IIl s’agit là de rien de moins que du grand rassemblement de la gauche sociale québécoise — les principales centrales syndicales, l’écrasante majorité des groupes environnementaux nationaux anciens et nouveaux les plus connus des associations nationales populaires et de solidarité internationale — qui fait une proposition au peuple québécois d’analyse de la crise climatique pour en dégager une stratégie d’intervention.
La militance climatique en sort riche de critiques bien argumentées de notre « société capitaliste, croissanciste, capacitiste, colonialiste, extractiviste, raciste, sexiste, individualiste. »Mais elle restera sceptique sur les lignes de force qui s’en dégagent et encore plus en ce qui concerne le plan d’action. On se perd dans une mer d’informations — plus de 700 « actions proposées », étalées tout au long du touffu rapport de 124 pages — peu organisée, souvent répétitive et à peine hiérarchisée et articulée ne dégageant pas de priorités. Malgré des critiques parfois sévères du capitalisme, le capital finit par émerger comme un partenaire, au point que des institutions qui lui sont attachées financent le plan d’action de Québec-ZéN.
Une cible 2030 qui ignore les principes de précaution et d’équité
De cet océan n’émerge aucune cible chiffrée de réduction de GES pour 2030 plus ambitieuse que celles du GIEC (45%) tout en admettant que « le Québec et le Canada doivent donc porter une plus grande part du fardeau de réduction des émissions, ce qui implique qu’ils doivent viser une décarbonation encore plus rapide que la moyenne mondiale ». Cette réserve est basée sur le principe de précaution (la cible moyenne mondiale de 45% du GIEC est basée sur une probabilité de seulement 50% de réaliser le non-dépassement d’une hausse de 1.5°C de la température terrestre en 2100 sans compter qu’elle implique une hausse substantielle de l’énergie nucléaire) et les principes d’équité, soit la responsabilité historique et la capacité financière, établis par la Convention-cadre des Nations Unies, à laquelle le Québec s’est déclaré lié par décret en 1992. En découle pour Québec-ZéN non pas une hausse de la cible 2030 mais une anticipation de la carboneutralité pour 2040 et non 2050.
Depuis la publication du projet en novembre 2020, cinq organisations majeures membres du FCTÉ (FTQ, Équiterre, Greenpeace, Nature-Québec, Fondation David Suzuki), en plus d’Oxfam Québec et du Réseau climat Canada, ont évalué, à la veille de la COP26, « que la juste part du Québec s’élève à une réduction des émissions de 178% sous les niveaux de 1990 d’ici 2030 et inclut des réductions domestiques d’au moins 65% sous les niveaux de 1990 d’ici 2030. » (Oxfam Québec, COP26 : François Legault doit faire ses devoirs sur le climat, 28/10/21) ce qui a amené Québec solidaire, qui tenait son congrès bisannuel à ce moment-là, à ajuster sa cible 2030 de 45% à 55% mais qui reste tout de même en retrait de celle de 65% votée au congrès de 2016. On se dit que pour un projet au diagnostic radical qui avance qu’à terme, en 2050, « [n]os besoins totaux d’énergie ont diminué d’au moins 50% [et l]’énergie consommée est renouvelable à presque 100%. », ces objectifs pour 2030 de cinq de ses importants membres vont de soi. La semaine d’action d’octobre 2021 de Québec-ZéN, peu avant la COP-26, aurait pu être l’occasion de redresser le tir. On attend toujours.
La décroissance Québec-ZéN oublie le gargantuesque « capital fixe » de l’énergie renouvelable
En pratique, contrairement au rapport Dunsky (Marc Bonhomme, Le rapport Dunsky sur la baisse des gaz à effet de serre (GES) au Québec — Les possibilités, oublis, limites et pirouettes de l’approche néolibérale, Presse-toi-à-gauche, 1/02/22), le projet Québec-ZéN se positionne de facto dans le camp de la décroissance même s’il ne l’affirme pas en toutes lettres. Il dénonce « l’externalisation des coûts environnementaux et sociaux de la croissance » et souligne que « les continents de rebuts que nous produisons sont le symptôme d’une économie malade de sa croissance ». Il fait remarquer que « [l]a croissance et la prospérité de ces firmes dépendent de la surconsommation », ou encore que « [l]a croissance engendre de plus en plus d’inégalités à l’intérieur des sociétés et entre les nations ». Finalement, il met en garde contre la « ‘’croissance propre’’ et du ‘’capitalisme vert’’ ».
