Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Les élections fédérales, y a-t-il des perspectives pour la gauche au Québec et dans le reste du Canada ?

La question qui se pose maintenant pour la gauche dépasse la stricte position électorale. La montée conservatrice dans la plupart des provinces (6 sur 10) ajoutée au discours clivant du premier ministre conservateur de l’Alberta Jason Kenney contre les politiques environnementales d’une part et la descente du NPD qui à toutes fins pratiques n’a pas su représenter une alternative à cette montée de la droite, nous place devant une réflexion importante concernant la construction d’une alternative de gauche.

L’appui traditionnel aux partis sociaux-démocrates a toujours été basée sur une perspective de positionnement de classes et comme défi aux politiques réformistes afin d’amener la classe ouvrière à rompre avec de telles politiques et adhérer à une perspective anticapitaliste. Or l’État canadien, de par sa nature historique d’oppression nationale du Québec a toujours rendu cette application plus complexe. Le NPD, s’étant toujours opposé à toute rupture de la fédération canadienne, ne pouvait apparaître comme une alternative pour la population ouvrière québécoise. Ce qui l’a maintenu dans l’impossibilité de gagner une élection fédérale, sauf en 2011 au moment où le Bloc Québécois s’est effondré suite à la série de défaites du PQ auquel il était associé et à son absence de perspectives. Devant l’offensive des conservateurs de Stephen Harper l’axe nationaliste s’était transformé en axe gauche-droite.

Portrait de la situation

Le NPD est maintenant tombé à son plus bas taux d’appui depuis cette montée fulgurante où il avait obtenu 103 sièges dont 59 au Québec, avec près de 31% des voix. Piégé par le leader du Bloc québécois Gilles Duceppe en 2015 sur la question identitaire et le port du Niqab, Mulcair avait perdu son avance et amorcé sa descente. Trudeau avait également dépassé le NPD sur sa gauche en promettant d’investir plus et en maintenant le déficit. Le NPD avait terminé avec 19,71% des votes et 44 sièges dont 16 au Québec.

Le Bloc Québécois qui s’était effondré en 2011 avec seulement 4 députés était remonté à 10 en 2015, très loin cependant de ce qu’il avait connu dans ses années de gloire où il avait une cinquantaine de députés.

L’intervention de Justin Trudeau auprès de la procureure générale Jody Wilson Raybould dans l’affaire SNC-Lavalin, a entrainé le Parti Libéral dans une chute dont on ne sait quand il pourra se relever.

Un récent sondage a révélé un recul du PLC dans les intentions de vote particulièrement au Canada anglais. Alors qu’il cherche à imposer une taxe sur le carbone, un véritable front d’opposition des élites gouvernementales au Canada anglais a commencé à se construire contre le gouvernement Trudeau, qui, à la faveur d’une atmosphère de Québec bashing apparaît dans le Rest of Canada (ROC) comme dévoué à la seule défense des emplois d’une entreprise québécoise (SNC-Lavalin) alors qu’il ne montrerait pas le même zèle pour la défense des entreprises au Canada anglais et particulièrement celles du secteur des énergies fossiles. (1)

En effet, le seul endroit où les Libéraux sont en avance est au Québec, où ils mènent avec 36,5% des intentions de vote devant les conservateurs avec 22,7% suivi du BLOC avec 18,7%, du NPD à 13,2% et du Parti Vert à 6%. Libéraux et Conservateurs sont cependant nez à nez dans les provinces maritimes.
L’achat de l’oléoduc Trans Mountain ainsi que tous les actifs de base de Kinder Morgan avait pourtant démontré l’incapacité du Parti Libéral de s’engager dans la transformation écoénergétique face aux pressions de l’industrie pétrolière. Mais c’est insuffisant pour la droite conservatrice.

Le parti traditionnel de la bourgeoisie canadienne de Bay street n’aura pas réussi à maintenir son emprise politique durant plus d’un mandat si la situation persiste, après neuf ans de règne conservateur.

Dans ce contexte le NPD ne présente malheureusement aucun attrait comme alternative politique de gauche. Il s’inscrit dans la logique d’austérité et peine à se positionner contre l’économie extractiviste. Si la faillite du NPD en 2015 a été causée en bonne partie par le piège identitaire autour du serment d’allégeance à visage découvert posé par le leader du Bloc Gilles Duceppe, ses politiques économiques néolibérales ont contribué à faire ressortir le Parti Libéral de Trudeau comme plus à gauche.

L’ex Première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, avait promis l’an dernier d’obtenir la prolongation du pipeline Trans Mountain et menaçait de réduire les exportations de pétrole vers la Colombie-Britannique pour la punir de son intransigeance. Les gouvernements de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, les deux seuls détenus pas le NPD, ont ainsi contribué à approfondir la crise du NPD fédéral, qui n’a pas adopté de position consistante sur cette question. Jagmeet Singh a ainsi navigué de façon sélective, parfois en s’opposant à l’oléoduc Trans Mountain, parfois en lui donnant un appui conditionnel.

