La lutte climatique conséquente est aussi lutter contre l’inflation et pour la justice sociale
Il faut savoir profiter du retour dans le débat public, même si c’est par la porte de droite, de la question de l’indépendance pour rappeler, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la grève générale de 1972, que le surgissement de cette revendication dans le contexte de la mobilisation sociale des années 60-70 en a été une qui conjuguait émancipation sociale et libération nationale. Réinsérée dans la conjoncture actuelle de fin du monde marquée par la crise générale de reproduction de l’écosystème Holocène, il s’agit pour Québec solidaire d’appeler à une indépendance à gauche toute afin de libérer le peuple québécois de l’axe financier-pétrolier Toronto-Calgary pour pouvoir réduire les gaz à effet de serre (GES) de 55 à 65% d’ici 2030, tel que stipulé par la plateforme électorale 2022, contribution minimale du peuple québécois pour éviter la dérive de la terre-étuve.
On y arrivera en conjuguant justice climatique et justice sociale : transport en commun gratuit, électrique, fréquent, rapide, confortable et partout jusqu’au moindre village remplaçant l’auto solo sauf pour l’autopartage communautaire ; la construction annuelle d’au moins 10 000 logements sociaux écoénergétiques ; la promotion de l’alimentation non carnée par des prix réduits et de la mue de l’agro-industrie en agrobiologie.
Notons que toutes ces mesures sont aussi anti-inflationnistes (et toutes créatrices d’emplois socialement utiles). Non seulement le coût du logement et des hydrocarbures grimpent-ils mais aussi et surtout le niveau record des prix des aliments (voir graphique) tout comme leur hausse continuelle sont dorénavant incrustés dans le débridé capitalisme néolibéral qui laisse courir
tant l’exponentielle crise climatique réduisant les rendements agricoles que le déchaînement de l’impérialisme guerrier empêchant leur circulation (voir annexe).
La lutte contre la hausse des prix des aliments devient centrale dans la lutte pour la justice sociale. Les mesures proposées par notre parti contre la hausse du coût de la vie ne mentionnent même pas les prix des aliments alors que cette hausse fournit une occasion en or pour passer au meilleur marché de la consommation non carnée. Il faut ici innover radicalement comme les partis patronaux l’ont fait en temps de guerre. On doit réclamer un rationnement à bas prix fixe des aliments de base végétariens, sains et autant que possible produits nationalement, une imposition de 100% des surprofits des entreprises alimentaires (tout comme celles pétrolières) et des spéculateurs sous surveillance des syndicats et des organisations de consommation.
Tout est recelé dans la plateforme électorale 2022 pour qui sait y voir la forêt cachée par les arbres
D’aucun pourraient prétendre que cette stratégie assise sur l’indépendantisme à gauche toute conjuguant libération nationale et émancipation sociale n’est pas celle de Québec solidaire. Si elle n’est pas en effet toujours évidente dans le discours politique de l’aile parlementaire obnubilée par les réformettes à court terme et à la marge desquelles ne se résolve structurellement rien, elle transparaît dans la plateforme électorale 2022. Celle-ci met de l’avant une indépendance à atteindre dès le premier mandat dans une optique de gauche :
Il est proposé que la plateforme comprenne les engagements suivants :
19.1 Pour que le peuple du Québec puisse affirmer son droit de décider de son avenir, Québec solidaire s’engage à lancer une démarche d’assemblée constituante dès son arrivée au pouvoir. L’Assemblée constituante sera paritaire et représentative, composée de personnes élues au suffrage universel et aura pour mandat d’élaborer un projet de constitution pour un Québec indépendant. Ce projet sera soumis à la population par référendum et le processus sera soutenu et promu par le gouvernement solidaire. [...]19.4 Pour que le peuple du Québec affirme sa souveraineté, Québec solidaire s’engage à remettre en question les accords et conventions internationales économiques et militaires signées par le Canada, non seulement ceux de libre-échange, mais aussi les accords militaires et les ententes fiscales qui protègent la grande entreprise et les plus riches.
