La conjoncture socio-économique actuelle en est une de polarisation dans un environnement de crises multiples se renforçant l’une l’autre annonçant une plongée dans l’abîme. L’électorat qui ressent et perçoit cette réalité cherche une réponse politique pour s’en sortir ce qui l’amène à rejeter les traditionnelles réponses politiques centristes qui perpétuent un statu quo balançant de droite à gauche au gré du rejet du gouvernement en place. On peut affirmer qu’il en est ainsi, et de plus en plus depuis le début de ce siècle.
Dans ce contexte, le centrisme amène à l’abstention (le rejet du politique) d’où le taux de participation (66.15%) le plus bas en 2022 depuis 1927 à une exception près. Cette tendance lourde n’est perturbée mais non annulée, que par une offre politique hors centre à droite ou à gauche. On peut ainsi expliquer en creux l’exception notable de 2008 (taux de participation de 57.4%) par la déception face au parti non centriste (ADQ) qui d’opposition officielle avec 41 député-e-s chute drastiquement à 7 député-e-s. À contrario, le taux de participation de 2022 pratiquement égal à celui de 2018 (66.45%) est dû à l’apparition médiatique des Conservateurs (présence au débat des chefs). De même, la remontée du taux de participation des élections de 2012 (74.6%) non seulement par rapport à 2008 mais aussi par rapport à 2003 et 2007 est dûe à l’apparition médiatique, surtout dans le contexte du Printemps érable, de Québec solidaire alors perçu comme un parti hors centre, et peut-être aussi de la CAQ quoique ce parti, de par le « pragmatisme » connu de son chef, s’affirme de centre-droit par rapport à l’ADQ qu’il a absorbé. Comme exemple notable de gauche hors Québec, on peut citer le succès électoral de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon sur la base non seulement d’un programme nettement à gauche, rompant avec le centrisme des PS et PC, mais aussi de sa dimension parti de la rue. C’est ce parti qui a eu l’initiative de la manifestation du 16 octobre « contre la vie chère et l’inaction climatique ». À noter d’ailleurs que le taux de participation du deuxième tour des législatives de 2022 en France a été supérieur de près de 4 points de pourcentage à celui de 2017 quoique cette remontée peut aussi s’expliquer par l’offensive législative de l’extrême-droite.
Le recentrage honnit la rupture indépendantiste à moins qu’elle ne soit identitaire à la PQ, alors que la plateforme électorale Solidaire étale le processus d’accession à l’indépendance (assemblée constituante, référendum), la campagne électorale du parti s’est montrée fort discrète sur le sujet pour ne pas dire qu’elle l’a tu… sauf quand un intervieweur forçait les portes parole à y répondre. Aux yeux de l’aile parlementaire qui contrôle le message politique du parti, l’indépendance est un boulet politique que le parti est obligé de traîner pour se démarquer d’un PQ moribond dont c’est la marque de commerce malgré ses reniements fréquents. L’ingestion d’Option nationale est devenue une indigestion. L’indépendance, pour l’aile parlementaire, a l’inconvénient d’être le seul élément de la plateforme à véhiculer un message de rupture avec l’ordre établi. Ce n’est pas du tout compatible avec le centrisme du message.
Le relatif succès électoral du PQ, qui a réussi à se hisser au niveau des trois autres partis oppositionnels grâce à sa mise en relief de la thématique indépendantiste, même à vide, même malgré ses reniements passés sur le sujet, même malgré sa politique réellement existante de droite quand il était au gouvernement, même malgré qu’il oppose l’immigration à la survie du français alors que c’est l’affairisme qui le menace, a plus que démontré le succès qu’aurait pu avoir une campagne Solidaire mettant l’indépendance en évidence mais liée à une politique de gauche non seulement en matière fiscale mais surtout en matière climatique. L’électorat potentiel Solidaire n’adhérera pas à l’indépendance s’il n’entend que le discours identitaire du PQ sur le sujet. Au contraire, il la rejettera comme un projet raciste !
Le plan climat Solidaire est compatible avec le fédéralisme car compatible avec le capitalisme. Se libérer de l’axe financier-pétrolier Ottawa-Calgary et de sa politique d’alliance avec l’impérialisme étatsunien aurait pu être ce message de gauche, et non de centre-gauche, capable de capter l’attention de ce peuple travailleur écrasé par l’inflation et la pandémie et apeuré par la récession qui s’annonce et surtout l’apocalypse climatique qui déjà s’abat sur l’humanité. Le vide à gauche suite au recentrage laisse toute la place à la droite radicale des Conservateurs et à celle identitaire de la CAQ.
