M. Khadir :
Bonjour, tout le monde. Merci de votre présence. Nous dévoilons aujourd’hui un rapport très exhaustif et élaboré sur un type de financement des partis politiques qui cause beaucoup problème au Québec, ce qu’on appelle le financement sectoriel, financement provenant du milieu de la construction, du milieu du génie-conseil et d’autres secteurs d’activité économique que nous allons vous décrire aujourd’hui. Vous avez le rapport complet ainsi qu’un résumé en quelques pages qui, donc, brosse un tableau d’un type de financement qui a été largement décrit au cours des deux dernières années et maintenant prouvé, c’est-à-dire ce qu’on appelle le financement sectoriel, financement organisé par des entreprises de différents secteurs d’activité économique pour soutenir des partis politiques, alors que la loi, en principe, interdit aux milieux d’affaires, aux entreprises de contribuer à la caisse électorale des partis.
Le but de la présentation de ce rapport à cette étape-ci, c’est que la commission Charbonneau est appelée à débuter ses travaux prochainement. Nous voulons apporter à l’attention de la commission Charbonneau l’ampleur de la corruption entraînée par ces pratiques de financement sectoriel dans lesquelles sont impliquées, bien sûr, des entreprises comme des entreprises de construction, de génie-conseil, mais également des firmes d’avocats, des firmes de comptables et plusieurs autres types de firmes au Québec.
Un des buts de notre intervention, c’est de dire également que, bien que le mandat de la commission Charbonneau a été restreint au secteur de la construction, il nous apparaît évident qu’un filon plus prometteur pour permettre à la commission de véritablement défaire, mettre fin au système qui entretient la corruption à la fois dans l’octroi des contrats gouvernementaux, mais aussi dans les villes et les municipalités du Québec où, malheureusement, ce type de pratique existe, il faut suivre la trace de l’argent plutôt que de juste se concentrer sur un milieu en particulier. Un des exemples les plus patents, bien, c’est ce qui a été révélé hier à propos de Mme Beauchamp et le financement octroyé par une série d’entrepreneurs, dont Domenico Arcuri qui est lié à la mafia. Carboneutre n’est pas une entreprise de construction ; Carboneutre agit dans un autre domaine et cherchait un permis d’exploitation qui ne touche pas nécessairement la construction, mais plutôt du domaine de la gestion des déchets, enfin, des matières résiduelles et toxiques.
Il y a deux types de financement qui sont, bien sûr, illégaux : il y a l’argent comptant, les enveloppes brunes, ce qu’on a vu avec stupéfaction, par exemple, pratiqué par le maire Vaillancourt lorsqu’il essayait de corrompre deux autres élus. L’émission Enquête en a apporté d’autres preuves, d’autres témoignages. Le rapport Duchesneau aussi parlait de... pratiquement, de valises d’argent qui se promènent sur certains chantiers de construction. Ça, c’est donc un type de financement qui est tout à fait illégal, mais sur lequel on ne se penche pas dans le rapport.
Nous, on s’est concentrés sur le financement sectoriel. Qu’est-ce que c’est, ce financement sectoriel ? C’est l’influence que cherchent à obtenir différentes entreprises dans différents secteurs d’activités dans l’attribution des contrats publics par le gouvernement. Alors, des dirigeants, des cadres, parfois même des employés qui agissent comme prête-nom sont poussés, encouragés par l’entreprise à donner, et souvent de manière groupée, aux partis politiques traditionnels. On parle du Parti libéral, du Parti québécois et de l’ADQ.
Les exemples abondent au cours des dernières années. On peut penser à Mme Nathalie Normandeau, avec la soirée clés en main organisée par le firme Dessau, qui lui a rapporté plus de 100 000 $... en fait, plus de 100 000 $ à la caisse du Parti libéral. Il y a l’exemple très récent d’hier de Mme Line Beauchamp, où un mafieux notoire cherchant à obtenir un permis d’exploitation organise un déjeuner et où on sort avec 66 000 $ en poche. Pour ne pas, évidemment, paraître déséquilibré, uniquement braqués sur le Parti libéral du Québec, on peut citer aussi le Parti québécois. On se rappellera de Groupe Action, avec Marcel Melançon, à la fin des années quatre-vingt-dix, mais, encore au milieu des années 2000, Mme Marois, lors de sa campagne de chefferie, a ramassé 123 000 $ en contributions politiques. Deux tiers de ces 123 000 $ étaient donnés par des personnes, des cadres, des dirigeants d’entreprises de génie-conseil.
