Shararmini Peres : La prolongation de 4 mois (de l’aide internationale) arrachée par le Ministre des finances grec M. Yanis Varoufakis vendredi (le 27 février 2015) est soumise à la condition que la Grèce fournisse une liste de mesures qui seront appliquées pour apaiser les inquiétudes des prêteurs, spécialement les banques allemandes. Elles étaient représentées à Bruxelles par les ministres des finances. Ils craignent qu’Athènes ne tiennent pas ses promesses de couper dans les dépenses et de maintenir les mesures d’austérité. Le dimanche suivant, Athènes a fourni cette liste. Nous discutons de ce plan avec Michael Hudson. Son prochain livre s’intitule : Killing th Host : How Financial Parasites and Debt Bondage Destroyed the Global Economy.
Donc, Michael ces banques internationales, représentées à Bruxelles par les ministres des finances, quand elles étaient en crise et que nous les avons « sauvées » via les fonds publics elles ne se plaignaient pas ! Pourquoi, en ce moment, refusent-elles d’aider la Grèce qui en a bien besoin. Alors même que certains politiciens-nes et la « troïka » sont plus réceptifs au discours de la Grèce ?
M. Hudson : Parce que ce dont il est question ici, c’est d’une véritable guerre de classes. Malgré ce que disent les journaux, ce n’est pas tant l’Allemagne contre la Grèce. C’est la guerre des banques contre la classe ouvrière. C’est la poursuite du thatchérisme et du néolibéralisme. La « troïka » ne veut pas simplement que la Grèce arrive à avoir un budget équilibré, elle veut que ce soit fait en diminuant les salaires et en imposant l’austérité aux travailleurs-euses. M. Varoufakis, au contraire veut y arriver en imposant l’austérité à la classe d’affaire, aux grands-es possédants-es, aux artistes de l’évasion et de l’optimisation fiscales. Il propose qu’au lieu de diminuer les pensions des travailleurs-euses et des retrraités-es, qu’au lieu de rétrécir le marché intérieur et de poursuivre une politique d’austérité autodestructive, il aille chercher deux milliards et demi d’euros chez les ultras riches du pays. Il va récolter les taxes qu’ils doivent au gouvernement. Il va poursuivre ceux et celles qui pratiquent le trafic illégal du pétrole et les autres des réseaux de propriétaires immobiliers qui ne payent pas leurs taxes. Il est bien connu maintenant, qu’en Grèce, la classe possédante fait tout pour ne pas payer ses impôts et ses taxes.
Cela a rendu les banques furieuses. Il se trouve que les ministres des finances de l’Europe n’étaient pas du tout d’accord pour que l’équilibre du budget grec se fasse en taxant les riches. Les banques savent bien que tout ce que ces riches peuvent éviter de payer en impôts et taxes arrivera dans leurs coffres. Donc, en ce moment, on a jeté le gant et la guerre de classe est déclenchée.
Au point de départ, Varoufakis pensait qu’il allait négocier avec la « troïka », c’est-à-dire le Fonds monétaire international (FMI) la Banque centrale européenne et le Conseil de la zone euro. Mais ils lui ont annoncé que c’était avec les ministres des finances que les négociations se tiendraient. Les ministres des finances en Europe c’est un peu comme Tim Geithner aux États-Unis ; ils sont les lobbyistes des grandes banques. Alors, ils se sont dit : comment pourrions-nous démolir cela et être sûrs de donner une bonne leçon à la Grèce ? Un peu le même traitement que les États-Unis ont fait subir à Cuba en 1960.
S.Peries : Un moment Michael. Il faut expliquer cela. M. Varoufkis, le ministre des finances grec est bien renseigné et bien positionné pour mener cette négociation. Alors pourquoi pensait-il négocier avec la « troïka » alors qu’il négociait avec les ministres des finances ?
M.Hudson : Parce qu’officiellement c’est avec la « troïka » qu’il négociait. Il les a crus sur parole. Alors il s’est rendu compte…Hier, James Galbraith, qui l’avait accompagné en Europe, a publié un descriptif dans la revue Fortune où il dit que les ministres des finances se querellaient avec la « troïka ». Ils se battent entre eux pour savoir exactement ce qui doit être fait. Et pour en rajouter, le ministre des finances allemand, M. Schäuble a exigé que ceux d’Espagne, du Portugal et de la Finlande soient d’accord sur l’entente qui allait être décidée.
L’objectif de l’Espagne est de maintenir au pouvoir son gouvernement néolibéral thatchériste. Si la Grèce est autorisée à abandonner l’austérité et à aider ses travailleurs-euses, Podemos, en Espagne aurait des chances de gagner les prochaines élections jetant ainsi l’élite conservatrice hors du pouvoir. Donc, les dirigeants-es espagnol-es tentent de s’assurer de mettre en échec M. Varoufakis et son parti, Syriza. Alors ils pourront dire à leur classe ouvrière : « vous voyez ce qui arrive en Grèce ; ils sont écrasés et c’est ce qui vous arrivera si vous votez comme eux. Si vous essayez de taxer les riches, si vous essayez de vous en prendre aux banques et d’empêcher les détournements de fonds, vous allez au désastre » !
