Les débats ont déjà commencé, et le mois de septembre promet d’être agité. Alors que le Front de gauche exige un référendum, que les écologistes menacent de s’abstenir ou de voter contre, une frange du PS promet de faire de même. L’exécutif, qui craint de voir se rejouer le débat du traité constitutionnel de 2005, a écarté tout référendum et cherche à obtenir un soutien sans discussion à la stratégie de « réorientation » de l’Europe du nouveau président. Le sous-texte est clair : cette fois, il n’y a pas de “plan B”.
Dans les rangs du PS, l’échéance embarrasse. Certes, le Conseil constitutionnel a estimé début août qu’il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution pour adopter ce traité. Un soulagement pour l’exécutif. Dans le cas contraire, François Hollande n’aurait eu que deux solutions : un référendum (qui, dans le contexte actuel, risquerait de déboucher sur un “non”) ou bien la convocation des parlementaires en congrès. Ne disposant pas de la majorité des 3/5es, le président de la République aurait dû s’appuyer sur les voix de la droite pour le faire voter.
Angela Merkel et François Hollande à Berlin, le 23 août© Reuters
L’opposition aurait sans nul doute été ravie de le faire : ce traité qui prône une maîtrise drastique des finances publiques, déjà ratifié par onze pays, a été imposé par le « directoire » Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Au cours de la campagne, François Hollande s’était engagé à le renégocier. Il n’y est pas parvenu, même s’il a obtenu à l’issue du Conseil européen des 28 et 29 juin 120 milliards d’investissements pour la relance de l’économie européenne. Une taxe sur les transactions financières sera également mise en place, de même que des mécanismes de supervision bancaire.
À La Rochelle, alors que François Hollande rappelait au premier ministre grec en visite à Paris ses engagements de réduction des déficits publics, l’exécutif a martelé son argumentaire : François Hollande a ouvert une brèche dans la rigueur sur le continent. Les circonstances politiques sont donc réunies pour relancer l’Europe. Mais afin d’éviter une crise avec l’Allemagne et un blocage de l’Union, il faut d’abord adopter le traité, surnommé « Merkozy » par ses opposants. Avec un soutien inconditionnel, histoire de ne pas « affaiblir » François Hollande sur la scène européenne. Un argument casse-cou, alors que les socialistes ont farouchement bataillé contre le traité avant la présidentielle. En défendant le traité, les voilà aussi soupçonnés de prôner l’austérité, alors que la crise européenne s’aggrave chaque jour.
Tout au long du week-end, ces arguments ont pourtant été répétés par les chefs socialistes, qui ont multiplié les avertissements en direction des écologistes et de l’aile gauche du parti. La première, Martine Aubry a cru bon de tacler ces récalcitrants. « Si j’étais au gouvernement et que je n’étais pas d’accord avec une décision aussi importante, j’en tirerais moi-même les conséquences. » Autrement dit : en cas de vote négatif, il faudrait quitter la majorité.
Le premier ministre Jean-Marc Ayrault s’est lui aussi montré très clair. « Certains disent que le compte n’y est pas, a-t-il dit devant les militants. Mais toute construction européenne a été une succession de compromis. (...) Avons-nous tout eu ? Non, à l’évidence. Mais les lignes ont profondément bougé et c’est ça qu’il faut consolider. (...-) Ce traité, ce n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique. C’est une étape, il faut qu’il y en ait d’autres. » « Je vous invite vraiment à réfléchir, a-t-il insisté. Le débat doit se poursuivre mais on doit le faire en toute lucidité. Je vous invite à consolider la majorité parlementaire, la majorité autour du président de la République. Pas uniquement par esprit de discipline. Mais parce que (...) tout affaiblissement mettrait la France en situation plus difficile. »
Des propos réitérés avec vigueur dans le Journal du dimanche : « Lorsqu’une décision sur une question aussi importante est prise, elle doit être respectée. Il faut des limites. » Ce dimanche, Benoît Hamon a donc donné des gages. Pas question, a-t-il laissé entendre dimanche dans Sud-Ouest, d’animer la fronde : « On veut aller plus loin ; on le fera étape par étape. Cet accord n’est que le premier acte d’une réorientation de la construction européenne. Nous n’en resterons pas là. » Le ministre est rentré dans le rang.
