Mais le point préoccupant est l’amendement proposé par les représentants du Parti Libéral en décembre dernier en commission parlementaire. Cet amendement accorderait aux demandeurs d’autorisation un droit de véto complet sur le droit du public de connaître les conditions d’autorisation des projets proposés. La Fondation Rivières appuie cette demande de rétablir l’accès à l’information.
Lettre au PM et signataires 9 fevrier 2017
Montréal, le 9 février 2017
Monsieur Philippe Couillard
Premier ministre du Québec
Conseil exécutif
770, rue Sherbrooke Ouest, 4e étage
Montréal (Québec) H3A 1G1
Objet : Dangereux revirement concernant le projet de loi 102 et le droit d’accès aux informations sur les conditions d’autorisations environnementales.
Monsieur,
Les personnes et organismes soussignés vous demandent d’intervenir pour assurer que l’équilibre social, dont vous avez la responsabilité ultime au Québec, soit maintenu dans le processus de réforme actuel de l’importante Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Nous vous rappelons que cette loi est la seule qui donne à la population québécoise, de façon limitée, certains droits d’accès à l’information, de participation et d’accès à la justice en matière d’environnement et que ces droits sont demeurés inchangés depuis 1978.
Votre gouvernement a légitimement entrepris une vaste réforme visant à moderniser cette loi, tout d’abord par la publication d’un Livre Vert en juin 2015 et ensuite par le dépôt du projet de loi 102 en juin 2016. À chaque occasion des consultations publiques en commission parlementaire ont eu lieu, sous la conduite du ministre, M. David Heurtel. De façon tout aussi légitime, l’objectif principal annoncé de ce projet de loi est de moderniser et simplifier les mécanismes d’autorisation environnementale pour les entreprises. Vous visez une réduction de 30% du nombre d’autorisations environnementales nécessaires ainsi qu’une diminution des délais. Cela correspond à des attentes exprimées par le milieu économique et vous cherchez à satisfaire leurs priorités. Dans un État de droit comme le nôtre, un gouvernement majoritaire peut tout à fait décider de répondre à ce type de demandes.
En revanche, les seules considérations économiques ne peuvent guider l’ensemble du processus actuel de réforme. La modernisation recherchée doit aussi permettre d’améliorer les mécanismes favorisant la protection de l’environnement et de ses différentes composantes ainsi que la mise en œuvre des droits procéduraux accordés à la population à cette fin. Les promesses du Livre Vert et le contenu du projet de loi 102 permettaient, bien que fort minimalement, d’équilibrer les avancées obtenues par les entreprises avec celles concernant principalement l’accès à l’information et les mécanismes de participation du public à la prise de décision en matière environnementale. Tant les règles démocratiques et politiques que les exigences du développement durable font en sorte qu’aucun groupe d’intérêt ne peut « monopoliser » l’attention et imposer sa vision sur une loi aussi importante que la LQE.
Cependant, nous devons constater que les grandes associations d’entreprises du Québec ne se sont pas satisfaites des gains obtenus pour leurs membres en termes de simplification et réduction des autorisations. Elles se sont liguées pour proposer et obtenir, début décembre, un amendement au Projet de loi 102 et au futur article 27 de la LQE qui annule totalement toute avancée sur l’accès à l’information et qui perpétuera notre retard reconnu en cette matière. Avec l’amendement proposé par les représentants du Parti Libéral en commission parlementaire, on accorde aux demandeurs d’autorisation un droit de veto complet sur le droit du public de connaître les conditions d’autorisation d’un projet ainsi que sur les documents et analyses ayant justifié leur autorisation. Cet amendement inscrit pour la première fois dans la LQE des restrictions de ladite « Loi sur l’accès à l’information » qui datent de 1982 et qui ont constitué les principales barrières à l’obtention de l’information environnementale, comme l’ont démontré de nombreux rapports gouvernementaux et autres. La modernisation recherchée de la LQE ne peut être atteinte en y inscrivant des dispositions vieilles de plus de 35 ans et adoptées avant la reconnaissance du concept de développement durable. Oui, l’économie doit être prise en compte, mais les facteurs sociaux et environnementaux aussi !
Nous craignons qu’avec la grève des juristes de l’État, cet amendement n’ait pas été scruté et examiné avec tout le soin requis et que son effet pratique sera de perpétuer la culture du secret qui avantage les demandeurs d’autorisations au détriment des citoyens. Avec la réforme proposée par le projet de loi 102, le nombre d’autorisations sera non seulement réduit, mais nous verrons aussi réduite l’information environnementale disponible au public. L’opacité du nouveau régime ne renforcera pas la confiance du public dans le processus d’autorisation et risque plutôt de remettre en question l’acceptabilité sociale de plusieurs projets. En cette ère de fausses nouvelles et de faits alternatifs, il faudrait plutôt contribuer à la qualité de nos débats collectifs en matière d’environnement en divulguant l’ensemble des conditions d’autorisation ainsi que les documents et analyses ayant servi à octroyer ces autorisations.
Depuis 1978, la LQE reconnait le droit à la qualité de l’environnement et celui de tout citoyen de pouvoir prendre une injonction pour faire respecter les conditions d’autorisation. Ce droit est tout à fait illusoire si, comme avec l’amendement adopté, les conditions d’autorisation demeurent secrètes au gré de la volonté des entreprises. Le cynisme face à la politique et à l’État de droit ne pourra que grandir si cet amendement n’est pas retiré. Vous devez reconnaître que l’accès du public à l’information constitue l’une des pierres d’assises d’un régime moderne d’autorisation environnementale, de même que le fondement de l’exercice du droit à un environnement sain aujourd’hui reconnu dans notre Charte.
Plusieurs ONGE et organisations syndicales ont écrit une lettre en ce sens au ministre David Heurtel le 23 décembre dernier pour le sensibiliser à cette question. En vain. Les personnes et organismes soussignés vous demandent donc aujourd’hui, de vous assurer que l’équilibre délicat entre les intérêts économiques, sociaux et environnementaux se reflète davantage dans le projet de loi 102 et que les avancées promises pour la population du Québec concernant son droit d’accès à l’information des conditions d’autorisation soient réintroduites dans le projet de loi. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette lettre,
Me Jean Baril, LL.D,
Professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM et auteur d’une thèse de doctorat récompensée par l’Assemblée nationale portant sur le droit d’accès à l’information environnementale
Me Cédric G. Ducharme, Président du Centre québécois du droit de l’environnement
La liste complète des signataires est disponible à l’adresse suivante. http://fondationrivieres.org/wordpress/uploads/2017/02/Lettre-au-PM-et-signataires-9-fe%CC%81vrier-2017.pdf