Comment en effet réduire de moitié la consommation d’énergie sans renoncer à la croissance du PIB à moins de supposer une forte déconnexion entre énergie et PIB. Québec-ZéN fait remarquer avec graphique à l’appui que la consommation mondiale d’énergie par habitant n’a cessé de croître malgré des apparences contraires au Canada et en Europe :
La première période, qui s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 1970, se caractérise par la croissance accélérée de notre consommation. La seconde témoigne d’une stabilisation de la consommation, au cours des années 1980 et 1990. La troisième, entamée au tournant des années 2000, est marquée par une légère diminution de la consommation énergétique de l’économie canadienne et européenne [par habitant cependant selon les graphiques fournis, NDLR]. Ces gains sont cependant attribuables à un déplacement d’une part de la production vers les pays émergents, y compris la Chine dont la consommation d’énergie a bondi pendant cette période.
On pourrait rétorquer que si cette énergie est de plus en plus renouvelable, ce dont Québec-ZéN ne discute pas, il serait possible de mathématiquement déconnecter la croissance des GES de la croissance énergétique même si celle-ci reste directement proportionnelle à la croissance du PIB. Ce serait ignorer que la croissance des énergies renouvelables est directement proportionnelle à la croissance des matériaux nécessaires à la construction des équipements concomitants dans une proportion plus importante que pour les énergies fossiles. Ces énergies diffuses et sporadiques, tout comme celle hydroélectrique, en plus de requérir une grande consommation d’espace, exigent une grande quantité de « capital fixe », et donc d’énergie pour le produire, laquelle énergie ne peut être, au moins au départ, que fossile. En 2020, les énergies renouvelables ne comptaient que pour 5.7% des énergies primaires mondiales auxquelles on peut ajouter 6.9% pour l’hydro-électricité (Wikipedia, World energy supply and consumption).
Québec-ZéN rejette l’usage de la biomasse… sauf si elle a déjà été séparée de la terre
Contrairement au rapport Dunsky, Québec-ZéN rejette le recours deus ex-machina à la capture séquestration du carbone… Enfin presque : « En somme, miser sur la séquestration pour réaliser la carboneutralité serait un pari trop hasardeux, et il faut donc viser l’élimination presque complète des émissions de GES. » Pour ce qui est du recours à la biomasse, qui tient une place importante dans le rapport Dunsky et même pour le GIEC, le verdict est plus ambigu :
Bien que renouvelable, la matière organique forestière n’est cependant pas illimitée. Une exploitation trop intensive affaiblit ces écosystèmes complexes que sont les forêts et menace à terme leur pérennité. […] Pour l’instant, les avis scientifiques divergent, mais guidés par le simple principe de précaution, nous pourrions juger sage de réduire le plus possible nos prélèvements dans les forêts. Nous disposons d’ailleurs déjà de biomasse d’origine agricole et industrielle (bran de scie, écorces, retailles, bois de démolition…) pouvant servir à la production de chaleur ou de biogaz. Devrait-on se limiter à ces sources pour compléter notre mix énergétique et répondre à certains besoins spécifiques ? Chose certaine, la question n’est pas encore nettement tranchée, ce qui impose de poursuivre l’analyse.
Pourquoi ne pas retourner au sol ce bran de scie et écorces des moulins à scie, et les résidus agricoles, alors qu’on lui a déjà pris l’essentiel de l’arbre pour en faire des matériaux de construction ou du papier. On ne condamne pas expressément la production de papier, en particulier de papier-journal, bien qu’en conformité avec la politique prônée pour les déchets de refus-récupération-réemploi-recyclage dans cet ordre, on encourage son économie par un « [c]hantier visant une réduction drastique du papier et du carton dans les entreprises et les foyers [et par un p]rogramme visant à accroître l’accès aux livres et aux médias imprimés en tant que services, sans pénaliser les maisons d’édition ni les médias ». Québec-ZéN rejette clairement l’utilisation du gaz naturel comme fossile mais accepte le « gaz naturel renouvelable » pour « certains besoins spécifiques » même si c’est du gaz manufacturé à partir de résidus agricoles et forestiers qui devraient retourner à la terre pour minimiser la rupture métabolique entre la nature et la civilisation urbano-industrielle issue de la révolution néolithique et portée à son comble par le mode de production capitaliste.
