Détour par l’histoire
L’Empire britannique s’est emparé du Canada à la fin du dix-huitième siècle. Ce fut quoi qu’en en dise une entreprise de prédation contre les populations francophones et autochtones. Celles-ci se sont révoltées et ont mis de l’avant un projet républicain (1837-38) qui se proposait de mettre fin au joug colonial. Mais l’histoire a tourné autrement. Après la défaite, l’Empire a érigé un système politique pour marginaliser les peuples récalcitrants et c’est ainsi qu’a été formulé en 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qu’on a appelé la « constitution » du Canada. En réalité comme l’explique l’historien Stanley Bréhaut-Ryerson, « le caractère monarchique du dominion colonial confirmait l’hégémonie britannique et canadienne-anglaise. (…) Des concessions restreintes dans les domaines linguistiques et religieux furent accordées aux Canadiens français, à titre de minorité culturelle, tandis qu’on leur refusait toute reconnaissance politique comme entité nationale. En même temps, l’expansion économique (…) relia l’essor de la société aux sources de capitaux anglaises et américaines auprès desquelles les Canadiens anglais bénéficiaient de contacts que les milieux d’affaires canadiens-français n’avaient pas (1).
Classe et nation
Le Canada a été ainsi le seul territoire des Amériques à ne pas se libérer du joug colonial. Fait à noter, la constitution de 1867 importait toutes les caractéristiques du pouvoir anti-démocratique britannique, avec une deuxième chambre non élue, un système électoral totalement restrictif et un arsenal juridique imposant pour bloquer les revendications populaires. Par la suite, l’État semi-indépendant a permis l’expansion du capitalisme canadien par l’industrialisation et la construction des chemins de fer en Ontario et dans l’ouest, laissant le Québec comme un réservoir de ressources naturelles et un gros terrain de chasse. L’autre avantage de ce « Dominion canadien » était qu’il divisait irrémédiablement les classes populaires sur une base ethnique, ce qui a brisé les jambes des mouvements populaires et de la gauche.
Le retour des choses
Dans les années 1960, une révolution-pas-si-tranquille a été l’œuvre des ouvrières de Valleyfield et des mineurs d’Asbestos aussi bien que celle des étudiants de l’Université de Montréal et d’une nouvelle petite bourgeoisie ascendante. Presque naturellement, le projet d’émancipation sociale est devenu en même temps un projet d’émancipation nationale, face à un État canadien non seulement capitaliste mais oppresseur et discriminatoire. Devant cette montée, les dominants ont été forcés de concéder. En même temps, ils ont entrepris de centraliser les véritables pouvoirs en tentant de transformer la question québécoise en une question linguistique. Quand cela n’a pas fonctionné, ils n’ont pas hésité à suspendre les libertés (1970) et à manipuler l’État pour bloquer le mouvement québécois (référendum de 1980). Entre-temps au Canada anglais, le pouvoir est resté solidement dans les mains des dominants.
La révolution de droite
On dira que tout cela, c’est du passé ? Pas vraiment. L’alternance de menaces et de tentatives d’apaisement s’est perpétuée tout au long des années 1990, et ce jusqu’à l’élection du gouvernement « révolutionnaire » (de droite) de Stephen Harper. Quel est son projet ? En gros, Harper veut discipliner le Québec en imposant une restructuration dont le résultat serait de nous renvoyer au temps de la grande noirceur. L’axe de développement capitaliste privilégié commence à Toronto (métropole à la tête du système financier) et s’arrête à Calgary (le royaume des ressources), laissant le Québec le « choix » de devenir une grosse province maritime. La droite pense possible de détruire les mesures d’apaisement (bilinguisme de l’État, politiques keynésiennes de protection sociale, etc.), et ce avec ses larbins du PLQ, de la CAQ et de Québec Inc (dans sa vaste majorité), tout cela en nous enfermant dans une idéologie réactionnaire et cléricale. Certes les classes populaires sont déstabilisées par l’impact des politiques néolibérales et les assauts répétés contre les droits sociaux. Les dominants pensent profiter de ce désarroi pour marquer des gains.
La solution impose de remettre les choses à leur place
Les éléments de gauche du NPD comme Alexandre Boulerice s’érigent contre ce projet radical de droite et c’est à leur honneur. Il faut défendre ce qui reste de politiques keynésiennes et essayer, autant que faire se peut, de mettre des bâtons dans les roues de la droite. Cette même gauche du NPD propose également de donner au Québec de nouveaux pouvoirs, comme le dit la « Déclaration de Sherbrooke ». Mais est-ce suffisant ? Le problème du Québec, et même du Canada, n’est pas une question technique, juridique, pour délimiter autrement le partage du pouvoir. Le problème, c’est la genèse de ce pays qui demeure encore aujourd’hui dominé par une élite principalement anglo-canadienne, qui a eu l’intelligence d’incorporer une partie de l’élite québécoise (Québec inc). Changer cette situation, c’est donc refonder le pays, ce qui voudrait dire défaire ce qui a été fait à l’origine. Cette refondation impliquerait une négociation d’égal à égal entre la nation québécoise et ce qui est encore un projet, la « nation canadienne », sans compter les peuples autochtones. La négociation partirait du fait que ces nations ont un droit sans équivoque à l’autodétermination, y compris à l’indépendance. Certes, agir dans ce sens signifierait un coup mortel au pouvoir de ceux qui dominent depuis 200 ans. On voit donc que le projet est ambitieux. Pour autant, sur le fonds, le problème ne peut être contourné par des astuces ou des « déclarations ».
Il faut rêver
Dans la configuration actuelle des forces, une telle refondation n’est pas pour demain. La puissance des dominants repose sur le fait que les classes populaires au Canada anglais sont majoritairement hostiles aux revendications québécoises. Qu’est-ce qui pourrait changer cela ? À court terme, remplacer les révolutionnaires de droite par le NPD serait certes une bonne chose. Mais cela ne sera pas suffisant. Il faudrait une sorte de tsunami politique pour briser l’impasse. Comment ? Il n’y a pas d’autre voie que celle d’une grande coalition québécoise pour l’indépendance arrimée sur la justice sociale, la citoyenneté (un Québec pour tout le monde) et une forte mobilisation des mouvements populaires. On dira, c’est un « autre rêve ». Oui et non. Les dominants au Québec le disent (comme notre ami « Lucide » Bouchard), « le Québec va vers la gauche ». Alors là il faut s’encourager. On peut penser avec beaucoup d’efforts et un peu de chance déstabiliser l’État capitaliste canadien et imposer un nouveau dialogue avec les classes populaires et moyennes du Canada. Une sorte de « souveraineté-association » de gauche serait mise sur la table, d’une part en facilitant la création d’un État québécois indépendant, d’autre part en rétablissant des liens de coopération et de solidarité avec ceux et celles qui sont nos voisins et avec qui nous partageons l’impératif de résister à un autre Empire à quelques kilomètres au sud de Montréal. Est-ce que le NPD peut être au rendez-vous d’un tel « voyage » ? J’aimerais cela les entendre …
1 - Stanley-Bréhaut Ryerson, Le capitalisme et la Confédération — Aux sources du conflit
Canada-Québec (1760-1873). Éditions Parti Pris, Montréal, 1972. Page 487.