« Déni de démocratie »
Reste que parmi les proches d’Hamon, les rappels à l’ordre passent mal. « Aubry joue la “surgé” du gouvernement », ironise Jérôme Guedj, député de l’Essonne et ancien proche de Jean-Luc Mélenchon. « Les déclarations d’Ayrault sont ultra-maladroites, commentait dimanche la députée du Doubs Barbara Romagnan, une proche d’Hamon, à la lecture du JDD. Nous ne sommes pas des enfants de 5 ans à qui il faudrait expliquer ce qu’il faut faire. Je n’aime pas ça, surtout de la part de gens qui, pendant des années, ont dénoncé la caporalisation à droite. Je comprends qu’on veuille donner un sentiment d’unité. Mais il ne faut pas donner l’impression que la majorité est monolithique. »
D’ores et déjà, certains hamonistes (ils sont une petite vingtaine au Parlement) ont prévu de voter contre le traité, comme Jérôme Guedj, le député de Seine-Saint-Denis, Razzy Hammadi, ou la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. « Nous n’adopterons pas ce traité, nous voterons contre », assure Guedj. « Personne ne votera pour au sein du courant », nuance Barbara Romagnan, pour qui les soutiens d’Hamon « a minima » s’abstiendront : « Il existe un débat dans le courant : vaut-il mieux être 25 à voter ou être 50 à s’abstenir ? Ce n’est pas tranché. »
Samedi, Romagnan a été très applaudie par les militants quand elle a exprimé ses « doutes et ses craintes » lors d’un débat avec le ministre des affaires européennes, Bernard Cazeneuve. « Le rejet de l’Europe est en partie justifié, a-t-elle argué. Elle ne nous permet pas de résoudre les problèmes essentiels de chômage et de niveau de vie auxquels nos concitoyens sont confrontés. Elle donne même le sentiment d’aggraver les décisions et semble parfois être une menace. Nous devons au contraire nous demander comment en faire un instrument au service des peuples. »
« François Hollande a obtenu des avancées très importantes, a-t-elle ajouté. Je ne suis pas sûre qu’en l’état actuel du rapport de forces en Europe, il était possible d’obtenir beaucoup plus. (…) Mais en quoi adopter ce traité nous permet de résoudre les problèmes ? Pourquoi est-ce si urgent ? Pourquoi est-ce si indispensable de l’adopter aussi rapidement ? Ce traité est-il un bon traité ? Non. Adopter ce traité ne nous permet pas de tenir nos engagements pris devant les Français. (…) L’austérité qui en découle ne nous permet pas de résoudre la question des déficits. » Et la députée de tancer « un aveuglement » et un « déni de démocratie ».
« Les interrogations de Barbara, nous nous les posons tous, lui a répondu Bernard Cazeneuve. Pas un socialiste n’est favorable en tant que tel à ce traité. (…) Ce que nous avons obtenu n’est pas un solde de tout compte. (…) Nous ne sommes pas favorables à l’austérité, pas davantage à un traité budgétaire sec, nous souhaitons une réorientation de la politique européenne en profondeur. Mais il ne faut pas affaiblir le président de la République et le premier ministre dans la bataille qu’ils mènent contre les autres pays de l’Union, ceux qui ne pensent pas comme nous et sont encore majoritaires en Europe. »
« La position du gouvernement n’est ni une trahison, ni un abandon, ni une démission, a ajouté peu après le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici. Je ne veux pas une zone euro-mark : je veux une zone euro. »
« À la fin, il n’y aura que quelques irréductibles », parie un proche du ministre de l’éducation, Vincent Peillon. L’aile gauche du parti espère au contraire que dans les prochaines semaines, d’autres élus manifesteront leur hostilité au traité. « Il y a des cœurs à prendre, assure Guedj. Cet été, nous avons reçu des messages de parlementaires qui nous soutiennent et nous délèguent la contestation. »
Sans brandir la menace d’un vote hostile, une quinzaine de socialistes rassemblés sous la bannière de la « Gauche durable » (on y trouve des aubrystes, d’anciens fabiusiens et un proche d’Hamon, le député hamoniste Pouria Amirshahi) ont interpellé ce week-end le président de la République.