Pour résumer ou illustrer la chose, le financement sectoriel, c’est quoi ? C’est pour rentrer dans l’avion. Quel avion ? C’est l’avion du gouvernement et de ses contrats. C’est Marcel Melançon, dans le rapport Moisan, qui raconte, hein, c’est... En fait, c’est le président de Groupe Action qui se rappelle du cours donné par Marcel Melançon, principal collecteur de fonds du Parti québécois à la fin des années quatre-vingt-dix, entrepreneur du domaine de la construction, associé à Tony Accurso et qui dit : Les contrats du gouvernement, c’est un voyage en avion. Tu peux le regarder passer, tu peux embarquer dedans. Si tu donnes assez, tu peux même être assis à côté du pilote. Avec les libéraux, aujourd’hui on peut même dire : Si tu donnes assez, tu peux même avoir au moins une main sur le volant.
Alors, le rapport. Il y a des tendances très lourdes. On a fait une étude très exhaustive en mettant à contribution les données du Directeur général des élections sur les 30 dernières années - c’est la première fois qu’une telle étude a été faite - de 1981 à 2011. Alors, qu’est-ce qui ressort comme grande tendance au cours des 30 dernières années ? D’abord, c’est que c’est toujours le parti au pouvoir qui recueille le plus, phénomène assez remarquable, parce que ce tableau représente, en rouge, ici, le Parti libéral, en bleu, le Parti québécois, puis il y a aussi l’ADQ, qui monte soudainement en 2007, si vous voyez, ici, les dons faits à l’ADQ. Ce qui est remarquable, c’est qu’en dollars constants, le Parti libéral, déjà, allait chercher beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent. En dollars constants, le financement du Parti libéral était déjà bien supérieur à tous les autres partis. Le Parti libéral est champion toutes catégories. Et, même en dollars constants, on peut dire, le Parti libéral avait plus de succès, ramassait plus d’argent en dollars constants que ce qu’il réussit à aller chercher aujourd’hui. Nous vous rappelons que Marc-Yvan Côté, ministre et très actif dans le financement du Parti libéral, était actif au cours de ces années-là.
On remarque aussi qu’à l’approche du pouvoir il peut y avoir des cas où c’est le parti qui est dans l’opposition qui monte de manière assez importante. On le voit dans le cas du PQ, ici : ça, des périodes, vous voyez, de pouvoir du PQ, en bleu. Tout d’un coup, le Parti québécois monte et il garde, disons, sa supériorité, son avantage pendant toutes les années du pouvoir. Mais, à l’approche... quand le vent change, à la fin des années 2000, M. Bouchard démissionne, le Parti québécois est à bout de souffle, mais le Parti libéral, avec M. Charest, maintenant, bien assis en selle, augmente son efficacité et va chercher d’importantes sommes et contributions. Donc, tous les partis... l’autre élément qui sort de ça, c’est que tous les partis traditionnels, y compris l’ADQ, font du financement sectoriel.
L’autre élément qui ressort, ce sont les dons maximaux. Ce qu’on remarque, c’est que la part que représentent les dons maximaux de 3 000 $, au cours des années où c’était 3 000 $, dans le financement des partis est très importante. D’ailleurs, vous allez voir, dans le rapport, une analyse qui est faite sur le médian et la moyenne des dons. Ce qu’on remarque, en fait, dans cette analyse-là, c’est que la part que constituent les dons maximaux donne un financement d’un parti politique. Les dons à 3 000 $ sont très, très important, ça pèse lourd, et on peut se questionner : Qui, dans la société, peut donner 3 000 $ à des partis politiques ?
Et, à chaque fois qu’on associe et qu’on va chercher ces dons-là, on voit qu’une bonne concentration de ceux-là, c’est des gens qui sont dans différentes firmes qui font affaire avec le gouvernement. La relation est simple, ça veut dire qu’une bonne partie du financement des partis politiques qui accaparent le pouvoir vient de firmes qui font affaire avec le pouvoir, et non pas des citoyens ordinaires. La chose, évidemment, est moins marquée avec le PQ qu’avec le PLQ, puisque le PQ, il faut le reconnaître, a une bonne base aussi de donateurs qui viennent du public, de gens, de sympathisants qui votent pour leurs convictions.
