Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Les présages du mouvement Occupy

Occupy. C’est un mouvement d’une nouvelle génération, mais c’est aussi la voix des travailleurs et travailleuses de tous les âges, furieux devant le déclin inexorable de leur condition d’existence et devant la croissance des inégalités économiques.

Alors qu’il prend de l’élan, le mouvement montre que nous avons le pouvoir de résister aux attaques sans fin qui nous frappent – et de gagner.

Après la manifestation massive du 15 octobre dans le centre de Manhattan – qui a réuni plus de 100’000 personnes dans le cadre d’une journée internationale d’action à laquelle on estime que 1 million de personnes ont participé – il est évident, si cela n’était pas déjà le cas, que le mouvement Occupy plonge plus profondément ses racines dans la société et élargit sa base au-delà de la lutte qui a commencé quatre semaines plus tôt.

Même le New York Times (NYT) – habituellement dédaigneux des mouvements sociaux, lorsqu’il ne les ignore pas totalement – a dû reconnaître ce qui se passait [1]. « Alors que les manifestants semblent unis dans le sentiment que le système est construit contre eux, avec des règles écrites pour bénéficier au riche et à l’influent, ils sont aussi souvent en colère au sujet de questions plus proches de leur domicile », écrit le NYT.

Certes, les doléances des travailleurs des États-Unis se sont accumulées – pas seulement depuis le krach économique de 2008, mais depuis des décennies. La National Public Radio, qui a ignoré le mouvement Occupy durant la plus grande partie de ces deux premières semaines, s’est sentie obligée de reconnaître la pertinence des revendications des manifestants en traitant un sujet faisant état de la stagnation des salaires aux États-Unis depuis 38 ans [2].

Voici pourquoi le mouvement Occupy a pris feu. Un groupe de quelque 500 personnes a établi son premier campement dans le parc Zuccotti, près de Wall Street, déterminé à mettre en lumière la cupidité et la corruption des « 1% ». Il y a eu ensuite la brutalité de la police new-yorkaise – pulvérisation de spray au poivre sur les visages des manifestants capturée en vidéo, les arrestations massives sur le pont de Brooklyn.

Mais l’étincelle a pris parce qu’il y avait du bois sec en de nombreux endroits. Si l’on y ajoute les turbulences sur les marchés financiers en août, les nouvelles d’un ralentissement de la croissance économique – avec une période de beau temps sur la côte Est – voilà que les conditions étaient réunies pour que les manifestations Occupy puissent s’étendre.

Bien sûr, le mouvement ne vient pas de nulle part. Il a été inspiré en partie par la révolution égyptienne, avec ses mobilisations de masse à la Place Tahrir, ainsi que le mouvement « indignad@s » en Espagne et en Grèce, où des masses de jeunes campèrent dans les parcs publics. Aux États-Unis, il y a eu l’occupation, sous la houlette du mouvement des salarié·e·s, du Capitole du Wisconsin l’hiver dernier contre le gouverneur républicain qui prenait des mesures anti-syndicales et faisait des coupes sauvages dans les dépenses sociales.

OWS [Occupy Wall Street] a rapidement montré qu’il pouvait susciter le même type de solidarité que celui qui a été vu au Wisconsin. La grande marche de solidarité syndicale, le 5 octobre dernier, dans laquelle étaient impliqués les plus grands syndicats de New York, montra que OWS ne représentait pas des actions menées par un groupe de marginaux, ainsi que les médias institutionnels les dépeignent, mais un mouvement de la classe laborieuse, animé par des jeunes, mais s’appuyant sur la sympathie et le soutien de millions de personnes.

Les groupes Occupy qui ont exigé des semaines de planification ont pris leur essor d’un seul coup à Boston, à Los Angeles et dans d’autres villes ; d’autres sont apparus du jour au lendemain. Un nouveau mouvement social est né.

Les ennemis du mouvement Occupy – et même certains de ses amis auto-proclamés – se moquent des activistes pour leur supposé manque de revendications.

C’est être à côté de la plaque. Comme dans le Wisconsin, l’acte même d’occuper un espace public et de revendiquer la liberté de s’exprimer a été un puissant aimant pour tous ceux qui se sentent isolés et impuissants alors qu’ils ont subi les coups de la récession et ses conséquences.

Soudain, ceux et celles qui ont rejoint les occupations pouvaient ne plus tenir compte de l’idée répandue que c’était en raison de leurs propres mauvais choix ou de la malchance qu’ils se retrouvaient sans emploi ou dans l’incapacité de payer leur prêt hypothécaire ou encore sans assurance maladie – ou les trois ensemble. Ce que Occupy a rendu visible n’est autre que ceux-là même qui ont une responsabilité centrale dans l’existence de ces maux sociaux : les super-riches, le 1%, ainsi que les politiciens et les bureaucrates qui se sont vendus.