Pari
« La gauche française retrouve ses réflexes de doute, et je la comprends, explique Christian Paul, un proche d’Aubry qui a signé ce texte. On ne peut pas adopter un traité de cette importance sans avoir donné des directions très claires sur les étapes qui suivent. Nous ne sommes pas pour la conception ordolibérale qu’a l’Allemagne de l’Europe, cette approche contraignante du fédéralisme budgétaire avec sanctions à la clé. Nous voulons une réorientation économique, politique, commerciale de l’Europe et un saut démocratique qui se distingue de celui de Madame Merkel. Le président de la République doit nous dire quelle est sa vision. »
Présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen, l’ancienne ministre de Lionel Jospin, Catherine Trautmann, estime de son côté que le débat au PS, qui percute le calendrier du congrès du PS d’octobre, est « un peu confus ». « Ce traité est inutile et même dangereux par ses choix économiques, que nous ne partageons pas. On est tous d’accord : il est inacceptable et contraignant. Mais il faut relativiser. Il n’est pas de même nature que le traité de 2005. Contrairement à ce qu’avait raconté Nicolas Sarkozy, la règle d’or ne sera pas intégrée dans la Constitution. Et en 2017, tout le monde se retrouvera pour intégrer ou non le traité dans le droit communautaire. Surtout, il risque de ne pas être appliqué. Comment voulez-vous appliquer une sanction à la Grèce, dans l’état où elle est ? »
« Il y a quelques mois encore, on nous riait au nez quand nous, socialistes français, proposions de réorienter l’Europe, continue Trautmann. Désormais, on nous écoute. François Hollande a réussi à ouvrir un espace de discussion. Ratifier ce traité permet de démontrer, aux Allemands notamment, que la France est capable de respecter les règles européennes. Ce n’est pas parce qu’on a gagné les élections en Europe qu’on a la majorité sur le continent ! On a une chance politique réelle de faire bouger les lignes en Europe et de lancer un débat sur les déficits. Mais il faut d’abord créer les conditions et le traité en fait partie, même si c’est un gros truc amer à avaler. » Un pari, soumis à de nombreux aléas politiques. À commencer par la victoire des sociaux-démocrates en Allemagne en 2013, qui n’est pas acquise.
Le projet de loi de ratification du traité sera soumis au Conseil des ministres du 19 septembre, une semaine après des législatives cruciales aux Pays-Bas (dont le gouvernement prône la discipline budgétaire en Europe) et la très attendue décision de la cour constitutionnelle allemande sur le pacte budgétaire et le mécanisme européen de stabilité.
Le même jour sera également présentée la loi organique qui intégrera dans le droit les nouvelles règles prévues par le traité – la limitation du déficit « structurel » à 0,5 %, les modalités de contrôle (qui restent encore floues), le principe de sanctions, etc. Ce paquet s’accompagnera par ailleurs d’un troisième « élément » : une déclaration de Jean-Marc Ayrault sur la « réorientation » de l’Europe, elle aussi suivie d’un vote.
Début octobre, les parlementaires seront donc amenés à voter trois fois. Une originalité en Europe : jusqu’ici onze pays ont ratifié le traité (dont un seul par référendum, l’Irlande, et les autres par un vote du Parlement, cliquer ici pour plus de détails), mais jamais accompagné d’autres textes.
« La loi organique rappellera la trajectoire budgétaire qui a été validée par les Français le 6 mai », soit 3 % en 2013 et l’équilibre en 2017, avance un proche de Jean-Marc Ayrault. Autrement dit : s’ils s’opposent à la loi organique (cela paraît logique, puisque les deux textes sont liés), les parlementaires hostiles au traité se placeront de facto hors de la majorité. L’enjeu est réel : l’exécutif ne pourra pas compter sur les voix de la droite pour faire adopter la loi organique, puisque l’opposition souhaite l’inscription de la règle d’or dans la Constitution, et pourrait donc se retrouver en difficulté en cas de nombreuses défections à gauche.
Reste une question, essentielle : l’objectif de réduction des déficits publics affiché par le président de la République pendant la campagne n’est-il pas d’ores et déjà tout à fait irréaliste, tant les prévisions pour 2013 s’assombrissent – les économistes évoquent 0,5 % de croissance, alors que le gouvernement prévoit 1,2 % ? Si elles se révèlent exactes, le gouvernement devra revoir très bientôt ses prévisions et trouver dès octobre encore plus d’économies que les 33 milliards à dénicher pour le budget 2013. Jean-Marc Ayrault risque alors d’avoir fort à faire pour tenir son engagement : « ne pas être le premier ministre du tournant de l’austérité ».