Un plan de match faisable qui exige une totale mobilisation sociale levant tous les blocages
Le plan de match de Québec-ZéN consiste d’ici 2050 à réduire de moitié la consommation d’énergie et de produire celle-ci par des moyens renouvelables à 100% dont on présume que l’essentielle sera hydroélectrique puisque « l’hydroélectricité représente une grande richesse collective qui doit soutenir notre économie et le développement de communautés résilientes, et ce toujours dans un souci de transition juste. » Quoique Québec-ZéN admette que « la construction d’installations hydroélectriques dans le nord du Québec a eu des impacts disproportionnés sur les peuples et les nations autochtones du Québec. […] De vastes régions ont été inondées, la faune a été touchée, des personnes ont été déplacées et les terres dont elles dépendaient ainsi que leurs modes de vie ont été altérés de façon permanente. » Les litiges anciens non encore réglés, comme ceux affectant le Nitassinan innu, serait d’autant plus facilement solubles si cessait la construction de nouvelles centrales.
Québec-ZéN invite, à l’encontre du rapport Dunsky et de la CAQ, à une « remise en cause de la stratégie visant à augmenter à tout prix les exportations d’hydroélectricité ou à s’en servir pour attirer des multinationales ». Serait ainsi réalisée la condition nécessaire mais non suffisante pour arriver à la réduction des GES de 65% en 2030, à la carboneutralité en 2040 sans séquestration de CO2 et en 2050 à la réduction de 50% de la consommation d’énergie. Ne pas construire de nouvelles centrales hydrauliques tout en réduisant les GES suppose aussi de libérer de l’hydroélectricité existante par la sobriété et l’efficacité énergétiques et en complément d’ajouter de l’électricité solaire et éolienne. Globalement, il s’agit de remplacer les énergies fossiles utilisées pour la climatisation des bâtiments, pour la chaleur industrielle et surtout pour les transports par le minimum d’électricité hydraulique récupérée de la climatisation des bâtiments déjà électrifiés et subsidiairement par l’électricité nouvelle éolienne et solaire.
Pour 2030, s’ajoute la mise au point et « de nouveaux procédés zéro émission, comme l’industrie de l’aluminium [qui] dit être en voie de le faire. » On ne voit pas pourquoi non plus l’atteinte du déchet zéro pour 2030 ne serait pas possible en particulier pour le compostage des déchets organiques. Pour la sobriété et l’efficacité énergétiques, il faudra compter sur l’amorçage dès maintenant pour l’horizon 2050 de la plus difficile révolution agrobiologique, en particulier l’alimentation carnée, en coordination avec la révolution de l’aménagement du territoire, en particulier des rapports urbain-rural, et de la matrice industrielle assise sur le rejet de l’obsolescence programmée, de la mode et des chaînes d’approvisionnement à longue distance.
Pour parvenir à ce tour de force, il n’y a ni obstacle technique ni insuffisance financière comme l’a démontré le tsunami des billions de dollars qui a sauvé les banques et les marchés suite aux crises de 2008 et pandémique. Pour le Québec, cependant, il lui faudrait se libérer de l’axe financier-pétrolier Toronto-Calgary et du fédéralisme oppresseur, ce dont Québec-ZéN se fout complètement en se situant dans le cadre de la Banque du Canada dont on suppose qu’elle aurait recours à la planche à billets pour financer la lutte climatique. Manque cependant une mobilisation nationale et mondiale de type état de guerre que le capitalisme a voulu pour sauver sa mise lors de la Deuxième guerre mondiale. Toutefois, il n’en veut pas pour sauver la civilisation de la crise climatique et de la biodiversité car cette mobilisation suppose l’essentielle décroissance matérielle incompatible avec l’accumulation du capital imposée par l’implacable loi de la concurrence qui génère les crises et préparent les guerres.
