Édition du 12 novembre 2024

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États-Unis

Le choix de Kamala Harris comme colistière de J. Biden fait l’histoire.

La militante pour l’abolition de la criminalisation de la prostitution, Derecka Purnell commente et explique pourquoi cela rend les progressistes noirs.es inconfortables

Amy Goodman, demcracynow.org, 20 août 2020
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Amy Goodman : La Sénatrice Kamala Harris a accepté la nomination à la candidature à la vice-présidence durant la Convention nationale démocrate. Elle est la première américaine d’origine indienne et la première personne de race noire à être arrivée à cette nomination dans un Parti majeur.

Pour en savoir plus, nous allons nous entretenir avec l’avocate des droits humains et militante pour la décriminalisation de la prostitution, Derecka Purnell. Elle tient aussi une chronique au journal The Gardian. Elle nous parle depuis Washington D.C.

Merci de vous joindre à nous en particulier au cours de votre récupération de la COVID-19.

Derecka Purnell : Merci de m’avoir invitée.

A.G. : Derecka, quelle est votre réaction ?


Hier, tout au long de la soirée nous avons vu et entendu des histoires très bouleversantes de la part de femmes qui avaient enfin la chance d’être avec une autre qui leur ressemble. Je me souviens, il y a longtemps, avoir regarder le Président Obama s’exprimer lors de sa nomination à la candidature. J’étais dans ma chambre au collège. Il a finalement été élu. Et je me rappelle avoir pleuré. C’était quelque chose comme « Wow ça peut être mon avenir  » ! Alors, je comprends profondément l’engouement de ces femmes qui portent tant d’identités différentes. Elles sont allumées parce que celle qui est appelée à devenir la commandante en chef en second est vive, elle a de l’esprit et c’est une femme de couleur. Je pense que c’est un fait historique pour beaucoup de ces raisons.

Nermeen Shaikh : Derecka, je voudrais que nous regardions un article que vous avez publié dans The Gardian intitulé : Les femmes noires progressistes se sentent agacées face à Kamala Harris. Vous y écrivez : «  Les progressistes vont devoir défendre l’identité personnelle de la Sénatrice de Californie tout en manoeuvrant contre son identité politique ». Pouvez-vous nous expliquer ?

D.P. : Oui bien sûr. Vous savez, K. Harris est une diplômée de l’Université Howard, une université historique de la communauté noire américaine à deux pas d’ici dans le district de Columbia. Comme Amy l’a dit, elle porte deux origines raciales en héritage, l’une jamaïcaine et l’autre indienne. Nous l’avons vue traverser tant de barrières. Ce genre d’ascension dans des fonctions publiques met une femme de couleur sous les projecteurs et provoque des réponses sexistes, racistes et de la xénophobie même lorsqu’elle marche dans la rue. Donc, nous avons déjà pu observer cela. Pensez aux conspirations actuelles quant à sa naissance. (Le Président Trump et ses alliés.es ont prétendu qu’elle n’était pas née aux États-Unis donc qu’elle ne pouvait pas être candidate à ce poste n.d.t.). C’est pourquoi, hier soir, elle a mentionné le nom exact de l’hôpital où elle est née à Oakland (Oregon). Ça c’est un exemple.

D’un autre côté, les femmes de couleur et particulièrement les progressistes noires, sont quand même frustrées. Elles ne supportent pas qu’on ait prétendu que le manque de considération envers les noirs.es aux États-Unis s’était terminé avec l’élection de B. Obama et avait recommencé sous D. Trump. Elles sont aussi frustrées devant le bilan (de K. Harris) comme procureure. Elle a refusé de poursuivre des policiers, elle s’est battue pour maintenir des condamnations pour des raisons techniques et la liste peut s’allonger malheureusement. Et quand elle a dit hier soir : « Je peux reconnaitre un prédateur quand j’en croise un  », c’est ironique. Une des erreurs de condamnation qu’elle a maintenue pour des raisons de simple technique, fait qu’un probable innocent est en prison pour 70 ans (et va y rester).

