour » financé frauduleusement par les commandites en 1995 ? La Loi sur la Clarté n’est pas un accident de parcours. L’État fédéral se prépare soigneusement à nier notre droit à l’autodétermination avec toutes les ressources intellectuelles, financières et répressives qui sont à sa disposition.

La seule force sociale capable de briser la résistance de l’État canadien et d’imposer la souveraineté du peuple est la mobilisation déterminée de la majorité de la population. Une telle mobilisation ne sera pas le produit d’une campagne référendaire ou électorale menée d’en haut par une petite équipe d’experts en communication politique. Il faut qu’elle émerge des luttes sociales concrètes autour des enjeux qui interpellent les gens et leur donnent le goût de passer à l’action et de prendre des risques. La bataille actuelle contre les politiques d’austérité du gouvernement Couillard en est un bon exemple. La grève étudiante de 2012 en est un autre. Les mobilisations citoyennes contre les projets gaziers et pétroliers et contre les oléoducs sont du même ordre. C’est à coup de victoires partielles sur une multitude de terrains que le peuple québécois pourra se constituer en acteur politique et cesser de subir la colonisation des esprits.

Le Parti québécois fait partie du problème

À deux reprises déjà, le congrès de Québec solidaire s’est prononcé contre toute forme d’alliance électorale avec le PQ et pour que notre parti présente des candidatures dans toutes les circonscriptions. Il ne s’agit pas d’un caprice ou d’un excès de partisannerie mais de l’application concrète de nos principes. Québec solidaire existe parce que ses membres ont constaté, à un moment ou un autre de leur vie citoyenne, que le Parti québécois n’était pas un allié dans les nombreuses luttes dans lesquelles ils et elles étaient engagé-e-s, y compris la lutte pour le pays.

Pour ma part, c’était en 1982, quand le gouvernement Lévesque s’est retourné contre les travailleuses et travailleurs du secteur public et a nié leurs droits démocratiques pour réduire son déficit et satisfaire les milieux financiers. Pour plusieurs, le moment crucial a été l’adoption de la politique de déficit zéro par le gouvernement Bouchard en 1996. Et le bref passage au pouvoir du PQ de Mme Marois nous a confirmé dans nos jugements sur ce parti. Ce gouvernement a appuyé les projets pétroliers, cédé devant « l’angoisse fiscale » des riches, imposé l’indexation des frais de scolarité, bref il a poursuivi sur la lancée des politiques précédentes, ce qu’on appelle aujourd’hui l’austérité.

Aussi, pour moi, le peuple québécois est composé de toutes les personnes qui choisissent de vivre au Québec et nous devons défendre les droits de toutes les catégories de cette population, peu importe leurs origines ou leurs croyances. J’étais convaincu que le Parti québécois, malgré les déclarations malheureuses plutôt rares de certains de ses dirigeants, était attaché à ce principe et cherchait à inclure « les humains de l’horizon » dans son projet de pays.

C’est pourquoi j’ai été profondément choqué, je dirais même blessé, par le tournant « identitaire » adopté par le PQ suite à sa défaite historique de 2007, en troisième place derrière l’ADQ du démagogue de droite Mario Dumont. L’idée que la nation québécoise serait menacée dans son intégrité par le fait que quelques femmes travaillant dans les services publics cachent leurs cheveux avec des foulards est non seulement absurde mais dangereuse. Cette « panique laïque » s’inscrit dans un contexte mondial de guerres sans fin légitimées par la caricature des sociétés à majorité musulmane. Peu importe les justifications philosophiques et les bonnes intentions de certains partisans de la laïcité « à la française », il se trouve que ce modèle est un désastre qui ne fait que nourrir à la fois l’extrême-droite xénophobe d’une part et le fanatisme religieux violent de l’autre. 

Pour le mouvement indépendantiste, le fait d’adopter ce type de discours et de justifier, explicitement ou subtilement, la discrimination et le mépris envers certaines minorités, signifie un retour à une vision étroite de l’identité québécoise, plus proche du Canada français de Duplessis que du Québec de Lévesque. Pour ma part, j’adhère à l’interculturalisme, c’est-à-dire l’idée que le peuple québécois est un ensemble vivant et donc changeant et que son avenir passe par la convergence de nouveaux éléments autour du centre historique canadien-français. Autrement dit, la seule manière de maintenir le lien avec l’histoire est de s’orienter vers l’avenir et d’accepter le changement. Exclure d’avance ceux et celles qui pourraient ne pas s’identifier spontanément aux Patriotes ou aux censitaires de la Nouvelle-France nous condamne à un rétrécissement sans fin jusqu’à la peau de chagrin.