Québec-ZéN baisse pavillon face à MAAMA et aux grandes entreprises de l’automobile
Il n’en reste pas moins que l’impératif urgent est de réduire d’ici 2030 les émissions de GES de 65% si on se fie à la mise au point de novembre 2021 par cinq des principaux membres du FCTÉ et à l’allusion du projet de novembre 2020 aux principes de 1992 établis à Rio. Il n’y a pas d’autres moyens d’y arriver que par une révolution du transport, là où le bat blesse au Québec plus qu’ailleurs car la climatisation y est en grande partie déjà libérée des énergies fossiles. La société québécoise est une des rares sociétés au monde à ne pas avoir à se soucier à brève échéance de procéder à une révolution de son système d’énergie. Sur ce chemin est à éviter le gargantuesque piège du véhicule (hydro-)électrique en propriété privée, dit en raccourci auto solo, dans lequel est en train de sombrer le monde entier sous la houlette de MAAMA (Microsoft, Apple, Amazon, Meta-Facebook, Alphabet-Google) et des transnationales anciennes et nouvelles de l’automobile en voie de renouveler la cumularde et énergivore consommation de masse avec son alter ego tout aussi énergivore soit l’hyper-connectivité 5G avec ses fermes de serveurs.
Qu’en pense le projet Québec-ZéN à commencer par la transformation du système de transport, l’épine dorsale de toute transition climatique au Québec ? Québec-ZéN a beau tirer l’élastique au maximum en admettant que la production des véhicules électriques « n’en a pas moins une empreinte carbone et écologique substantielle, et ils ne règlent pas le problème de la congestion », il ne prône que la diminution de leur nombre et de leur poids tout comme la maximisation de l’autopartage et la priorisation du transport collectif. Québec-ZéN a beau appeler à une hausse substantielle du malus des véhicules à combustion interne et à leur interdiction en 2040 (et de leur vente en 2030), il ne condamne pas la subvention gouvernementale aux véhicules solos électriques ni ne suggère aucune politique de restriction de leur vente.
Quelles que soient les mises en garde et réserves, le rapport de forces sociales réellement existant ne peut résulter qu’en une grande relance de la consommation de masse sous le patronage du capital financier et du noyau dur des transnationales anciennes (complexe auto pétrole-électricité) et des nouvelles (MAAMA) par le grand remplacement des « autos solos » à combustion interne par celles électriques. Le corollaire en est l’étalement urbain segmenté en Transit-oriented development (TOD) structuré par les trains aériens REM, que Québec-ZéN paraît cependant rejeter, pour les nouvelles classes moyennes sur fond de suburb périclitant abritant celles plus âgées et d’explosives exburb de classes riches et moyennes supérieures boostées par le télétravail postpandémique contrastant avec des quartiers délabrés péricentraux d’invisibles mais indispensables travailleuses essentielles non professionnelles souvent racisées. Le « stopper l’étalement urbain » du projet s’en trouve dénudé.
Le transport public de Québec-ZéN est un pétard mouillé tout comme le logement social
Ce velléitaire échec stratégique vis-à-vis « l’auto solo » à laquelle on laisse la porte ouverte, et par extension à la maison individuelle dont on se contente d’inviter à considérer les coûts financiers et environnementaux, donne le ton à l’ensemble du projet. Même pour le transport collectif, Québec-ZéN renonce à la gratuité complète et universelle pour plutôt prôner une « tarification sociale ou la gratuité dans certains contextes ou pour certaines populations, ainsi qu’un plus grand nombre de voies réservées ». Il n’est donc pas question non plus d’éliminer l’auto solo afin de mettre le réseau routier au grand complet au service du transport collectif public. C’est là accepter d’aller du Charybde du complexe auto-pétrole avec ses chaînes d’approvisionnement et ses lobbies au Scylla du complexe auto-électronique qui deviendra aussi indécrottable que le premier. Pour tout dire, Québec-ZéN ne constate pour le transport collectif aucun rôle stratégique, ne voit en lui aucune pierre d’assise. Il se contente d’inviter à se hausser au niveau de l’Ontario : « budget d’investissement de 5 650 $ par habitant·e au cours des 10 prochaines années pour le transport collectif local et intermunicipal, comme l’Ontario… ».