Donc l’Espagne et le Portugal veulent imposer l’austérité à la Grèce. Même l’Irlande s’est pointé le nez et a déclaré : « Grand Dieu qu’avons-nous fait ? Nous avons imposé l’austérité pendant dix ans pour sauver les banques. Même le FMI nous a critiqués pour avoir été d’accord avec l’Europe pour sauver les banques en imposant l’austérité. Si Syriza gagne en ne l’utilisant pas, cela voudrait dire que tous les sacrifices de nos populations, toute la pauvreté imposée, tout le thatchérisme que nous avons installé ne valait rien et que nous n’avions pas raison d’utiliser ce moyen ».
Il y a donc un effet de démonstration fait par la Grèce qui est presque un symbole pour la classe ouvrière : il y a moyen de s’en sortir sans l’austérité : collectons les taxes et impôts chez ceux et celles qui font tout pour ne pas en payer.
Rappelez-vous qu’il y a quelques années, l’Europe a annoncé que la Grèce avait cinquante milliards d’euro de dette étrangère. La Banque centrale a donné aux partis politiques une liste des fraudeurs-euses de l’impôt. On l’appelait la liste Lagarde (du nom de Mme Christine Lagarde actuelle présidente du FMI). Elle contenait tous les noms des fraudeurs-euses de l’impôt qui avaient des comptes en Suisse. Il y en avait pour cinquante milliards d’euro. Donc, d’une certaine façon, la Grèce aurait pu payer ses dettes sans emprunter. Elle aurait pu réclamer ces sommes auprès de ses fraudeurs-euses.
Mais cela voulait dire aller contre les intérêts des banques suisses et des autres. D’une certaine façon, les banques se seraient payées elles-mêmes. Ce qu’elles ne veulent pas. Elles veulent que l’impôt soit tiré du travail et laisser les super riches et les « éviteurs-euses » d’impôts et de taxes continuer à voler leur gouvernement. En fait, la « troïka » mais surtout les ministres des finances soutiennent les fraudeurs-euses à qui Syriza veut s’attaquer. Même le Président Obama s’en est mêlé. Il a appelé la chancelière Merkel et lui a dit : « vous ne pouvez pousser l’austérité que jusqu’à un point donné. Si vous le dépassez, vous poussez la Grèce hors de l’Euro sur la base des engagements de Syriza. Il pourra alors se tourner vers la population grecque et dire : nous avons tenu nos promesses ; nous avons arrêté l’austérité. Nous ne sommes pas sortis de l’Euro, on nous en a exclus. C’est un événement de la guerre de classe ».
S.Peries : Michael, plus tôt vous avez fait une analogie entre ce qui se passe en Grèce et ce qui s’est passé à Cuba…
M.Hudson : À Cuba, Castro voulait créer un système alternatif. Il voulait répandre la richesse ; c’était une sorte de marxisme. Il voulait en finir avec les bandits qui entouraient Batista et dirigeaient le pays, avec les riches qui ne payaient pas leurs taxes et impôts ; il voulait faire une révolution sociale. Alors, le gouvernement américain a pris peur. Si Cuba réussissait, la révolution allait se répandre dans toute l’Amérique latine. Les peuples d’Amérique latine pourraient se rendre compte qu’ils pouvaient exproprier les compagnies sucrières, les compagnies productrices de bananes et obliger les riches, les entreprises et les exportateurs à payer leurs taxes et impôts en plus de payer leurs employés-es. On peut éduquer les travailleurs-euses, les syndiquer. Alors si Cuba enclenchait cela c’était un désastre pour le plan néolibéral ; si la classe ouvrière est éduquée et a son programme, elle va prendre conscience qu’il existe une alternative au thatchérisme.
Yanis Varoufakis a publié un article à ce sujet au début du mois (février) dans The Gardian ; sur comment il était sorti du mouvement marxiste. Il expliquait que le problème auquel la Grèce fait face est qu’en cas de sortie de l’Euro ou si on la poussait hors de l’Euro, cela créerait un traumatisme économique. La gauche européenne tout comme celle des États-Unis, n’a pas de programme économique. Alors, la seule alternative à Syriza en Grèce qui ait un programme économique, c’est Aube dorée , mouvement néo nazi. Donc, non seulement M. Varoufakis doit-il composer avec les ministres des finances européens mais aussi les partis de droite grecs qui sont des partis nationalistes comme celui de Marine LePen en France. Ces partis se présentent en brandissant leur alternative : sortir de l’Euro.
Ce n’est ni ce genre d’alternative ni de retrait que souhaite la gauche. Mais la gauche n’est pas réellement très forte en Grèce en dehors de Syriza qui est un petit parti. Le parti socialiste de Papandreou n’est surement pas un parti de gauche. Ailleurs en Europe ce n’est pas mieux ; le parti dit socialiste en Espagne est un parti thatchériste et le British Labour Party en Angleterre a été modelé par Tony Blair.
M. Varoufakis a donc quatre mois pour faire comprendre au peuple grec qu’en fait il y a une alternative, la voici : elle n’a pas besoin d’être celle de la droite nationaliste. Il existe une alternative socialiste : nous tentons d’arriver aux meilleurs arrangements possibles pour que, si nous sommes poussés en dehors de l’Euro et si les banques nous poussent nous avons un plan B. Il faut bien faire comprendre que ce sont les ministres des finances allemands, espagnols, portugais, irlandais et finlandais qui poussent les Grecs en dehors de l’Euro, pas le FMI, ni la Banque centrale européenne et même pas les gouvernements centristes.