La clause 604 interdit au Canada de taxer l’exportation des hydrocarbures (en gros gaz et pétrole), la 605 impose une disponibilité de livraisons transfrontalières d’hydrocarbures égale à la moyenne des trois années précédentes. Ces dispositions avaient été initiées dans l’ALÉ (accord de "libre-échange" Canada-États-Unis signé en 1987 par Mulroney et Reagan) et reconduites dans l’ALÉNA en 1994. Fait intéressant : le Mexique s’est exclu de ces clauses dans une annexe à l’article 605 (2). Le libellé ne prévoit aucune dérogation, que ce soit en cas de pénurie nationale (vous avez bien lu, on devrait alors se débrouiller tout en maintenant nos exportations vers notre voisin du Sud), et encore moins pour respecter nos engagements en vertu d’autres accords internationaux comme celui de Paris sur le climat (pour lequel le Canada est déjà en mauvaise posture, et où dans l’éventualité de la construction du pipeline Keystone XL il nous serait virtuellement impossible d’atteindre nos objectifs de réduction de GES).
Question légitime : pourquoi le Canada a-t-il signé de telles conditions ? Il est possible que ce fût en échange du maintien du Pacte de l’Automobile dont les Américains voulaient se débarrasser lors des négociations de 1987. Mais au fond peu importe la concession que le Canada cherchait à décrocher, pour amadouer un géant, on doit offrir des gros cadeaux ; les entreprises états-uniennes qui n’ont besoin que de nos matières premières feront toujours payer très cher un accès, ne serait-ce que marginal, à leur marché intérieur.
Ces accords sont toujours présentés sous un jour humaniste ; il n’y a qu’à lire le préambule de l’ALÉNA pour être charmé : on y célèbre la fraternité entre les peuples, on y inscrit même comme objectif la protection de l’environnement, le développement durable et l’amélioration des droits des travailleurEUSEs, on y insiste sur le respect de la souveraineté et de l’autodétermination, on y promet emplois et croissance économique profitant à tous, etc., nous chanterons tous Kumbaya autour du feu ! Dans ce genre de textes il est important de faire la distinction sémantique entre énoncés de principe avec des verbes comme « promouvoir », « viser », « valoriser », « avoir pour objectif » ou encore « aspirer » et le verbe contraignant « devoir » ; les premiers n’ont AUCUN effet juridique, ils ont le même poids légal qu’une promesse du nouvel an, alors que le second expose les signataires à des mesures de rétorsion en cas de non-respect. Il est à noter que ces accords se retrouvent de facto et de jure au-dessus des corps législatifs, exécutifs, des constitutions et des cours suprêmes des états signataires.
Sans même parler ici du chapitre 11 qui nécessiterait un autre article (et en vertu duquel le Canada vient (encore) de perdre une poursuite de 500 millions de dollars (3) parce qu’une province a bloqué un projet jugé destructeur), je ne peux m’empêcher de poser la question : est-ce un accord de « libre-échange » quand un signataire est forcé d’accepter certaines catégories de transactions ? Pour moi le Principe de Proportionnalité rappelle des accords coloniaux où une puissance se garantit un accès à des ressources. On notera au passage que certains intérêts particuliers au Canada acceptent volontiers, voire encouragent, ce genre de clauses, serait-il de mise de questionner le patriotisme qu’ils professent envers le "plus meilleur pays au monde" ?
Pour en savoir plus et agir, je vous conseille le site du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) : http://rqic.quebec/
Pétition (qui n’a que 180 signatures à ce jour) : http://rqic.quebec/lalena-une-menace-a-lenvironnement-et-aux-accords-de-paris/
Jean-Pierre Guay
Notes
1.http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/fta-ale/06.aspx?lang=fra ; articles 604 et 605
2.http://international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/nafta-alena/fta-ale/06.aspx?lang=fra ; annexe 605
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