Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

Le stade cancéreux du capitalisme

Introduction :

Un philosophe canadien le professeur McMurtry de l’université de Guelph en Ontario a publié en 1999 un livre intitulé « the cancer stage of capitalism » (le stage cancéreux du capitalisme, traduction libérale) Ce dernier campe bien quant à moi le chaos civilisationnel dans lequel nous sommes plongés depuis quelques décennies.

Comme ancien médecin oncologue le paragdigme me semble adéquat et je vais tenter de vous le démontrer. Cet article comprendra trois parties :
1. La première exposera les mécanismes d’apparition, d’évolution d’un cancer dans un organisme de même que les conséquences désastreuses de ce processus.

2. La deuxième établira le parallèle entre le développement de cette maladie avec celui du capitalisme

3. Pour terminer avec une réflexion sur les moyens de guérir la planète qui pâtit de cette maladie.

Qu’est-ce qu’un cancer ?

Au départ il est important de comprendre que pour la majorité d’entre nous, nous ne naissons pas avec un cancer. Il apparaît au cours de la vie après un temps de latence plus ou moins long.

Les cellules sont la brique de base de tous les tissus et organes. Ces tissus et organes fonctionnent tous dans un seul et même but soit de maintenir la vie de l’ensemble c’est-à-dire tout le corps humain. Chaque tissu a son rôle à jouer et de par ses fonctions fait partie d’un tout sans lequel lui-même ne peut survivre : l’estomac digère les aliments, le poumon absorbe l’oxygène pour créer l’énergie nécessaire pour faire fonctionner les autres organes, le cœur transmet l’oxygène et les nutriments à tout l’organisme et ainsi de suite. À titre d’exemple, si l’on retire le foie, le cœur ou les reins du corps ils meurent tous. Donc tous les tissus sont essentiels et travaillent pour le bien-être du tout.

Lorsqu’une cellule devient cancéreuse, phénomène souvent du à une mutation du code génétique, le tissus dont elle fait partie cesse soudainement de travailler pour l’organisme et va maintenant tenter de se développer strictement pour lui-même en oubliant ses fonctions de base. La cellule normale possède un mécanisme de contrôle de surpopulation qui s’appelle en termes techniques « l’apoptose » qui stoppe le dédoublement des cellules après une vingtaine de cycles. Ce mécanisme est détruit dans le tissu cancéreux de sorte que ses cellules se multiplient à l’infini. Il se met donc à se déployer, à grossir. Il est par nature égoïste et pour permettre cette prolifération anormale il dirige vers lui toutes les ressources du malade. Il fabrique même des protéines pour lui permettre de s’étendre. Évidemment les autres tissus en subissent les conséquences, s’appauvrissent jusqu’à décéder.

Le tissu pathologique devient une masse qui comprime et contamine par la production de métabolites toxiques les cellules voisines. Par manque d’espace la situation aboutit à un besoin de s’exporter c’est-à-dire à produire des métastases qui sont des parcelles de ces tissus gangrénés qui quittent le nid primaire pour s’implanter dans des organes plus distants lui permettant ainsi de continuer à proliférer.

Pour se défendre des intrus, la majorité des êtres vivants possède un système immunitaire constitué de globules blancs et d’anticorps qui rejette tout agent externe non reconnu comme partie intégrante du corps. Or le problème avec le cancer dans ces débuts, comme il s’agit d’une partie prenant du corps, le système immunitaire ne le reconnaît comme étranger et le laisse donc proliférer jusqu’à ce qu’il devienne une masse où alors l’immunité réagira de façon non spécifique pour tenter de rectifier la situation et empêcher cette vampirisation du corps.

Si le cancer n’est pas combattu, le système immunitaire sera vaincu. La maladie prendra contrôle de l’ensemble physiologique de l’hôte et le tuera.

Le capitalisme

Tout comme pour l’enfant naissant, le capitalisme n’existait pas au début de l’humanité. Il est apparu lorsque les commerçants ont accumulé suffisamment de capital (argent) aidé par le développement technologique pour accéder à la potentialité d’investir dans les moyens de productions c’est-à-dire des outils mécanisés, ce qui leur a permis d’enrôler les paysans et petits artisans, qui venaient de perdre le contrôle du fruit de leur travail, dans le régime astreignant du salariat de la manufacture et de l’usine.