C’est ce Québec indépendant qui aura la tâche de mettre en oeuvre la priorité numéro un de la plateforme : « Québec solidaire s’engage à proposer, lors de la prochaine campagne électorale, de réduction des émissions de gaz à effet de serre ; Que ces mesures permettent de réduire les émissions du Québec d’au moins 55% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030, en se rapprochant le plus possible de la cible de 65 % des mesures ambitieuses et structurantes... » La CAQ, à la suite du PQ, traîne dans la boue identitaire la revendication de l’indépendance enracinée dans la grande mobilisation libératrice et émancipatrice des années 60-70 dont Québec solidaire est le dépositaire et la source de son renouvellement tout comme de son corollaire, la défense et la promotion de la langue française :
18.1 Pour mieux protéger le français, Québec solidaire s’engage à promouvoir son usage dans tous les milieux de travail. Nous appliquerons la loi 101 à l’ensemble des entreprises de dix personnes employées et plus en ce qui a trait à la démarche de francisation. De plus, nous limiterons l’exigence indue de l’anglais à l’embauche.
18.2 Pour défendre avec fierté la spécificité linguistique du Québec, Québec solidaire s’engage à réaffirmer le fait que le français est notre seule langue officielle. Nous renforcerons l’application de la loi 101 dans le monde numérique, y compris dans l’affichage.
18.3 Pour que le français soit véritablement notre langue commune, Québec solidaire s’engage à en faire un meilleur vecteur d’intégration. Nous bonifierons le financement du réseau l’enseignement supérieur francophone afin de le rendre plus attractif auprès des non-francophones et appliquerons la loi 101 aux écoles privées non subventionnées…
La députation Solidaire s’adapte à la CAQ identitaire au lieu de rompre avec le néolibéralisme…
Malheureusement, l’aile parlementaire s’adapte, par électoralisme, au nationalisme identitaire promu par la CAQ comme le démontre son approbation de la loi 96. Il y a un bon moment que la direction Solidaire joue à l’équilibriste entre la défense des droits démocratiques des personnes racisées et des peuples autochtones versus le flirt avec le nationalisme ethnique à la Duplessis de la CAQ. Ça se traduit bien souvent par une prise de position incontournable (ex. racisme systémique, Déclaration de l’ONU pour les droits des peuples autochtones) afin de rester crédible suivi d’inaction pour s’ajuster à la montée du nationalisme identitaire entretenu par la CAQ. La loi 96 a mis cependant cartes sur table dès le point de départ car elle forçait à choisir entre des mesures acceptables mi-figue mi-raisin de renforcement de la défense du français et le clair bafouillement de droits démocratiques.
La popularité de ce nationalisme réactionnaire provient de l’échec combiné des luttes sociales et nationales depuis deux générations et sans réponse de la gauche. Le discours politique de l’aile parlementaire, le seul qui atteint la masse populaire, ne répond pas à cet échec par l’espoir d’un projet de société rompant radicalement avec le capitalisme néolibéral conduisant l’humanité dans le mur de l’effondrement de la civilisation née de la révolution néolithique ou pire encore. Les réformettes de la députation proposées pour contrer l’inflation et la crise du logement ne feraient que les atténuer. La crise du logement populaire — il n’y a pas de crise du logement haut de gamme — nécessite fondamentalement un boost de l’offre ce pour quoi la revendication vedette devrait être la construction d’au moins 10 000 logements sociaux et écoénergétiques par année si ce n’est 25 000, environ la moitié de l’offre totale annuelle, ce qui permettrait de dompter le marché privé. Pourquoi cette revendication de notre plateforme n’est-elle pas promue à la une au lieu de ce ridicule contrôle des loyers plus un gel d’un an qui ne fera qu’empirer la pénurie car l’initiative de la construction est laissée au marché privé. Et pourquoi ce silence sur l’inflation alimentaire ?
… au lieu de populariser sa cachée plateforme électorale recelant le projet de société climatique
En découle, par réaction d’une recherche éperdue de solutions hors système par les segments les plus déclassés et les plus tourmentés de la population, une montée de popularité de la droite extrême (Parti conservateur du Québec) qui a su propager ses solutions simplistes et nostalgiques d’un idéalisé passé révolu. La grande mobilisation 60-70 a démontré que libération nationale se conjuguait avec émancipation sociale ce qui permet leur renforcement mutuel. Un peuple ne se met pas en marche contre de puissants ennemis qui feront feu de tout bois pour seulement changer « le flag s’ul hood » comme le disait avec mépris le futur Premier ministre Jean Chrétien. Il le fait pour se doter d’un projet de société lequel est aujourd’hui une société de décroissance matérielle et féministe de prendre soin des gens et de la terre-mère contre un fédéralisme financier, libre-échangiste, pétrolier et voulant imposer la lingua franca du fédéralisme néolibéral.