Si « [l]es transports par navires et sur rails sont préférés au transport routier pour le déplacement de marchandises sur de longues distances », il n’est jamais question de la nationalisation de ces moyens de transport ni d’éliminer les camions lourds des routes. Pour les logements sociaux, Québec-ZéN ne propose aucun nombre, aucune échéance et ne les lie à aucun objectif écologique alors que la revendication de la construction de 10 000 logements sociaux écoénergétiques l’an sur au moins 5 ans est enracinée dans la gauche québécoise depuis belle lurette. On se contente d’appeler à des réserves de terrains, à plus de financement et à leur intégration. Idem pour les « circuits courts ». L’appel à l’« économie circulaire » fait au moins la réserve qu’elle est compatible avec la croissance car « même en économie circulaire, il faut prélever toujours plus de matière dans la nature si on veut produire des quantités toujours croissantes de biens. »
Pour Québec-ZéN, le capital est à proscrire… il faut donc l’enrôler pour la cause !
Le projet Québec-ZéN finit par sombrer dans le gouffre entre la lucidité/savoir scientifique/technocratique et la velléité petite-bourgeoise propre à l’entre-deux eaux des experts, cadres et animatrices coincées dans les méandres des institutions vouées à la réforme du système pour mieux assurer sa pérennité. On le constate à la manière dont le projet Québec ZéN considère le capitalisme. D’abord il faut le reconnaître comme une des caractéristiques de notre société « capitaliste, croissanciste, capacitiste, colonialiste, extractiviste, raciste, sexiste, individualiste » sur laquelle il faut s’éduquer et se former car « [l]’économie financiarisée, axée sur l’accumulation du capital et non sur la satisfaction des besoins, fait primer la rentabilité des investissements sur la protection de l’environnement, les droits humains, le bien-être des populations et la résilience des collectivités. »
Il faut donc ne pas « [c]roire aux mirages de la ‘’croissance propre’’ et du ‘’capitalisme vert’’ » mais plutôt enrôler du « capital d’investissement significatif par l’entremise d’un ‘’Fonds de la transition’’ mobilisant des leviers d’investissements collectifs existants ainsi que les ministères et organismes à vocation économique de l’État [par exemple par la p]articipation des fonds de capital socialisé (fonds de travailleurs, mouvement Desjardins) à l’effort de financement de la transition énergétique… » Il ne s’agit donc pas de renverser ou de « dépasser » le capital mais de le rallier à la transition « [e]n investissant dans les projets identifiés par les ‘’Chantiers régionaux de la transition’’ en fonction de critères déterminés par les collectivités [et e]n assujettissant tous leurs investissements, dépenses et projets à un test climat ainsi qu’à des critères sociaux et environnementaux. »
Il y a des limites à tenter d’arrondir des carrés alors que le capitalisme se durcit
Comment concilier ces contraintes avec le sine qua non de la rentabilité du capital dans un contexte de libre-échange qu’il faudrait renégocier en fonction des droits de l’environnement, du travail, des autochtones, de l’État, y compris un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » mais tout de même conserver sa logique intrinsèque de libre circulation des capitaux que ce soit sous forme d’argent ou de marchandises à des fins de maximisation des profits ? Il y a des limites à tenter d’arrondir des carrés. La réalité du capitalisme réellement existant a amplement démontré que face à la crise économique de 2007-2008 et en réaction aux grandes et soutenues révoltes populaires depuis décembre 2010 qui se prolongent aujourd’hui en Birmanie et au Soudan, les forces du capital au lieu de se réformer se sont braquées pour se maintenir sans réformes autres que cosmétiques quitte à édulcorer la démocratie parlementaire en celle « illibérale » ou carrément la sacrifier en dictature de droite extrême et d’extrême-droite.