C’est un peu désolant d’avoir à protéger une personne à cause de son identité parce qu’elle a les mains liées par sa couleur de peau, par son sexe et parce qu’elle est fille d’immigrants.es et qu’en même temps, il faille se préoccuper des masses de gens noirs, des masses de pauvres, des masses d’immigrants.es dans ce pays. Il faut que nous soyons vrais.es et honnêtes à propos de son bilan et critiques publiquement. Vous voyez ce avec quoi nous devons avancer en ce moment.

(…)

A.G. : Nous allons maintenant passer à la réaction du vice-président Pence à ce choix

V.P. Pence : Comme vous le savez tous et toutes Joe Biden et le Parti démocrate ont été arnaqués par la gauche radicale. Ils vous promettent des augmentations de taxes et d’impôt, l’ouverture des frontières, la médecine socialiste et l’avortement sur demande. Pas surprenant que Kamala Harris ait été choisie comme colistière ».

Derecka Purnell, pouvez-vous commenter ?

D.P. : Oui bien sûr. Les Démocrates doivent jouer sur deux fronts en même temps : ils doivent définir Mme Harris assez à gauche pour attirer les progressistes mais en même temps, s’assurer qu’elle ne poussera pas le Parti trop à gauche. Malheureusement, c’est une tactique qui fonctionne. Mon ancien professeur, Cornel West,clarifie : «  Je fais partie de la gauche radicale. Kamala Harris est une modérée  ». Donc, la tactique de M. Pence tente de se servir de l’idée de la gauche radicale pour pousser le Parti plus à droite.

Et franchement, ça marche. C’est pour ça que les Républicains (invités à la Convention) on eut plus de temps de parole qu’Alexandria Ocasio-Cortez. L’objectif est de montrer que les Démocrates peuvent parler à leurs adversaires. C’est déclarer que le Parti n’est pas trop modéré. C’est réaffirmer que J. Biden croit que les services de police devraient être financés plus généreusement alors que la population manifeste dans les rues pour qu’on leur retire des fonds. Vous voyez, c’est une tactique qui fonctionne.

Impossible de classer K. Harris dans la gauche radicale. S’il y a quelqu’un qui appartient à cette catégorie, c’est bien Shirley Chisholm dont elle a parlé hier soir. Elle fut une des premières à entrer au Parti des Black Panthers n’est-ce pas ? Donc dès le moment ou ce Parti s’engage dans la bataille politique, il appuie S. Chisholm. C’est plutôt comique de voir que nous nous enthousiasmons pour celles qui nous ont précédé alors que les militantes d’aujourd’hui ne parlent pas ou peu de leur bilan, de leurs convictions, des politiques qu’elles défendent. Donc, non, malheureusement, K. Harris sous aucun angle, ne fait partie de la gauche radicale.

N.S. : Si je comprends bien la stratégie du Comité national démocrate semble être de tenter d’obtenir que les conservateurs.trices, Républicains et centristes soutiennent J. Biden. Pensez-vous qu’il a fait suffisamment d’efforts pour avoir le soutien de l’aile plus progressiste du Parti ?

D.P. : Absolument pas. Je viens juste de vous donner cet exemple : en plein milieu du mouvement contre la violence policière, J. Biden déclare qu’il faudrait attribuer plus de fonds aux corps policiers. Et sa tentative de police communautaire est un échec. C’est une vague réforme dont nous savons, à cette étape, qu’elle ne fonctionne pas. En plein milieu de la pandémie, alors que les gens de couleur et les pauvres meurent dans des proportions démesurées, J. Biden en remet dans son refus d’un plan d’assurance maladie universel. Excusez-moi !!!