Ce projet de société se trouve recelé dans la brève plateforme électorale 2022 pour qui prend le temps de se l’approprier et de la discuter. Mais peu de membres la connaissent et encore moins l’électorat car même si elle a été adoptée au congrès de novembre 2021, la direction du parti ne l’a pas rendue publique par soi-disant stratégie communicationnelle. La vraie raison réside dans la volonté de la députation de cacher cette plateforme pour qu’à peu près personne ne réalise la contradiction entre son plat discours à courte vue qui ne résout rien et la potentialité de la plateforme, en particulier de certains points saillants, de porter ce projet de société indépendantiste et pro-climat rompant avec le capitalisme néolibéral.
Marc Bonhomme, 5 juin 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
Annexe : Inflation alimentaire, climat et guerre
« Le 18 février, David Beasley du Programme alimentaire mondial a averti les délégués à la Conférence de Munich sur la sécurité que le monde était confronté à ses problèmes de sécurité alimentaire les plus graves depuis des décennies. La pandémie a réduit les revenus de nombreuses personnes ; les prix alimentaires mondiaux étaient élevés ; certaines récoltes, notamment de blé en Chine, allaient être décevantes et les stocks dans les pays exportateurs du monde étaient faibles.
« En une semaine, l’invasion russe de l’Ukraine, un important exportateur de blé, a aggravé tous ces problèmes. Les agriculteurs ont été chassés de leurs fermes. Le port d’Odessa, par lequel le blé ukrainien est acheminé vers les marchés du Moyen-Orient et de grandes parties de l’Afrique, a été fermé. Les prix ont encore augmenté.
« À peu près au même moment, les températures ont atteint des niveaux inhabituels pour la saison dans une grande partie de l’Inde. En avril, une grande partie de ce qui devait être une récolte de blé exceptionnelle se ratatinait. Au lieu de cela, l’Inde était confrontée à la perspective de devenir un importateur net de céréales, plutôt qu’un exportateur qui pourrait aider le monde à gérer les dommages causés par la guerre en Ukraine. Le gouvernement, effrayé à l’idée d’avoir à importer des céréales coûteuses, a imposé des contrôles sur l’exportation de blé.
« Les choses ne sont pas belles non plus dans d’autres régions. Une grande partie de la ceinture céréalière américaine souffre de sécheresse modérée à sévère, un phénomène courant lorsque les vents et les courants du Pacifique équatorial sont disposés selon le schéma connu sous le nom de La Niña. L’Europe n’est pas encore dans une situation difficile, mais elle a connu un printemps plus sec que ne le souhaiteraient les agriculteurs. Dans le même temps, certaines régions d’ailleurs manquent désespérément de nourriture. Parallèlement au conflit, une sécheresse en Afrique de l’Est, également associée à La Niña, a laissé des dizaines de millions de personnes dans la Corne de l’Afrique au bord de la famine.
« Diverses études d’attribution ont montré qu’une vague de chaleur aussi sévère que celle observée en Inde serait hautement improbable sans le réchauffement climatique. Certes, on ne peut pas en dire autant définitivement des inondations qui, l’automne dernier, ont empêché de nombreux agriculteurs chinois de semer leur blé au meilleur moment et dans les meilleures conditions (l’explication des inquiétudes sur la récolte de cette année).
« Mais parce que les températures extrêmes, la sécheresse et l’aridité sont de plus en plus courantes, il en va de même pour les chances que deux grandes nations productrices de denrées alimentaires différentes soient affectées par deux événements indésirables au cours de la même saison. Cela rend le système alimentaire mondial moins stable qu’il ne l’était auparavant.
« Certaines améliorations pourraient être apportées. La suppression des incitations financières pour les biocarburants, qui n’ont de sens que dans un monde où le moteur à combustion interne perdurera, pourrait libérer de la nourriture pour les gens. Il en va de même pour les limites à l’élevage d’animaux. La fin du blocus russe d’Odessa aiderait évidemment.
« En bref, il y a des raisons à la fois contingentes et structurelles à la crise alimentaire de cette année. Mais ils ne doivent pas être considérés comme dominants. Car le monde ne connaît pas une « tempête parfaite » dans laquelle le temps et les conflits se combinent pour créer le pire des mondes possibles. Au contraire, nous vivons le genre de situation qui pourrait devenir de plus en plus normale.
Oliver Morton, The Climate Issue, The Economist, 30/05/22
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