C’est aux Solidaires de démontrer que l’indépendance est indispensable, et elle l’est, pour se libérer du mépris fédéraliste de la nation québécoise et de l’anglicisation à petit feu par sa Cour suprême, du contrôle de la Finance de Bay Street et de son allié de Wall Street sur l’épargne nationale, de la stratégie hydrocarbure de l’axe Toronto-Calgary. Un État indépendant de gauche est indispensable pour une politique pro-climat qui tienne la bride au capital cherchant à perpétuer l’accumulation du capital, de son énergivore croissance sans fin, du renouvellement de sa consommation de masse assise sur les véhicules privés électriques exigeant un nouvel extractivisme des mines à ciel ouvert, une continuation de l’étalement urbain dévoreuse de terres agricoles et des milieux naturels.
L’indépendance est indispensable pour se doter d’un Québec du prendre soin de la terre-mère en s’associant avec les peuples autochtones libérés de la tutelle fédérale de la loi des Indiens et du mépris raciste de la CAQ fédéraliste ; un Québec du prendre soin des gens avec des services publics de qualité mur à mur reposant essentiellement sur l’énergie humaine et la création de riches relations sociales anticonsuméristes, le tout sans s’humilier à quémander qu’Ottawa finance sa part ce qu’il refuse systématiquement afin de hausser ses dépenses d’armement et de maintenir une fiscalité et un budget favorables aux gens d’affaires.
Vision 2030, un plan imposé renouvelant la consommation de masse par un nouvel extractivisme Vision 2030 est une vision capitaliste vert dont le point central est sa politique de transport axé sur la substitution du véhicule privé à essence par le véhicule privé électrique en ayant recourt à un système de bonus-malus plus agressif que celui de la CAQ. Non seulement cette substitution renouvelle-t-elle la consommation de masse, pour la plus grande joie des transnationales des véhicules privés dont Tesla et les GAFAM mais elle perpétue l’étalement urbain au bénéfice de « l’industrie de la corruption » typiquement québécoise. À l’extractivisme des hydrocarbures, le véhicule privé électrique substitue le nouvel extractivisme des mines à ciel ouvert qui sont sur le point d’envahir les campagnes du Québec et le grand Nord autochtone.
Les investissements gargantuesques en transport collectif de Vision 2030, qui ont retenu l’attention médiatique, abandonnent le système routier aux véhicules privés. Ils seront financés par le capital financier canado-étatsunien qui y trouve son intérêt comme exutoire rentable pour ses coffres qui débordent et comme moyen d’accélérer la circulation des marchandises et le navettage de la main-d’œuvre dont la productivité est affectée par la congestion aux heures de pointe.
À noter que jamais n’a été discuté dans le parti la place centrale qu’y occupe le véhicule privé électrique dans la politique climatique Solidaire alors que l’interdiction des véhicules privés et de la construction de maisons unifamiliales et en rangée est indispensable pour drastiquement réduire la consommation d’énergie et par là de GES au niveau requis dans le temps requis. En fait c’est l’ensemble du plan Vision 2030 qui n’a pas du tout été discuté et voté par le congrès et le Conseil national ni même par la commission thématique sur l’environnement, complètement tenu à l’écart.
Québec solidaire doit renouer avec sa raison d’être : l’indépendance de gauche pro-climat Le recentrage n’est nullement imposé par un rapport de forces défavorable. Il est plutôt une adaptation à ce rapport de forces. Cette adaptation ouvre grand la porte à la montée de la droite qui propose ses fausses solutions à un peuple travailleur attaqué par l’inflation, enragé par l’état des services publics et les bas salaires, inquiet de la récession annoncée et désemparé par la crise climatique.
Le vide stratégique à gauche pourrait être comblé par un indépendantisme de gauche pro-climat rompant la soumission au fédéralisme néolibéral et à son allié étatsunien. L’indépendance sera une conquête populaire ou elle ne sera pas. C’est cette dynamique de libération nationale qui sans rien garantir ouvre la porte à l’émancipation sociale.
Marc Bonhomme, 16 octobre 2022
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c
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