La grande préoccupation des auteurs capitalistes, depuis l’échec de la COP de Copenhague en 2009 et comme l’a encore une fois révélée la COP de Glasgow en 2021, est moins que jamais la crise existentielle climatique mais la survie du capitalisme. Cet impératif s’impose par l’intensification des rivalités inter-impérialistes structurées par le binôme ÉU-Chine rendu visible dès la COP de Copenhague où paradoxalement l’affrontement ÉU-Chine s’est conclu par un accord entre eux… sur le dos du climat et de ses défenseurs pour ne rien faire. On connaît la suite depuis la présidence Trump précédée du « pivot vers l’Asie » d’Obama enlisé dans les défaites des guerres irakienne et afghane et suivie de la politique va-t’en-guerre de Biden entretenue par la provocation guerrière de Poutine envers l’Ukraine que la Chine appuie soudain ainsi le bloc Chine-Russie versus celui ÉU-OTAN-Australie. C’est à ce point que les entreprises produisant des énergies fossiles, mues par la dynamique de cette confrontation, reprennent du poil de la bête tout comme les engagements de la présidence Biden sur la crise climatique coulent à pic.
Tourner autour du pot avec mille formules pour ne pas confronter l’entreprise privée
Il ne faudrait cependant pas compter sur Québec-ZéN pour confronter ces entreprises grandes ou petites qui sont à la source du problème. Le projet s’appuie certes sur une analyse très critique :
Notre système économique repose sur l’entreprise privée, dont les finalités sont la réalisation de bénéfices et l’expansion de ses activités. […] [L’économie financiarisée] a soutenu le développement de grandes entreprises privées — souvent multinationales — sans véritable ancrage social ou territorial, jouant les états les uns contre les autres via les lobbys, les paradis fiscaux et les traités de libre-échange. La croissance et la prospérité de ces firmes dépendent de la surconsommation, de l’accumulation de biens et du gaspillage inhérents à nos modes de vie. Avec les institutions financières, ces entreprises contrôlent également l’essentiel de l’investissement, qui détermine nos priorités en termes de production et de consommation futures.
On s’attendrait à une mise au ban de ce système. Il n’en est rien. On recommande bien à l’état de leur imposer certaines obligations de décarbonisation… « afin d’avoir droit à un financement public », de leur appliquer le « [p]rincipe de pollueur-payeur » y compris pour leurs propriété hors Canada, de leur imposer « un prix juste sur le carbone couplé à une réglementation et à des incitatifs » et au système financier de « leur interdi[re] d’accorder des crédits pour l’expansion des entreprises liées aux combustibles fossiles ». On prône bien fort « l’économie sociale » et « l’économie des communs » et on va même mentionner que « [c]ertains économistes vont encore plus loin en prônant par exemple l’institution obligatoire d’une véritable parité entre les actionnaires et les salarié·e·s, la nationalisation du secteur bancaire, des ressources naturelles ou de la grande industrie, ou même l’abolition de l’entreprise à but lucratif » pour immédiatement faire un saut en arrière après avoir proclamé que « le débat est ouvert ». (Notons que dans le document touffu et dense de 124 pages, il n’est jamais question de nationalisation ou d’étatisation sauf dans ce passage.)
Collaboration de classe qui renie l’esprit d’affrontement de 1972 dont c’est le cinquantenaire
À la fin « …il faut que les organisations — entreprises, syndicats, associations, ordres professionnels, OSBL, etc.— s’engagent dans une démarche ambitieuse qui amènera rapidement leurs émissions nettes de GES à zéro. » Au sein des entreprises, le projet recommande la « création de comités paritaires sur la transition. » Après une incartade à gauche toute, on en revient finalement à la bonne vielle collaboration de classe, connue au Québec sous l’euphémisme de concertation, quitte à prêcher pour un « [programme de soutien à la conversion d’entreprises à but lucratif en entreprises collectives, incluant un bouquet varié de mesures : Incitatifs fiscaux ; Réglementation ; Outils de financement » que les entreprises menacées de banqueroutes par la transition climatique utiliseront allègrement pour se recycler.
S’appliquera un « programme de financement pour les communautés, municipalités, organismes publics, entreprises, syndicats et organisations citoyennes… » y compris pour le « soutien à la recherche et au développement touchant le développement de procédés industriels ». Nulle part Québec-ZéN n’oblige les entreprises à investir leurs propres fonds alors que plusieurs des réformes prescrites les rendraient plus compétitives. À chaque fois, toute contrainte étatique est accompagnée d’une garantie de financement ou de subvention sans même qu’il ne soit mention de prise de participation au capital par l’état. Québec-ZéN est à des années-lumière de l’esprit de la grève générale de 1972, dont il faudrait célébrer, étudier et débattre le cinquantenaire, qui voyait la CSN, la FTQ et la CSQ, membres de Québec-ZéN, publier respectivement les brochures anticapitalistes « Ne comptons que sur nos propres moyens », « L’État, rouage de notre exploitation » et « L’école au service de la classe dominante ».
