Le « secret » de la formule FSM
Le Forum social mondial est né en 2001 au Brésil au confluent des grandes luttes démocratiques et populaires qui traversaient ce pays depuis deux décennies. À cette époque, de grandes organisations comme la CUT, le MST et les mouvements catholiques de gauche étaient en train de construire la convergence qui passait par un outil politique, le Parti des travailleurs (PT). Le PT en effet était une galaxie de luttes, d’initiatives, de stratégies. Ce sont des personnalités du PT ou proches du PT qui ont pensé qu’une grande rencontre internationale et internationaliste était à l’ordre du jour et c’est ainsi qu’est né le FSM.
Durant les premières années de son existence, le Forum a été à la fois un miroir et un incubateur. Il reflétait l’expérience brésilienne en cours, la lente lutte pour transformer l’État notamment, ce qui était pour nous et nos camarades du monde entier absolument fascinant. Il interpellait l’inertie prévalant généralement dans la gauche, et en même temps, le Forum était l’endroit pour créer, dialoguer, ouvrir grand ses oreilles et expérimenter. Sans être un lieu fermé et planifié par une petite élite, le Forum était donc un projet collectif organisé, en phase avec le mouvement social brésilien. Et cela a marché !
L’internationalisation à géométrie variable
En 2004, la décision a été prise de faire migrer le Forum vers l’Inde où une coalition avait été mise en place par des mouvements populaires et les trois principaux partis communistes. Une personnalité hors du commun, respectée par tout le monde, s’appelait Vinod Raina et c’est grâce à lui que le Forum a pu être organisé à Mumbai. L’expérience a été à moitié réussie, car il n’y avait pas en Inde cet élan des mouvements vers l’émancipation comme cela avait cours en Amérique du Sud.
Plus tard, la migration a continué, mais de manière plus ou moins heureuse, surtout vers Nairobi (Kenya) et Dakar (Sénégal). Les camarades africains ont fait beaucoup d’efforts, mais ils n’avaient tout simplement pas la masse critique pour organiser la réflexion qui a été en partie monopolisée par des réseaux associatifs un peu mous, de type ONG. La recherche des alternatives a laissé la place aux microprojets, pas tellement à cause d’une volonté délibérée, mais parce que tout simplement la convergence des mouvements populaires n’était pas au rendez-vous. C’est à ce moment que le Conseil international, instance vaguement décisionnelle qui avait été créée en 2002, s’est avérée incapable d’animer le processus.
La dissémination des Forums
À partir de 2006, les forums se sont multipliés dans les pays, les continents, les villes. Certains forums ont été très riches, je pense notamment au Forum USA, pris en charge par les secteurs militants des mouvements communautaires et syndicaux (ils ont refait leur forum l’été dernier en 2005). D’autres forums n’ont pas décollé, souvent faute de mouvements suffisamment organisés. Ailleurs, surtout en Europe (Italie, France, Angleterre), les forums ont été bousculés par les gros partis d’extrême-gauche, ce qui leur a enlevé leur caractère fédérateur et pluraliste. Parmi les initiatives heureuses furent les deux forums québécois, ancrés dans la réalité de mouvements populaires qui avaient déjà l’habitude de travailler ensemble.
Au début de la décennie, le Forum a été interpellé par la multiplication des nouveaux mouvements de masse, du Printemps arabe aux Indignados et à Occupy, en passant par d’immenses mobilisations du genre « Carrés rouges ». Dans un sens, le Forum dans sa désorganisation créative a joué un rôle important dans cette effervescence, en popularisant les thèmes de l’altermondialisme et de l’écologie. Il est probable toutefois que ces mouvements auraient pris forme sans le Forum, mais avec le Forum, on était inspirés et on pouvait puiser dans un vaste répertoire critique. À Tunis en 2013, le Forum a été un beau succès, dans le cœur du printemps arabe. De retour à Tunis en 2015, le Forum s’est tenu dans une atmosphère tristounette au moment du reflux de ces mouvements.
Le Forum-processus
Au bout de la ligne, le Forum n’a pas surtout été un « évènement », encore moins une série de conférences. Quand il l’a été, cela a foiré, comme on l’a vu quelques fois (à Nairobi, à Caracas, à Karachi). Un forum ritualisé, non ancré dans une dynamique populaire, n’a pas vraiment de sens. Un Forum pris en main par un petit groupe, même s’il est bien intentionné, ça ne marche pas. Car un Forum, c’est le point de rencontre des organisations et des mouvements populaires, pas quelques centaines d’ateliers à la queue-leu-leu.
Autre caractéristique, le Forum ne peut bien fonctionner s’il on lui impose une méthodologie rigide. Quand le Forum a bien fonctionné, c’est qu’il avait été modelé selon les rythmes de divers mouvements, comme cela a été le cas au Brésil au début et plus tard en Tunisie. Quand le Forum n’a bien fonctionné, on s’est retrouvé avec des débats stériles sur ce qu’il fallait faire et ne pas faire, ou au pire, dans des débats ésotériques sur la Charte de principes, qui était en réalité un document de référence, plutôt qu’une « loi ».
Les défis de Montréal
Quand la décision a été lancée de tenir le FSM à Montréal, on était encore dans le sillon des Carrés rouges. Ça fait quand même 4 ans et donc, il y a pas mal d’eau qui a passé sous les ponts. Pour autant, on a au Québec un mouvement populaire bien organisé (on se dit souvent, « quand je me regarde, je me désole. Mais quand je me compare, je me console).
Pour autant, l’arrimage de ces mouvements au Forum est un peu faible. D’une part parce que certains mouvements sont dans une posture plus défensive et n’ont pas mis les énergies nécessaires. D’autre part parce que le mode de fonctionnement adopté par le comité du FSM a voulu privilégier des individus bien intentionnés plutôt que des personnes appartenant à des réseaux organisés. Cette tension a en gros été gérée grâce à plusieurs consultations, mais elle crée un peu d’incertitude sur le Forum qui s’en vient dans quelques semaines. Entre-temps, tous et chacun-e doivent s’activer autant que faire se peut pour utiliser ce moment dans le renforcement de nos organisations et de nos luttes. Alors camarades, au boulot !