Héritier des penseurs du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud), il tente de combiner des facteurs culturels et plus généralement ceux définissant notre subjectivité première ; autant d’éléments que le déploiement capitaliste néolibéral des dernières décennies tend à remodeler en profondeur. D’où cette proposition originale d’une stratégie romantique, d’une forme de pensée et d’action à la fois réaliste et sensible, rationnelle et ré-enchantée.
S’inscrivant dans cette constellation romantique émancipatrice à laquelle appartient les Rousseau, Blake, Shelley, Hölderlin, Hugo, Morris, Bloch, Breton et autre Mariategui, Mouterde mobilise le romantisme comme sensibilité politique défendant une conception du monde dont la caractéristique centrale est la révolte, la protestation culturelle contre la civilisation capitaliste moderne au nom de certaines valeurs du passé. Ce que le romantisme refuse dans la société industrielle/bourgeoise moderne, c’est avant tout le désenchantement du monde, c’est le déclin ou la disparition de la religion, de la magie, de la poésie, du mythe, c’est l’avènement d’un monde entièrement prosaïque, utilitariste, marchand. Un romantisme qui proteste aussi contre la mécanisation, la rationalisation abstraite, la réification, la dissolution des liens communautaires et la quantification des rapports sociaux. Une révolte qui se fait au nom de valeurs sociales, morales ou culturelles prémodernes — présentées comme traditionnelles, historiques, concrètes — et qui constitue, à plusieurs égards, une tentative désespérée de ré-enchantement du monde.
Loin d’épouser les vues d’un certain romantisme réactionnaire nostalgique du passé, le romantisme défendu par l’auteur propose plutôt un détour par le passé communautaire pour aller vers l’avenir utopique : la nostalgie des époques précapitalistes est investie dans l’espérance révolutionnaire d’une société libre et égalitaire. L’adversaire des romantiques, c’est le capitalisme. Un système qui produit, à l’échelle planétaire, la dispersion, la fragmentation et la massification, et en opposition duquel le défi est d’unifier ceux et celles qui en sont victimes. D’où cette nécessité de la stratégie, ce besoin de construire, patiemment, rationnellement, obstinément, cette unification des protestations, des luttes et des résistances antisystémiques. C’est à la stratégie de prendre en charge les désirs et les sensibilités romantiques, et ainsi, selon la belle formulation de Nietzsche que fait sienne Pierre Mouterde, de « changer en lumière et en flamme tout ce que nous sommes ».
Sociologue et philosophe, Pierre Mouterde est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas, Repenser l’action politique de gauche et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation, en plus d’avoir dirigé l’ouvrage collectif L’avenir est à gauche.
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