Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Analyse politique

La voix de son maître

Richard Martineau dans sa chronique du 24 décembre dernier en page 8 intitulée : "L’État québécois est un vieux bazou", y va de sa démagogie habituelle. Il y utilise les sophismes courants dans les milieux patronaux à l’endroit des citoyens et citoyennes en vue de les culpabiliser au sujet de l’État qui aurait de moins en moins les moyens de les "entretenir".

Entre autres inepties, il écrit par exemple : "Si l’État était un char, ça ferait longtemps qu’il serait envoyé à la fourrière."
Ou encore, autre perle :
"Ils diraient au PDG : "Votre modèle d’affaires est tout croche ! Regardez le nombre de retraités qu’on va payer à ne rien faire versus le nombre de travailleurs en activité. Comment pensez-vous qu’on va payer le fonds de pension de tous ces gens, vous ?
 Ben... En augmentant les taxes et les impôts des contribuables !
 Êtes-vous fou ? L’élastique est déjà tiré au maximum !"

Il continue dans cette veine encore et encore tout au long de son commentaire. Celui-ci, à défaut d’être original est cependant très révélateur de la position du patronat (donc de monsieur Pierre-Karl Péladeau, le "boss" de Martineau) à l’endroit des sans emploi (peu nombreux en ce moment) et surtout des personnes âgées à la retraite. Les patrons y voient de plus en plus (sans encore oser le dire trop ouvertement) un réservoir de main d’oeuvre à bon marché, du moins parmi les jeunes vieux (65 à 70 ans). D’ailleurs avant même la pandémie, affolés et frustrés pr les difficultés de recrutement, certains employeurs avaient réclamé qu’on monte l’âge de la retraite à 68 ans et même à 70 ans. Le confinement provoqué par la pandémie et la "générosité" de la PCU (Prestation canadienne d’urgence) ont accentué leur frustration ; pareil pour le SRG (Supplément de revenu garanti) destiné aux retraités à faible ou modeste revenu.

L:a prose de Martineau représente en quelque sorte le jappement de tous les Péladeau du Québec.
La corvée de corriger ses affirmations mensongères s’impose donc encore une fois, hélas.
Tout d’abord, il reprend la vieille rengaine de la droite au sujet des prestations versées par l’État à certaines catégories de citoyens et de citoyennes. Il faut souligner que les pensions de vieillesse ne sont pas un salaire (pas davantage que les prestations d’assurance emploi et d’aide sociale) mais un soutien financier pour les personnes ayant atteint l’âge de la retraite. Comme tous les programmes sociaux, il entretient le pouvoir d’achat de larges catégories de citoyens et de citoyennes. Rendre conditionnelles ces pensions en tout ou en partie à la recherche d’un boulot serait non seulement injuste, mais contre-productif. Des gens dont plusieurs ont travaillé au salaire minimum ou pour une rémunération modeste toute leur vie active méritent mieux que le harcèlement de fonctionnaires appliquant d’éventuelles politiques réactionnaires. Certains d’entre eux, anciens prestataires de la Sécurité du revenu (aide sociale) ont d’ailleurs périodiquement goûté à cette médecine quand ils étaient plus jeunes. La classe politique poussera-t-elle éventuellement l’indécence jusqu’à tenter de forcer le retour au travail de ces gens, comme paraît le suggérer Martineau ?

Certains d’entre eux, encore en forme, ne demanderaient pas mieux que de travailler encore quelques années, ne serait-ce que pour échapper à l’ennui et à la solitude ; mais encore doit-on procéder sur une base volontaire et éviter d’emprunter la voie coercitive. Depuis une trentaine d’années, les gouvernements ont beaucoup coupé dans les programmes sociaux afin "d’inciter" les exclus à réintégrer un marché de l’emploi qui rétrécissait sans cesse ou au mieux, stagnait. Va-t-on poursuivre dans cette voie avec les personnes à la retraite ? Décidément, les rétrolibéraux ont de la suite dans les idées !

Ensuite, Martineau néglige le fait qu’en dépit de la reprise du marché du travail, les centres de dépannage alimentaire ne fournissent guère à la demande. L’inflation y joue sans doute un rôle non négligeable, mais n’est pas seule en cause. Quelque chose d’autre cloche aussi ; il y a relance de l’emploi certes, mais de quels genres de boulots parle-t-on ? Mal payés et précaires sans doute pour plusieurs.
Surtout, comme tous les droitistes, Richard Martineau se livre à la sempiternelle et douteuse comparaison entre le secteur privé, présumé efficace et le public, toujours présenté comme bancal.

Il néglige de souligner l’interrelation financière et politique étroite entre l’État d’une part et les groupes industriels et financiers d’autre part. Une complicité qui coûte cher aux contribuables et dont les résultats ne sont pas toujours très convaincants en termes de justice redistributive ni même d’efficacité économique.
Combien de ces groupes ne sont-ils pas des assistés sociaux de luxe, monsieur Martineau ? Si l’État veut se renflouer, il lui faudrait commencer par imposer correctement ces organisations tentaculaires, n’est-ce pas ?

Jean-François Delisle

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