Non à l’impôt progressif ; Oui à la taxe carbone, à l’emprunt auprès des capitalistes et à l’inflation
Le projet Québec-ZéN propose un financement étatique pour une transition climatique assise sur la collaboration de classes. D’où proviendront ces « investissements colossaux[qui] seront indispensables pour transformer notre société de manière à empêcher l’emballement climatique et ses redoutables conséquences » ? Comme mesures fiscales, on propose une « réforme fiscale écologique » laquelle d’abord « abolit les avantages fiscaux accordés au secteur des énergies fossiles ». Fort bien. Ensuite et surtout on instaurerait « l’écofiscalité » tout en déplorant que « la tarification imposée en vertu du marché du carbone demeure largement inférieure au coût social des émissions » mais en précisant qu’« il sera indispensable d’assurer une distribution équitable de la charge fiscale… ». On voit à travers les branches la taxe carbone Trudeau, une régressive taxe de vente glorifiée, qui grimpera jusqu’à 170$ la tonne carbone en 2030 mais qui est presque totalement redistribuée quelque peu progressivement.
Il résulte de la réforme fiscale proposée qu’il ne reste presque rien au gouvernement pour financer ces « investissements colossaux » à même le budget public hormis les prix de consolation que sont l’annulation du soutien aux énergies fossiles, la taxe sur les transactions financières et le produit de l’aléatoire « lutte contre la concurrence fiscale internationale et interprovinciale ». On fait confiance au marché pour effectuer le travail. On renonce même à l’annulation complète du Fonds des générations. Québec-ZéN reste complètement coi à propos de l’imposition du capital, des profits et des hauts revenus, et même de la taxation des biens de luxe énergivores. Pourtant, selon Oxfam, « [p]our atteindre l’objectif de 1,5 °C, les 1 % les plus riches devraient réduire leurs émissions actuelles de carbone d’environ 97% [alors que l]es émissions par habitant·e de la moitié la plus pauvre de la population mondiale devraient rester bien en deçà du seuil de 1,5 °C fixé pour 2030. » Le financement du projet Québec-ZéN ignore son propre constat : « Les ménages les plus aisés sont de loin les plus fortement interpellés à cet égard car leur contribution aux émissions de GES est spectaculairement disproportionnée. »
Au bout du compte, on mise sur la « [p]articipation des fonds de capital socialisé (fonds de travailleurs, mouvement Desjardins) », l’« [é]mission d’obligations climatiques » y compris par les moyens d’« un programme d’assouplissement quantitatif vert » par la Banque du Canada et par la « révision du mandat d’Épargne placement Québec », et la collecte d’épargne par des « banques publiques à travers le Canada ». En deux mots, pour l’essentiel du financement, Québec-ZéN fait appel au capital — car dussent-ils être générés coopérativement ou publiquement, les obligations et prêts doivent rapporter si « verts » soient-ils — et à l’inflation monétaire générée par la Banque du Canada qui finit par créer l’inflation des prix après avoir produit la bulle spéculative du capital fictif. Même la « théorie monétaire moderne » qui inspire Québec-ZéN admet un danger inflationniste, aujourd’hui bien réel, une fois atteint le (quasi-) plein emploi, ce qui exige d’éponger le surplus de monnaie des marchés soit par la taxation soit par l’emprunt privé.