Alors, d’autres exemples - je vais terminer là-dessus - il y a l’exemple du génie-conseil, puis Mme David va terminer. Dans le rapport, vous allez voir que les firmes de génie-conseil et des firmes de construction, entre 2000 et 2011, ont donné au total près de 3 millions de dollars ; 1,4 million pour les firmes de génie-conseil, les 11 qu’on a répertoriées, 1,4 million également pour les firmes de construction qui comprennent Accurso, qui comprennent Catania, Petra de Borsellino, mais qui ne comprennent pas les entreprises Neilson - on n’a pas fait ce travail-là, on n’a pas eu la capacité de trouver les noms.
Donc, au total, 3 millions de dollars en retour de quoi ? Ces firmes ont eu des millions de dollars de contrat, parfois sans appel d’offres, mais également, on le sait, hein, on l’a vu dans le domaine de la construction, c’est la collusion pour se distribuer le gâteau. Et l’exemple le plus patent nous a été démontré encore hier : six des 11 firmes qui paraissent dans le rapport ont obtenu, hier, du ministère des Transports - que M. Charbonneau... M. Duchesneau avait décrit comme étant complètement miné par son incapacité à surveiller la corruption et la collusion - six de ces firmes-là, Axor, SNC-Lavalin, Roche et d’autres ont obtenu pour 438 millions de contrats divisés entre eux pour 200 kilomètres de route dans le Plan Nord.
Alors il est encore question... la question se pose, alors qu’on avait dit... et l’élément que je vous décrivais ici, alors qu’on avait dit qu’on mettait fin à ce système-là, encore une fois, des firmes de génie-conseil qui contribuent à la caisse du Parti libéral ont les deux mains dans les contrats publics au Québec.
Mme David (Françoise) :
Alors, vous comprendrez que Québec solidaire a des ressources modestes, donc le rapport que nous vous présentons, c’est un rapport avec tout ce qu’on a pu trouver depuis 30 ans. On est assez fiers d’avoir pu, quand même, colliger des chiffres depuis cette longue période de temps. On ne prétend pas que le rapport soit exhaustif, mais on pense qu’avec les données que nous vous présentons, il y a déjà pas mal d’éléments qui nous font dire : Oui, le financement sectoriel a toujours existé ; en fait, depuis 30 ans, il existe et il continue d’exister.
Ce que nous voulons rajouter, c’est que ça va bien au-delà des firmes de génie-conseil. On a pu, nous, par exemple, aller du côté des firmes d’avocats et on a pu explorer les chiffres de 11 firmes d’avocats qui font affaire, d’une manière ou d’une autre, avec le gouvernement du Québec. Entre 2003 et 2011, 11 firmes d’avocats on donné 839 dons au Parti libéral du Québec, 226 au Parti québécois et 33 à l’ADQ pour un total de près de 1 million de dollars, dont près de 800 000 $ au seul Parti libéral du Québec.
Pour la même période, 2003-2011, ces firmes d’avocats ont reçu pour près de 13 millions de dollars en contrats gouvernementaux. Est-ce seulement le fruit du hasard ? Nous voulons ici vous donner un seul exemple : l’année 2008 - sur laquelle je reviendrai - c’est une année fort intéressante au niveau de nos analyses, c’est une année électorale. La firme Heenan Blaikie : 30 % des avocats de cette firme, en 2008, donnent au Parti libéral du Québec, 30 %. Est-ce le fruit du hasard ? Est-ce une coïncidence ? Si l’on se rappelle que seulement 0,8 % des contribuables québécois demandent un crédit d’impôt pour financement à un parti politique - 0,8 % - c’est assez surprenant de voir que 30 % des avocats associés à un cabinet donnent à un même parti politique.