Nous avons maintenant subi trois campagnes politiques intenses de la part du « camp souverainiste » sur cette base : la Charte des valeurs, la campagne électorale québécoise de 2014 et la campagne du Bloc québécois l’automne dernier. Le résultat de ces trois campagnes a été de braquer bien des gens qui étaient soit souverainistes ou ouverts à le devenir dans le camp des Libéraux (provinciaux ou fédéraux), le parti du fédéralisme inconditionnel. Le dommage causé à la cause par ces opérations politiques démagogiques est difficile à mesurer. Peut-être est-il irréparable. Toujours est-il qu’il n’y a aucun signe de remise en question de cette stratégie du côté du PQ ou du Bloc présentement et qu’il revient donc aux autres organisations indépendantistes de travailler à réparer les pots cassés.

Aussi, la logique du tournant identitaire du PQ n’est pas une radicalisation indépendantiste mais une dérive vers l’autonomisme. C’était le sens de la « gouvernance souverainiste » de Mme Marois. Si le « nous » québécois ne comprend que la majorité historique enracinée en Nouvelle-France, il est bien vrai, comme le disait Péladeau, que nous « perdons un comté par année » avec l’immigration. Avec une telle vision, l’indépendance devient un slogan nostalgique et n’a plus rien d’un projet concret. Le seul espoir qui reste est celui de la survivance en se repliant sur les institutions provinciales. Legault l’a bien compris avec son tournant nationaliste pour la CAQ. Face à un PQ confus et au bord de sa nième crise existentielle, il saura jouer sur l’identitaire à plein sans soulever les peurs associées à l’indépendance. Ce faisant, il fera pression sur le PQ pour qu’il mette encore une fois la souveraineté en veilleuse sous peine de subir un sort similaire à celui de 2007 ou à ce que vient de vivre le Bloc.
Alors, on fait quoi ?

Certains parmi vous me diront : « Il reste tout de même la souveraineté comme point commun et le nouveau chef du PQ est un indépendantiste convaincu ! ». Je ne remets aucunement en question la sincérité de M. Péladeau. Son poing levé au début de la campagne de 2014 était trop malhabile pour avoir été un calcul cynique. Le fait est cependant qu’il ne s’est engagé à strictement rien sur le plan de la lutte pour l’indépendance jusqu’à maintenant, sauf la création d’une sorte de « think tank » souverainiste qui va produire des études. Rien n’indique qu’il ait l’intention de faire autre chose que Mme Marois, c’est-à-dire de faire part de ses convictions souverainistes en prenant bien soin de ne pas promettre de tenir un autre référendum ou d’enclencher un quelconque processus pouvant mener à l’indépendance.

Le problème est que le déclin des appuis pour l’indépendance est le produit du travail de sape du PQ lui-même, tant par sa « peur de faire peur » et son déni de la difficulté de la lutte que par sa servilité face aux intérêts du grand capital lorsqu’au pouvoir et, depuis quelques années, son mépris pour les droits des minorités et sa démagogie xénophobe.

Une autre perspective

Dans cette situation, vous comprendrez que nous hésitons beaucoup à associer notre parti indépendantiste de gauche au Parti québécois. Notre objectif ne devrait pas être de chercher à redorer le blason progressiste d’un parti qui a choisi un patron brutalement antisyndical comme chef, mais plutôt d’exprimer notre solidarité active avec les luttes des travailleuses et travailleurs. Se frotter au PQ de PKP n’aurait pas pour effet de rallier la population autour d’un projet commun mais de discréditer notre parti aux yeux de bien des gens avec qui nous devons nous unir pour mener toutes sortes de luttes, dont la lutte pour l’indépendance.

L’avenir de la lutte indépendantiste passe donc par le développement d’un mouvement qui se situe en rupture totale avec la stratégie péquiste passée et actuelle. Un mouvement qui place la souveraineté du peuple, la démocratie participative et la mobilisation citoyenne au cœur de sa stratégie. Un mouvement qui converge et se recoupe avec les mouvements sociaux pour l’écologie, le féminisme, la paix et la justice sociale. Ce mouvement pourra compter sur Québec solidaire pour ramener à l’Assemblée nationale des projets politiques concrets et rassembleurs comme l’assemblée constituante.

Bref, il faut en finir avec le mythe de la « grande famille souverainiste ». Québec solidaire n’a pas été formé, il y a bientôt dix ans, pour servir de Robin de gauche à côté d’un Batman péquiste. Nous serons les héros et les héroïnes de notre propre histoire. Je vous invite à l’écrire avec nous !

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