La grande réconciliation localiste pour ne pas affronter les monstres mondiaux et nationaux
Sur la base de son projet ainsi ficelé, Québec-Zen « vise la construction de collectivités ‘’zéro émission nette’’, plus résilientes et plus justes dans les diverses régions du Québec. […]
Rompant dans toute la mesure du possible leur dépendance envers l’économie mondiale financiarisée, elles localisent, verdissent et humanisent leurs activités économiques dans le but d’augmenter leur autosuffisance tout en s’affranchissant des énergies fossiles […] tout en demeurant critiques face aux mirages technologiques. […] Elles considèrent que la nature et ses ressources relèvent d’un commun partagé avec les générations futures et que leur utilisation doit passer par un consensus social. » Il s’agit donc de construire des économies locales déconnectées sans GES réconciliant nature, générations actuelles et futures et "last but not least", classes sociales. Pour arriver à cette grande réconciliation localiste, Québec-ZéN propose des « Chantiers régionaux de la transition […] gérés selon les principes de la démocratie participative […] Tous les secteurs de la collectivité y seront représentés, notamment les organismes environnementaux, les mouvements citoyens, les syndicats, les acteurs de l’économie, y compris l’économie des communs et l’économie sociale, les organismes d’action communautaire, les groupes marginalisés, les acteurs politiques de tous les paliers, les jeunes, les secteurs de l’éducation, de la recherche, de la santé et de la culture. Les nations autochtones concernées qui le souhaitent y trouveront leur place en tant que partenaires à part entière. »
La façon d’inclure les entreprises privées, institutions financières comprises, sans les nommer dans cette énumération est un chef d’œuvre d’entourloupette intellectuelle. La conclusion de ce long projet est plus claire, surtout l’ordre hiérarchique des participants au « dialogue social » : « Toutes et tous ont leur rôle à jouer : Ottawa, Québec, municipalités, entreprises et autres organisations, citoyennes et citoyens. » Faut-il se surprendre que cette montagne d’ambiguïtés analytiques ait accouché d’une souris sur le terrain de la mobilisation. Depuis novembre 2020, date de la publicisation du projet 2.0, seulement quatre chantiers locaux-régionaux ont émergé : Lachine, Laval, Québec, Saguenay-Lac St-Jean.
La montagne qui accouche d’une souris passant à côté de la société alternative de « prendre soin »
Selon le site web de Québec-ZéN, leur seule mobilisation fut une semaine d’activités en octobre 2021, essentiellement des ateliers, table-rondes, films et visites bien qu’eurent été incluses trois manifestations qui de toute façon auraient eu lieu. Depuis, le calendrier des événements du site web est vide. Bien sûr, la pandémie n’a pas aidé mais elle n’a pas empêché la droite extrême et l’extrême-droite de se mobiliser, au contraire ! Malgré une ou deux allusions marginales, Québec-ZéN ignore l’alternative d’une société de « prendre soin » (care) ce qui lui aurait permis de saisir la balle au bond. Cette alternative aurait pu être proposée non seulement comme projet de relance postpandémie mais certains de ses éléments comme réponse immédiate à la pandémie elle-même. En l’absence d’un projet de gauche à opposer à la gestion néolibérale pandémique tout-pour-l’économie-rien-pour-la-santé-et-vivent-les-morts par les gouvernements fédéral et des provinces du Canada, les manifestations anti vax et anti mesures sanitaires jusqu’aux « convois de la liberté » ont su prendre toute la place.
J’ai traité en long et en large de cette alternative en particulier l’article « De l’audace pour une cible à la Greta Thunberg de 67% et non de 45% » publié par Presse-toi-à-gauche le 22/09/21 dont on trouvera en annexe la partie légèrement amendée « Pour une réduction des gaz à effet de serre (GES) des deux tiers d’ici 2030 ». Peut-on s’imaginer qu’un front représentant formellement 1.8 million de personnes mais refusant d’affronter le patronat, après avoir vilipendé le capitalisme haut et fort pour finalement lui tendre la main, va être en mesure de mobiliser à une échelle significative ? Afin de s’esquiver, le projet Québec-ZéN fuit la scène mondiale et nationale sur laquelle pourtant œuvrent la majorité des organisations qui composent le FCTÉ pour se réfugier au niveau local et régional et mettre l’emphase sur les gouvernements municipaux dont le pouvoir en matière climatique est fort réduit tant légalement que financièrement.
Faut-il se surprendre que le plan d’action du projet Québec-ZéN soit financé par les fondations des hommes d’affaires Lorne Trottier de Matrox et André Chagnon ex-propriétaire de Vidéotron vendue très lucrativement à la CDPQ, par Desjardins à travers sa Caisse d’économie solidaire, le tout enveloppé soigneusement dans le Fonds d’investissement Béatrix des communautés religieuses. Amen.
Marc Bonhomme, 20 février 2022 www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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