Par ailleurs, nous invitons aussi la commission Charbonneau à se rendre du côté des firmes comptables. Et nous avons un seul exemple à vous donner, mais qui nous semble tout de même porteur d’une recherche à faire : la firme Raymond Chabot Grant Thornton, entre 2008 et 2011, des avocats liés... pardon, des comptables liés à cette firme donnent, au Parti libéral du Québec, 274 - très exactement - dons, 140 dons au Parti québécois, 45 dons à l’ADQ, pour un total de 459 dons et 301 677 $ entre 2008 et 2011. En 2008, 56 % des professionnels à l’emploi de cette firme comptable ont effectué des dons au seul Parti libéral du Québec - 56 % - et plusieurs donnent à la fois au Parti libéral et au Parti québécois. Entre 2008 et 2011, cette firme a reçu des contrats gouvernementaux pour 3 811 000 $. Est-ce le fruit du hasard ?
J’aimerais revenir sur cette fameuse année 2008, année électorale : nous avons pu constater que les dépenses électorales du Parti libéral du Québec totalisent 5 millions de dollars ; 26 % de ces dépenses sont issues, selon nos recherches, de tout ce qu’il y a lieu d’apparaître comme du financement sectoriel. À l’heure où ce gouvernement prétend avoir la légitimité de résister avec intransigeance aux revendications des étudiantes et étudiants, on peut se demander quelle est la légitimité du gouvernement Charest.
En conclusion, Québec solidaire croit qu’il faut absolument sortir du financement sectoriel. Nous proposons à la commission Charbonneau d’aller le plus loin possible, dans une conception large de son mandat, pour vraiment bien exposer le système de financement sectoriel et faire les recommandations nécessaires pour l’éradiquer totalement.
Nous croyons aussi que nous devons reconnaître collectivement, comme société québécoise, que ce financement sectoriel existe encore et nous devons décider collectivement d’y mettre fin. Québec solidaire lance un appel aux directions des partis politiques pour que, vraiment, un coup de barre soit effectué.
Il faut adopter ensuite des mesures pour diminuer la dépendance des partis politiques vis-à-vis le financement sectoriel. Ce que nous avons pu observer, c’est que le coût des campagnes électorales explose littéralement et que c’est certainement une raison majeure qui explique, entre autres, y compris, bien sûr, aussi, toutes les faiblesses humaines, mais une raison majeure qui, pour certains, va justifier dans leur tête, très maladroitement et très malheureusement, l’appel à du financement sectoriel.
Faisons des campagnes électorales moins coûteuses. Par exemple, on peut limiter les dépenses électorales : on peut décider qu’il y aura moins de pancartes, ça fera aussi moins de pollution visuelle ; on pourrait poster aux citoyens les programmes électoraux des partis politiques, le Directeur général des élections pourrait faire ça ; on pourrait rendre accessible, à des heures de grande écoute, sur médias électroniques, des publicités pour les partis politiques. Moins de dépenses, moins de besoins en revenus. Ensuite, il nous semble qu’on peut - c’est une hypothèse - adopter des mesures supplémentaires de contrôle des dons effectués aux partis politiques. Pourquoi ne pas demander, sur la feuille de contribution, le nom de l’employeur ? On peut aussi - c’est une proposition de Québec solidaire, adoptée depuis 2010 - abaisser le plafond des dons acceptables aux partis politiques. Et nous, nous avons proposé qu’il soit abaissé à 500 $.
Nous croyons aussi que la commission doit absolument recommander que la Direction générale des élections ait davantage de ressources humaines et financières. Il y aura toujours des gens qui seront tentés par la corruption. La seule façon, ultimement, d’y mettre fin, c’est qu’il y ait un organisme indépendant, sous la direction de l’Assemblée nationale, qui puisse vraiment effectuer des recherches, envoyer des inspecteurs et s’assurer que tout se passe bien.
Nous croyons qu’il faut augmenter le financement public aux partis politiques. Nous proposons qu’il soit à 1,50 $ par vote d’électeur. Et, finalement, nous pensons qu’une solution plus globale, qui aiderait beaucoup à mettre fin à la corruption et à la collusion dans le monde politique, c’est une réforme en profondeur du mode de scrutin pour adopter un mode de scrutin proportionnel et, de cette façon-là, mettre fin à l’hégémonie de deux partis politiques depuis nombre d’années et à cette alternance qui finit par faire en sorte qu’on s’installe un peu trop facilement dans le pouvoir.
Québec solidaire pense que nous avons besoin, vraiment, d’un grand ménage pour redonner confiance en les institutions politique, et nous croyons que la démocratie en dépend au Québec. Merci.