Le NPD est incapable de concevoir l’importance de la lutte de libération nationale du Québec contre la domination de l’État canadien et de ses institutions justement parce qu’il s’inscrit dans une perspective de réforme de ces institutions, dans un cadre fédéral d’un État contrôlé par les institutions financières et les multinationales. Plusieurs générations ont tenté en vain, l’une après l’autre de changer son parcours, le dernier en lice étant le groupe autour du Leap manifesto.

Le Bloc québécois a quant à lui défendu le nationalisme identitaire et les politiques tant néolibérales qu’extractivistes. Il ne peut représenter objectivement une alternative, c’est une évidence. En ne se présentant qu’au Québec, il participe à perpétuer le clivage avec la population du reste du Canada qui elle aussi est en recherche de solutions. Il participe ainsi à nourrir un nationalisme identitaire et à propager une image repoussante de la souveraineté. Un cul de sac à tous les niveaux.

La perspective défendue par le nouveau chef Yves-François Blanchet, ne fait que répéter celle utilisée par Gilles Duceppe, soit la défense des intérêts du Québec à Ottawa mais avec une vision plus étroite, soit celle de la défense unilatérale des positions du gouvernement de François Legault dont il se considère le porte-parole à Ottawa. Il perpétue la contradiction dans laquelle Duceppe s’était empêtré, en faisant la preuve que le parlement canadien et le fédéralisme s’accommode bien des souverainistes en son sein.

Les provinces canadiennes de plus en plus conservatrices

Les élections en Colombie Britannique avaient donné lieu en mai 2017 au premier gouvernement minoritaire en 65 ans dans la province, après que les libéraux eurent raflé 43 sièges, contre 41 pour le NPD et trois pour les verts. Avec trois candidats élus dans l’île de Vancouver, le Parti vert avait réussi à atteindre un score historique et la balance du pouvoir.

Son chef, Andrew Weaver, avait ainsi indiqué qu’il exigeait une entente concernant le financement des partis politiques afin de bannir les dons des entreprises et des syndicats, comme condition pour donner son appui à l’un ou l’autre parti. Un mois plus tard le nouveau gouvernement perdait l’appui du parlement dans un vote de confiance perdu à 44 contre 42, le NPD formant un gouvernement de coalition avec le Parti Vert. Il faut donc en conclure que le NPD était d’accord avec la fin du financement des syndicats aux partis politiques.

Les élections en Alberta viennent de porter au pouvoir un gouvernement conservateur. Pour le PDG de Tamarack Valley Energy Brian Schmidt, l’élection du gouvernement de Jason Kenney permettra à l’Alberta de redevenir la terre d’accueil de l’investissement dans l’or noir. Ce dernier menace d’ailleurs de couper l’approvisionnement de pétrole à la Colombie-Britannique, (comme l’avait fait sa prédécesseure) si le gouvernement continue de s’opposer au projet Trans Mountain.

À l’Ile du Prince Édouard, les conservateurs forment un gouvernement minoritaire avec 36,5% du vote et 12 députés, suivis par deux partis dont le vote est presqu’égal, le Parti Vert à 30,6% et 8 députés et le Parti Libéral à 29,5 et 6 députés. Aucun du NPD n’a été élu. Le Nouveau-Brunswick a vu élire l’an dernier un gouvernement conservateur malgré un pourcentage de vote plus bas que les libéraux, le Parti vert a connu une montée passant de 1 à 3 députés.

Au total 6 provinces sur 10 incluant le Québec ont fait élire au cours des dernières années des gouvernements à tendance conservatrice, trois sont libérales et une NPD en coalition avec les Verts.

Il y a urgence. On ne peut plus laisser ce champ politique sans perspectives de gauche. Le NPD ne peut plus représenter un instrument de construction d’une alternative comme la gauche canadienne l’a toujours souhaité et nous ne pouvons au Québec observer la scène fédérale et la montée de la droite conservatrice en attendant de réaliser un Québec indépendant. La population ouvrière du reste du Canada a aussi besoin d’une alternative politique de gauche qui saura lutter contre l’austérité néolibérale et pour la mise en place de politiques environnementales. Pour y arriver il faut lier nos luttes contre l’austérité et pour l’environnement, dans le respect des peuples autochtones et avec la compréhension que l’indépendance du Québec est un pas en avant vers un changement de société qui modifiera le rapport de force du mouvement ouvrier, mais pas seulement au Québec. C’est un pas en avant pour un changement contre la domination de l’État canadien tel qu’il est présentement, contre la population ouvrière.

Plusieurs militants et militantes du ROC et du Québec ont travaillé au cours des dernières années à mettre sur pied un réseau politique pan canadien. Il est maintenant temps de s’atteler à la construction d’une alternative politique de gauche.

(1) Presse-toi à gauche, Quand le système de copinage des élites se grippe, Bernard Rioux

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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