Au début, il faut admettre que le développement du capitalisme et de la technologie a permis un accroissement de la production de biens car la productivité du travail s’est amplifiée. Pour un même nombre d’heures de travail, un plus grand nombre d’objets étaient fabriqués par la machine et le travail socialisé des ouvriers. Par ailleurs au cours des ans comme les objets deviennent de plus en plus abondants et de plus en plus inutiles. Il faut donc que le capitaliste crée un mécanisme pour mousser la vente de ces objets, c’est la publicité qui apparaît. En même temps cette folie productrice emmène dépérissement des ressources, une pollution par les rejets industriels qui sont en soi sources de maladies et de décès. Par la suite le capitalisme se développe très rapidement à même les ressources de la nation, il devient une masse qui opprime et qui a besoins de s’étendre hors des frontières. Il métastasie donc et devient colonialiste et impérialiste, en s’expatriant dans des contrées lointaines pour s’approprier les ressources naturelles et le travail des occupants.

Pendant ce temps, le professeur McMurtry décrit ce qu’il appelle le système immunologique de la société. Il s’agit de groupes et d’agents sociétaux qui comprennent que chaque individu fait partie d’un tout social et que son bien-être dépend du bien-être de toutes les parties de la communauté. Ils sont ce que Léon Dion apelle les corps intermédiaires et que l’on peut aujourd’hui dénommer société civile. Les interlocuteurs les plus immunisants, selon moi, ont été au cours des âges, d’abord les travailleurs et travailleuses et leurs organisations et le mouvement hygiéniste au XIXe siècle et au XXe
siècle, les regroupements écologiques, féministes et autres contestataires qui ont forcé les gouvernements (qui ont toujours été au départ plus enclins à gérer le développement capitaliste qu’à le réglementer) à imposer des règles immunitaires (lois sociales, de protection de l’environnement et de la sécurité au travail pour ne nommer que celles-là) pour freiner les conséquences funestes de cette croissance anarchique.

La situation s’aggrave en cette fin de siècle et l’aurore d’un nouveau. En effet, au début du capitalisme le Bourgois industriel accomplissait son profit en utilisant la machinerie et le travail à rabais de ces ouvriers. En 1966, deux économistes américains d’obédience marxiste, Paul Sweezy et Harry Magdof, publient un essai dans lequel ils démontrent que, déjà à cette époque, l’économie américaine est en début de stagnation. L’investissement dans la production comme telle devient de moins en moins rentable. C’est alors que se déploie insidieusement une financiarisation de l’économie. De plus en plus l’argent est investi dans l’argent c’est-à-dire dans la spéculation. GM fait plus d’argent avec ses investissements financiers qu’en vendant des automobiles. En d’autres termes, 80 % du capital ne sert plus à produire de la marchandise. C’est la cause principale de la crise que nous vivons actuellement. Le capitalisme devient de plus en plus inutile tout en continuant à reproduire la maladie et la mort au détriment du corps sociétale et en admettant un engrangement scandaleux de profits pour une minorité parasite. Un vrai cancer quoi !

De plus nous sommes en train de vivre des assauts de plus en plus féroces contre le système immunitaire de la société (demandes de concessions salariales, diminution de l’investissement publique dans la santé et l’éducation, rognage du programme d’assurance -chômage, etc.)

Comment guérit-on d’un cancer ?

Le professeur McMurtry suggère un renforcissement du système immunitaire communautaire. Oui pour sûr. Mais je ne partage pas l’optimisme de cet écrivain.

En effet pour bien guérir d’un cancer il faut des interventions massives telle la chirurgie ou encore la chimiothérapie du cancer qui sont toutes deux des interventions extrêmement intrusives et pénibles pour l’organisme, le but étant d’extirper ou de diminuer au maximum le diamètre de la tumeur pour permettre au système immunitaire de reprendre son rôle.

Il va falloir un coup de barre politique radical qui quant à moi, n’est pas sur le point d’apparaître au Québec. Par contre en attendant, il faudra probablement comme le préconise John McMutry renforcir le système immunitaire de notre société pour enfreindre l’évolution du futur chaos. Comme l’écrivait Rosa Luxembourg au début du XXe siècle : « Socialisme ou Barbarie ».L’auteur de ses lignes se veut d’un socialisme démocratique non pas par croyance en un futur paradisiaque mais bien parce que nous n’avons pas le choix si nous ne voulons pas disparaître comme humanité pensante.

Pierre L. Auger

Pierre L. Auger md

Msc, Médecine du travail

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