Les occupations sont devenues des centres d’éducation politique, avec des « teach-ins » portant souvent sur des sujets qui vont du Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels en passant par la composition de la classe dominante locale dans différentes villes jusqu’au rôle de l’égalité LGBT [Lesbian, Gay, Bisexual and Transgendered people] dans la lutte. De nouvelles personnes gagnées au militantisme et des « vétérans » sont devenus partie prenante des discussions qui ont donné vie à l’histoire cachée de la lutte de classes et des courants radicaux qui ont toujours été au centre de toute avancée pour les travailleurs et travailleuses aux États-Unis.

Les occupations sont tout sauf des lieux de bavardages. Les activistes d’OWS, par exemple, ont organisé la solidarité avec des luttes sur des lieux de travail, y compris la lutte des travailleurs de la maison de vente aux enchères Sotheby’s qui sont sous le coup d’un lock-out [3]. D’autres activistes ont protesté contre la vente aux enchères d’une maison saisie. Et partout aux États-Unis, le mouvement Occupy a contribué à ce que les manifestations d’opposition marquant le 10e « anniversaire » de l’invasion américaine militaire de l’Afghanistan atteignent un nombre plus important de participant·e·s et qu’elles soient plus radicales politiquement.

En fournissant un centre de débat, d’orientation et d’organisation, les occupations ont été en mesure de servir de plate-forme militante pour des personnes qui n’ont jamais été impliquées politiquement auparavant, ou même qui se considéraient comme politisées.

Ceux qui ont été attirés par le message général du mouvement Occupy, un message d’opposition à l’avidité des entreprises et à la domination du grand business sur la politique, peuvent se rencontrer et travailler ensemble avec des personnes ayant des intérêts similaires. Les nombreux débats – de comment négocier avec la police jusqu’à « est-ce que le capitalisme pourrait être un système économique juste ? » – ont forgé des réseaux de jeunes activistes qui seront au centre de nombreuses luttes à venir.

En bref, Occupy est en train d’aider à construire une nouvelle gauche à un niveau jamais vu aux Etats-Unis ces quarante dernières années ; une gauche qui est enracinée dans la classe ouvrière. Zack Pattin, un docker de 25 ans de Tacoma (État de Washington), qui a campé à Occupy Seattle, a résumé cette dynamique [4] : « C’est l’une des choses les plus étonnantes que j’aie jamais vues… C’est exactement le type de chose que nous avons besoin pour vivifier le mouvement de la classe ouvrière. C’est un mouvement ouvert, il s’adresse largement, et il transmet des orientations radicales à différentes sections de la population qui constituent les « 99% ». Il est absolument crucial que la classe ouvrière, les travailleurs pauvres et les chômeurs s’impliquent et s’expriment pour façonner ce mouvement. D’ici, je ne vois qu’un effet boule de neige. »

Il y a beaucoup de défis à relever. L’une des questions les plus centrales en ce moment, par exemple, est comment faire face aux efforts de la police pour briser les campements. Ensuite, il y a les politiciens démocrates, « à double face » – de Barack Obama jusqu’à la base – qui lancent des « bruits » sympathiques au sujet du mouvement Occupy, même pendant qu’ils organisent la campagne de collecte de fonds [pour la présidentielle de 2012] auprès de Wall Street.

En général, les activistes du mouvement Occupy dans chaque ville devront arriver à s’attaquer à des questions allant de comment soutenir le mouvement et comment peut-il plonger ses racines dans les luttes locales de la classe ouvrière, juqu’à l’organisation de groupes pour stopper les saisies de maisons ou s’opposant aux brutalités policières racistes.

Mais, à ce stade, quoi qu’il arrive, Occupy a déjà changé les points de référence de la politique américaine. Désormais, le haineux et financé par les entreprises Tea Party ne peut plus prétendre parler au nom de la majorité des mécontents. Les travailleurs ont trouvé leur propre expression politique – et ils ne garderont plus le silence.

C’est pourquoi il est si important que tous ceux qui soutiennent le mouvement Occupy s’y impliquent et construisent la riposte. (Traduction A l’Encontre ; éditorial publié le 19 octobre 2011)

socialisteworker.org est le site de l’ISO (International Socialist Organization) aux États-Unis.

Notes

[1] http://www.nytimes.com/2011/10/18/us/the-occupy-movements-common-thread-is-anger.html?_r=1

[2] http://www.npr.org/2011/10/18/141421746/income-disparity-and-the-price-of-civilization

[3] http://www.dnainfo.com/20111018/upper-east-side/occupy-wall-street-targets-sothebys

[4] http://socialistworker.org/2011/10/17/reports-from-occupy-everywhere

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