Art ou divertissement ?
Bernard Émond avançait dans une leçon de scénarisation : « Dis-moi ce que tu visionnes et je te dirai qui tu es »1 en parlant des films blockbuster et autres genres. Pour répondre à l’idée de l’art dans l’univers filmique, Émond proposait deux étapes : rupture avec soi et rencontre avec autrui. S’il n’y a pas cette rupture, s’il n’y a qu’expression de soi, (ce qui est à peu près sans intérêt) si les protagonistes ne représentent qu’une enflure de soi, un dispositif du même, nous sommes en présence d’insignifiances où le divertissement dame le pion à l’art. Un divertissement qui, paradoxalement, loin de nous évader de nous-mêmes, nous y confine, nous y condamne.
Offre et demande à l’ère de la postmodernité
La manière « artistique » revendiquée par le traiteur Jean-Michel Leblond nous semble donc bien loin de suffire aux critères fixés par l’art. Le John Mike Pollock, pur divertissement ou si l’on préfère l’acte vivifiant de dresser sur un corps-cuisse féminin (consentante et payée pour l’occasion) une horde d’ingrédients en guise de dessert répond à une demande selon les mots mêmes du chef propriétaire de Tripes et Caviar. Une demande Dieu-client sans grande originalité, faut-il le souligner, où dans l’exemple de performances chez Warner Brother, 90 % des travailleurs de la boîte étaient masculins. La porno-chic semble être une sorte de jusqu’au-boutisme selon Paul Ardenne, historien de l’art contemporain. L’illusion d’un Versailles quotidien illustrant la logique du malaise post-moderne, sans but et sans idéaux. Une culture de l’émotion qui remplacerait celle du sentiment. Validations de l’existence individuée par le tandem attractif-répulsif, assez proche de l’animalité. Une vie qui n’a de sens que parce qu’elle dégaine aux limites du précipice. Une décadence, dans ce cas-ci, sans grandes implications ni sur soi ni sur la société. Une mise en danger par le spectacle, seul. Le spectacle dans sa fonction freudienne de sublimation.
L’image comme focalisation d’un réel existant
Mais de sublimation de quoi au juste ? De l’appropriation du corps de la femme ? De sa marchandisation ? De sa dégustation ? De sa digestion ? De sa disparition ? De sa fugue ? D’un manque de contrôle ? D’une jouissance refoulée de relation asymétrique à la Gomeshi ? À la Aubut ? « C’est quelque chose qu’on fait le moins souvent possible ; trop toutché pour le public québécois » dixit le propriétaire. Et pourquoi je vous prie ? « Parce qu’on est quand même assez conservateurs au Québec ». Conservatrice, cette société du Refus Global ? Cette société des carrés rouges ? Et on se réclame de l’art ?
Marchandisation du corps, enfermement dans un patriarcat débilitant, manque d’imagination, appel à l’art alors qu’il s’agit d’un fade divertissement, postmodernisme déstructurant et aliénant : « Je fais cela, car je sais que ça va faire parler, je fais cela, car le Dieu-client l’a demandé. Amen. »
Sortir de la giclée
Lila Roussel traitant de la pornographie féminine et féministe, dans le dernier numéro des Nouveaux cahiers du socialisme1, revendiquerait peut-être un territoire féminin à des fins de décloisonnements de l’imaginaire. De corps de femmes et d’hommes, pour déguster trous normands au nombril, au midi d’une soirée de « copines coquines » dans un univers non marchand. Érotico mon amour dans un partage queer, sans relation de pouvoir. Renversement du pouvoir serait peut-être à l’ordre du jour pour les auteurEs dont traite Ariane Bilodeau dans ce même numéro : le corps féminin, outil de transgression, de contestation et de décolonisation. Certes, dans cette optique, le corps de la femme ne serait pas un sous-plat, une table ou un support de chair. « Ce corps en action politique, ce corps en action féministe, permettrait peut-être une prise de conscience collective des oppressions et permettrait un éveil politique. » Femmes autochtones disparues, femmes en déficit de pouvoir politique (27% de femmes à l’Assemblée nationale), femmes confrontées aux mesures austéritaires du gouvernement Couillard. Art et politique. L’imagination au pouvoir. Un souffle et une inspiration.
À la recherche du ré-enchantement
Le divertissement est libre de nous enliser dans une posture d’objet, de surface et de poupée gonflable. L’art libre a aussi l’occasion de nous, genre humain, nous amener ailleurs, à l’image des dadas qui fêteront leurs 100 ans. L’imaginaire peut offrir autre chose qu’une gastro sociétale. L’heure nous semble davantage, à l’inspiration mutuelle.
Notes
1- Georges LEROUX, « Transfixion », in Vladimir Velickovic, Montréal, Éd. De Mévius, 2015, p.26.
3- Bernard ÉMOND, Une leçon de scénarisation, conférence donnée à l’Université de Montréal.
4- Nouveaux Cahiers du socialisme, « Les territoires de l’art », no15, février 2016.