Édition du 17 décembre 2024

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Politique d’austérité

Services direct de santé à la population : Les fantasmes du ministre

Depuis quelques mois, le ministre de la Santé du Québec accuse, jour après jour, les médecins omnipraticiens d’être soit des paresseux, soit des profiteurs. En raison de son arrogance et de son ignorance de la réalité que nous vivons chaque jour, il est très clair pour nous que cette réforme de la santé menée tambour battant ne sera pas sans impacts négatifs sur les services directs aux patients et sur la santé publique.

Publié le 25 février 2015 par Dr Pierre Coté - tiré de Fugues

Ouverte depuis 1997 et située au cœur du centre-ville, la Clinique médicale du Quartier Latin de Montréal est reconnue au Québec comme étant une pionnière de la médecine urbaine. En plus d’offrir des services de médecine de première ligne et de suivi de grossesse, elle regroupe plus de 20 professionnels engagés auprès d’une clientèle vulnérable aux prises avec des problématiques particulières : usage de drogues, travail du sexe, VIH, hépatites virales, infections transmissibles sexuellement ou par le sang (ITSS). De plus, de nombreux patients traités à la Clinique n’habitent pas nécessairement le centre-ville ; ils proviennent souvent des autres arrondissements et même de l’extérieur de la ville.

En 2003, l’Agence régionale de la santé de Montréal nous demandait de présenter un projet clinique basé sur le modèle des groupes de médecine familiale (GMF) tout en maintenant les soins spécifiques pour nos patients. Comme dans les autres GMF, les particularités dans le suivi de certaines clientèles telles que les femmes enceintes ou les personnes infectées par le VIH étaient reconnues. Une pondération était accordée : ainsi, un suivi de grossesse nécessitant en moyenne 12 visites comptait pour 7 inscriptions et un patient VIH comptait pour 4 patients inscrits étant donné la complexité et la lourdeur du suivi.

De 2003 à 2013, notre objectif de suivre l’équivalent de 15 000 patients (incluant 1500 patients VIH) sera pleinement atteint, au point où le ministre Hébert nous qualifiait de GMF « super performant ». Le ministère de la Santé, de même que l’Agence régionale reconnaissaient notre spécificité et notre expertise exceptionnelle dans le dépistage, la prévention, la prise en charge et le traitement des ITSS, du VIH et des hépatites virales.

En lien avec notre mission et compte tenu de la population que nous desservons, nous avons décidé de maintenir des services de consultations rapides pour des patients non-inscrits qui présentent des symptômes d’ITSS. Nous avons également un service de dépistage du VIH et des ITSS spécifiques aux hommes gais sans qu’ils ne soient inscrits. Ces personnes qui consultent sont souvent inscrites ailleurs, mais sollicitent notre expertise parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise de consulter leur médecin de famille pour ce type de problème.

En 2013, le ministère de la Santé nous accordait des postes supplémentaires de professionnels pour le respect de nos objectifs, soulignant notre performance.

Printemps 2014 : changement de cap

Lors du renouvellement de notre entente, l’Agence nous avisait qu’elle ne reconnaissait plus nos clientèles particulières et qu’il n’y aurait plus de pondération. Par conséquent, nos budgets étaient coupés de 40 % faisant disparaître ipso facto une partie des ressources infirmières, administratives et financières essentielles pour mener de front la dispensation de soins généraux et spécialisés. Dorénavant, le seul critère retenu par le ministre est le nombre de patients inscrits. Par exemple, une jeune femme qui consulte annuellement pour une contraception est comptabilisée au même titre qu’une personne itinérante, schizophrène et coinfectée par le VIH et l’hépatite C., est-ce logique ?

Le projet de loi 20 ajoute que le médecin devra atteindre un certain nombre de patients sous menace de pénalité. Il s’agit donc implicitement de prioriser le suivi en tant que « statistiques mathématiques » plutôt que d’accorder à chacun des patients les soins selon son importance clinique.

On va jusqu’à nous proposer d’inscrire « tout ce qui bouge » c’est-à-dire tout patient vu pour atteindre ce chiffre de 15 000. Ceci reviendrait, en fait, à tricher sur la vérité des soins. La décision ministérielle est doublement insensée : d’une part, le patient demeurant à 40 km de Montréal ne veut pas perdre son médecin de famille à proximité pour subvenir aux soins courants en s’inscrivant chez nous. D’autre part, nous ne devons pas inscrire ces patients qui, alors, bloqueraient les places ouvertes aux nouveaux cas plus complexes. Le seul critère du nombre de patients inscrits ne tient pas la route.

Ajoutons l’impact sur la relève médicale dans un tel contexte : quel médecin voudra être pénalisé en venant pratiquer dans une clinique qui s’occupe de patients non-inscrits ? Pas de relève, pas de clinique, pas de clinique, pas de soins, pas de soins... bris de services !L’impact sur les services infirmiers révèle encore une contradiction : le ministre demande que le dépistage soit fait par un infirmier et les coupures nous enlèvent ce même infirmier ! 3000 visites reliées aux patients ITSS non inscrits, 1200 visites de grossesse de patientes non-inscrites, 4500 visites de patients VIH « décomptabilisées » sont l’équivalent de 8700 visites médicales et infirmières non considérées par le projet de loi proposé. Les coupures reliées à ce projet de loi rendront incompatibles le financement des GMF et les services que nous devons rendre à ces patients. La poursuite des activités de telles cliniques spécialisées est nettement menacée. Voilà comment on pense améliorer l’accès à des soins de qualité !

Cette contradiction entre les directives du gouvernement en place et celles de la Santé publique paraît incroyable. D’une part, celle-ci nous presse, conformément à ses priorités, de nous occuper des ITSS, dépistages, suivis et traitements pour en diminuer l’incidence et nous demande de suivre des femmes enceintes et, d’autre part, le gouvernement, au contraire, nous incite à ne privilégier que le nombre d’inscriptions au détriment des clientèles plus complexes.

À l’instar de nos élus qui se targuaient de vouloir « s’occuper des vraies affaires », les médecins désirent aussi s’occuper des « vrais besoins » qui ne se résument pas au nombre d’inscriptions. Que la politique de santé incite les médecins à délaisser les soins complexes et spécialisés au profit du nombre est professionnellement « vide de sens ».

Il est reconnu mondialement qu’une grossesse optimale est le premier pas vers une santé physique et mentale tout comme le dépistage et le traitement précoces sont reconnus comme la clé de l’éradication du VIH. Adapter des politiques freinant ces efforts, c’est aller à contre-courant de toutes les études, ce qui permettra au VIH de poursuivre sa propagation et relèguera ainsi le Québec au rang des mauvais élèves en matière de Santé publique. Belle réputation pour un gouvernement dirigé par trois médecins ! La loi ne prévoit rien sur l’amélioration de la qualité des soins et l’amélioration des services offerts par les GMF : que du ratatinage de temps de consultation médicale et une apparence de « bon système de santé » faussement démontrée par des statistiques du nombre de patients inscrits.

Hippocrate nous demande de bien soigner les patients avec notre sens et nos outils cliniques et non à l’aide d’une « calculatrice à inscriptions ».

Les médecins omnipraticiens font face à un mépris que distille le ministre de la Santé, ce qui nous fait poser la question essentielle : notre mission est-elle de soigner les vrais patients ou de soigner les fantasmes de nos élus ?

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