Je pourrais commenter les valses-hésitations du Parti libéral mais ce n’est pas nécessaire : tout le monde l’a fait.
Je vais plutôt analyser un mémoire qui m’a beaucoup troublée, à cette fameuse commission parlementaire à laquelle je participe de mon mieux… avec trois minutes par séance, questions et réponses incluses !
Ce mémoire est celui du Rassemblement pour la laïcité et il a été présenté par nulle autre que Martine Desjardins, accompagnée de Ferid Chikhi. Je savais, évidemment, que ce regroupement appuyait la charte péquiste et j’étais disposée à entendre ses arguments. J’ai été tout de même saisie par certains raccourcis plutôt surprenants.
Par exemple :
Page 3 : « Encourager les demandes d’accommodements et le port de signes religieux (…) comme le suggère la commission Bouchard-Taylor »… Quoi ? On n’a certainement pas lu le même rapport !
Page 7 : « Pouvoir travailler pour l’État n’est pas un droit mais un privilège ». Je tombe de ma chaise : ces milliers d’infirmières, de travailleuses sociales, d’enseignants-es, de fonctionnaires discrets et efficaces…doivent considérer que l’obtention de leur emploi constitue un privilège ? On parle ici d’emplois occupés majoritairement par des femmes (tiens, tiens…) qui s’occupent avec compétence et générosité de nos enfants, de nos malades, de nos aînés-es, etc… Un privilège, ça ?
Page 11 : « La surenchère de demandes d’accommodements n’est pas là pour aider ». Quelle surenchère ? Où ? Depuis le temps que nous demandons des études au gouvernement pour étayer son discours de crise, on voudrait savoir : il y a surenchère ou non ?
Page 19 : « Le signe religieux porté par un professeur (universitaire)… peut freiner la liberté de parole et d’analyse de certains collègues ou élèves ». Attendez, on parle ici de profs et élèves universitaires…ceux-là mêmes qui nous ont donné un magnifique printemps érable ? Ces jeunes-là ne seraient pas capables de critiquer les politiques de l’État d’Israël devant un prof qui porte la kippa ? Pas capables de se prononcer sur la misogynie de l’église catholique ou des règles conservatrices islamiques devant un-e prof portant une croix ou un hidjab ?
Et la cerise sur le sundae : « Parmi les opposants à la charte, nombre de personnes s’inscrivent dans une mouvance intégriste ». Et plus loin : « Ils sont, à quelques exceptions près, victimes de leur crédulité, de leur naïveté et de leur ignorance de la religion musulmane telle que pratiquée par la grande majorité des musulmans. Ils deviennent les premières victimes de la manipulation à grande échelle orchestrée par les islamistes » (page 20).
Me revoilà « idiote utile » (merci Djemila Benhabib) parce que je suis en désaccord avec une mesure de la charte péquiste qui me paraît inutilement discriminatoire envers les femmes et ne règle rien du tout quant à la préoccupation hautement légitime de la montée du conservatisme religieux dans nos sociétés. Rien ne justifie un pareil mépris à l’égard des opposants-es à la charte péquiste. Sinon, un manque flagrant d’arguments rigoureux ?
En commission, monsieur Chikhi taxera les manifs anti-charte d’ « haineuses à l’égard du Québec ». Voilà un raccourci dommageable aux personnes et aux communautés qui sont venues dire à la fois leur amour du Québec et leur désarroi devant une mesure (l’interdiction du port des signes religieux dans les services publics) qui leur apparaît stigmatisante. Monsieur Chikhi fera état aussi des craintes de plusieurs employeurs à embaucher des arabo-musulmans, craintes justifiées selon eux, par l’appréhension de demandes d’accommodements déraisonnables. Ce qui surprend c’est qu’il ne fera aucune critique de ces employeurs plutôt peureux et mal renseignés et ne fera aucune proposition au gouvernement pour qu’il prenne la responsabilité de mieux informer les employeurs québécois de la réalité des populations arabo-musulmanes.
Bien sûr, il y a dans ce mémoire de bonnes recommandations touchant l’emplacement du crucifix à l’Assemblée nationale, par exemple, ou l’extension de l’obligation de donner des services à visage découvert aux garderies privées non-subventionnées.
Je déplore toutefois d’énormes raccourcis qui viennent entacher, à mes yeux, la crédibilité du discours du Rassemblement pour la laïcité. Il n’est pas seul, sur cette patinoire glissante des apparences trompeuses et des préjugés. D’autres font des amalgames douteux et constamment repris par le ministre, sur la situation des écoles dans les années soixante et la situation d’aujourd’hui. Des phénomènes historiques sont réinterprétés pour justifier les exclusions d’aujourd’hui. Douteux… J’y reviendrai.
En terminant, j’ai appris que plusieurs femmes pro-charte auraient été victimes d’intimidation après le passage en commission parlementaire du Rassemblement pour la laïcité. Comme vous venez de le lire, je ne suis pas d’accord avec tous les arguments présentés par cette organisation mais je tiens à condamner fermement toute manœuvre d’intimidation à son encontre ! On a beau avoir des désaccords, il s’agit d’un débat démocratique qui doit se tenir dans le respect.