Donc, les gens manifestent dans les rues pour toutes ces raisons qui les font souffrir, et la réponse c’est de renouveler le refus. On entend le vice-président Biden continuer à être contre l’annulation des dettes étudiantes. Donc, en réponse à toutes ces politiques que la population demande et qui pousse le Parti à gauche, et devant l’évidence actuelle qu’il faut prendre soin des gens qui souffrent, nous recevons un renchérissement de positions modérées de la part du Parti. C’est bien dommage.

A.G. : Derecka je voudrais que vous réagissiez au fait qu’Alexandria Ocasio-Cortez n’a reçu que 60 secondes pour s’exprimer devant la Convention. En réponse, elle a publié sur Tweeter le poème de Benjamin E. Mays :
« I only have a minute.
Sixty seconds in it.
Forced upon me, I did not choose it.
But I know that I must use it.
Give account if I abuse it.
Suffer, if I lose it.

Only a tiny little minute,
But eternity is in it.i »

Elijah Cummings, le dernier représentant de Baltimore à la Chambre à qui on n’avait aussi accordé qu’une minute a aussi présenté ce poème. C’est un geste qui met les progressistes de côté. Et Ady Barkan, avocat de l’American Israeli et qui est atteint de la sclérose latérale amyotrophique a pris la parole. Il a eu le même temps qu’A. Ocasio-Cortez mais, lui qui est connu pour sa défense de Medicare pour tous et toutes, qui l’exige pour tous les citoyens.nes du pays, n’a jamais prononcé ces mots. Et en plus, hier, il a soutenu l’attaque de l’organisation de campagne de J. Biden contre la militante de la cause palestinienne Linda Sarsour iipour finalement demander au Comité national démocrate de se rétracter devant cette militante palestinienne des droits humains.

D.P. : Vous savez, c’est très dommage. Et une des informations qui est souvent gardée sous silence, ce sont ces égos portraits de Kamala Harris avec B. Netanyahu. Elle dit reconnaitre un prédateur quand elle en croise un. Elle parle ainsi en pensant à D. Trump mais nous savons que les États-Unis ont une longue histoire de soutien à de violents leaders à travers le monde.

J’étais très contente d’entendre la représentante A. Ocasio-Cortez. J’étais contente de l’entendre employer le mot « colonisation » et de parler des origines violentes et des luttes violentes de ce pays. Eh ! oui, les progressistes sont invités.es à célébrer, à danser et à mettre de l’avant tous les facteurs culturels, comme tout le mouvement progressiste d’ailleurs. Mais quand arrive le moment des politiques progressistes, les Démocrates continuent à s’échapper, à les sacrifier.

Quand K. Harris raconte dans son discours que : « Ces femmes noires ont pavé le chemin non seulement du vote mais aussi pour prendre une place à la table » en quelque sorte elle oublie de mentionner que Fannie Lou Hamer non seulement a rejeté la place à la table mais bien deux places, elle a déclaré : « Nous ne sommes pas venues ici pour nous contenter d’une misérable opportunité de participation ». Et Shirley Chisholm était très critique des plateformes décevantes des Partis républicain et démocrate.

Donc, il est important de parler de notre histoire et de la reconnaitre parce qu’il ne s’agit pas que d’être les premières. Et ce n’est pas seulement le vote qui est en cause. C’est l’histoire des femmes progressistes qui ont pris des risques considérables et qui ont fait avancer ce pays. C’est la tradition dans laquelle nous devons toutes nous retrouver.

N.S. : Derecka, il ne nous reste que 30 secondes. (….) Il a été question du corona virus, de la pandémie au cours de la Convention…

D.P. : (…) Vous savez, le mal ce n’est pas le virus. Le mal c’est l’inhabilité de bien des gens à agir. C’est la longue histoire des noirs.es de ce pays qui ont des conditions médicales préexistantes. Le mal ce sont des décisions, ces décisions de politiques. Notre expérience avec le virus tient à ce que nous sommes, pas simplement à D. Trump même s’il en est largement responsable. C’est parce que depuis 400 ans nous avons créé les conditions environnementales et économiques qui rendent les gens vulnérables. C’est ce que les progressistes dénoncent.

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