On a tous entendu parler des Cochons payants. La plupart d’entre nous se sont sentis comme tels, un jour ou l’autre, devant une situation - décidée sans nous - où notre seul rôle consistait à sortir notre portefeuille sans poser de question.
En milieu théâtral, on désigne parfois du nom de Cochons payants les spectateurs ordinaires (ceux qui payent leur place) - alors que d’autres spectateurs à l’influence avérée ou espérée - qui ne paient généralement pas leur place - ont droit à des égards particuliers. Suivant cette vision, l’avis du Cochon payant a peu de poids. Ce sont plutôt ceux qui ne paient pas qui influencent non seulement le contenu, mais aussi le succès ou l’échec d’une production. En fait, alors que les premiers servent de « carburant » à la machine, en l’alimentant par leurs contributions et leurs présences, les seconds dirigent cette machine. La notion de Cochon payant, qu’on sache la nommer ou non, nous touche tous... et pas qu’au théâtre.
Il est de plus en plus évident que la parabole est transposable à la démocratie. Et c’est encore plus grave. Je parlerais du Cochon votant, celui qui, le jour du scrutin, alimentera la machine pour quatre ou cinq ans, en se dépouillant, dès le lendemain, de toute influence sur la direction que prendra la machine.
Lorsque plusieurs mois, voire quelques années, nous séparent des élections, le citoyen votant est ainsi considéré comme le spectateur ordinaire et passif de tous les shows médiatico-politiques. Il assiste aux duels entre les factions des partis ; à la mise à jour de corruptions et de malversations ; aux révélations de mensonges et de conflits d’intérêts ; aux bagarres en Chambre. Mais, heureusement pour le pauvre Cochon votant, les médias lui en servent les interprétations. Et de nouveaux acteurs apparaissent. Et des visions revues et corrigées du bien commun lui sont servies.
On prépare le Cochon votant pour les prochaines élections, alors qu’il devra payer son couvert à la table de la démocratie où, théoriquement, il occupe la place centrale. Pourtant, en 2011, la game de la démocratie se joue sans le Cochon votant. Il a payé son ticket, il ne lui reste plus qu’à attendre la prochaine ouverture des guichets. Puis, rebelote. Pendant encore plusieurs années, il assistera au spectacle que lui donneront les hommes et le femmes politiques, les médias, les sondeurs et surtout les tout puissants partis.
Perte de tout esprit critique...
Oui, nous sommes dans une démocratie de partis. Parler actuellement de démocratie - par le peuple et pour le peuple en se référant à l’étymologie du mot - c’est oublier que ce sont les partis (et non nos élu-e-s) qui tirent les ficèles des décisions concernant notre présent et notre futur. L’actualité récente nous rappelle que les personnes (généralement de qualité) que nous élisons pour nous représenter aux parlements (et aux conseils municipaux) perdent trop souvent leur esprit critique et leur sens du bien commun sous la chape de leur parti.
Face aux projets sociaux, économiques ou juridiques qui se retrouvent en Chambre, les options étudiées sont en effet souvent réduites à l’expression des deux voix partisanes qui ne reflètent pas la variété des visions de la société. Avec un peu d’esprit critique, sous ces options, on peut lire en filigrane les intérêts des « amis » de chaque parti. Souvent difficile de déceler l’objectif du bien commun !
En 2011, les citoyens et citoyennes veulent autre chose. Actuellement, les journaux et les tribunes publiques sont remplis de témoignages souhaitant que les représentants du peuple se parlent, échangent, construisent et restaurent la société dans le dialogue et la médiation. On dirait parfois que les progrès du Québec, qui depuis 50 ans s’est donné de nombreux outils sociaux en s’appuyant notamment sur la conciliation et le respect des différences, s’arrêtent là où commence la politique !
Pamphlétaire ce texte ? Certainement. Des solutions ? Sans doute. Mais à la condition que se parlent et s’écoutent « les gris et les blonds » ; que se dévissent les casquettes partisanes ancrées depuis des décennies ; que la lumière se fasse sur des outils qui, sans être miraculeux, sont susceptibles d’élargir les échanges aux instances gouvernementales.
Trop vite écartée, la réforme du mode de scrutin est entre autres une voie prometteuse. La révolte du Cochon votant ? Pourquoi pas !