Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

La peste ou le choléra : H. Clinton et D. Trump et leur politique étrangère

Elizabeth Kunze, Progressive Magazine, 14 juin 2016,
Traduction, Alexandra Cyr

Suite au massacre d’Orlando, les remarques d’Hilary Clinton et de Donald Trump ont étalé leurs différences et rendu leurs dérangeantes similarités absolument claires.

M. Trump a attaqué Mme Clinton en l’accusant de refuser de qualifier la violence exercée par un Américain, né sur le territoire, dérangé mentalement et de confession musulmane, d’« islamisme radical ». Il a repris son appel pour interdire aux Arabes l’entrée aux États-Unis et de soumettre tous les musulmans-es américains-es à une surveillance spéciale et à des restrictions.

Tout à son honneur, Mme Clinton a rejeté un tel sectarisme. Mais, elle en appelle à retourner à « l’esprit du 12 sept. (2001) » en taisant comment cette réaction au 11 septembre (2001) était responsable d’attaques contre les libertés civiles et de préparation à la guerre. Elle a déclaré : « Cette attaque à Orlando démontre clairement que nous ne pouvons contenir cette menace. Nous devons la défaire ».
Pourtant, même s’il n’y a aucune preuve d’aucun lien opérationnel entre le groupe armé État islamique et le tireur d’Orlando, elle a ajouté : « Nous devrions continuer la pression pour que la campagne de bombardement s’intensifie, de même que l’appui à nos amis combattants pour qu’ils gagnent et conservent du terrain ».
Le journaliste associé à The Century Fondation écrit : « J’ai bien peur que nous ayons commencé à intégrer les 49 morts (d’Orlando) dans le projet de l’Empire américain ici et à l’étranger dans cette guerre bordélique sans fin qui a commencé le 12 septembre (2001) ».
Au cours des semaines précédentes, les deux probables désignés à la candidature à la présidentielle, avaient présenté ce qui a été appelé « discours majeurs en matière de politique étrangère ». Les deux manquaient de détails et de contenu. Mais, Mme Clinton a lourdement insisté sur le fait que, selon elle, M. Trump n’a pas vraiment l’expérience nécessaire, ni les connaissances, ni le tempérament pour devenir commandant en chef. Mais si l’ex-secrétaire d’État est parmi les personnes les plus expérimentées et renseignées en matière d’affaires étrangères de toute l’histoire moderne à être candidate, elle est probablement la candidate démocrate la plus va-t-en-guerre depuis des décennies.
Pour Phyllis Bennis, du Institute for Policy Studies : « Elle parle de toutes les imbécillités que Donald Trump a dites. C’est facile ! Mais de choisir entre le chaos qu’entraîneraient les politiques de M. Trump qui sont incroyablement dangereuses et les engagements clairement militaristes de changements de régime et la domination américaine que contient la politique étrangère de Mme Clinton, ce n’est pas un véritable choix ».

Sur certains sujets, Mme Clinton se situe à la droite de son adversaire républicain. Par exemple, M. Trump se demande pourquoi les Américains-es devraient payer pour des bases outre-mer, pour des groupes aéronavals et autres déploiements pour défendre la riche Europe, les alliés du Proche-Orient et du Pacifique de l’Ouest qui pourraient assumer leur propre défense, mais dont les budgets militaires ne sont qu’une fraction de celui des États-Unis. Mme Clinton a réagi en disant que ce serait menacer et « abandonner nos alliés dans l’OTAN ».

Elle a dénoncé M. Trump qui voudrait négocier directement avec le leader nord-coréen Kim Jung-un et a plutôt défendu la constitution d’une alliance militaire en Asie de l’est dirigée par les Américains qui inclurait un système de défense par missiles très chers au Japon. Reprenant les arguments déjà utilisés par les Démocrates libéraux-ales contre leurs adversaires agressifs-ves et bellicistes, Mme Clinton a déclaré que si son opposant était élu, « il y aurait des célébrations au Kremlin ». Au lieu de soutenir des arrangements de sécurité collectifs, de militer pour une ONU plus forte, pour l’expansion des zones libres d’armes nucléaires ou d’autres efforts multilatéraux, elle insiste pour dire que si : « les États-Unis ne donnent pas de direction ce sera le vide qui générera ou le chaos ou bien d’autres pays se précipiteront pour assurer leur propre direction ». Tout ce qui ferait en sorte de détruire la primauté américaine « n’est pas une issue avec laquelle nous pourrions vivre ».

Jeffrey Sachs de l’Université Columbia a rétorqué : « l’arrogance que représente cette idée que les États-Unis et seuls les États-Unis doivent diriger le monde a mené à des outrances : des guerres perpétuelles impossibles à gagner, des confrontations sans fin et toujours plus importantes avec la Russie, la Chine, l’Iran et d’autres nations, qui rendent le monde plus dangereux. Il ne semble pas que Mme Clinton comprenne que dans le monde d’aujourd’hui nous avons besoin de coopération pas d’interminables bravades ».
Elle a faussement accusé M. Trump d’avoir dit qu’il : « demeurerait neutre quant à la sécurité d’Israël ». En réalité, M. Trump a dit que pour jouer un rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien pour faire avancer le processus de paix, les États-Unis devraient adopter une position neutre durant les négociations. Il existe une vieille conviction dans le champ de la résolution de conflit, à l’effet que les médiateurs-trices ne devraient pas prendre parti.

La triste vérité, c’est qu’en novembre prochain, les Américains-es seront probablement forcés-es de choisir entre le candidat républicain qui veut interdire aux musulmans-es l’entrée au pays et la candidate démocrate qui pense que les États-Unis ont le droit d’envahir les pays musulmans ; entre le candidat républicain qui est d’accord avec G. Bush pour dire que la torture de prisonniers au nom de la guerre contre le terrorisme est acceptable et la candidate démocrate qui est d’accord avec M. B. Netanyahu pour dire qu’il est correct de bombarder des quartiers où vivent les civils au nom de la guerre contre le terrorisme ; entre le même candidat républicain qui défend la construction d’un mur à la frontière sud pour empêcher les Mexicains-es d’entrer aux États-Unis et la fameuse candidate démocrate qui soutient Israël qui construit un mur bien loin de ses frontières pour garder les Palestiniens-nes hors d’Israël.

Tout compte fait, il se peut que M. Trump soit le pire militariste. Même s’il a reproché à Mme Clinton d’avoir soutenu l’invasion de l’Irak et la sanglante contre insurrection qui s’en est suivie. Des entrevues archivées ont démontré que M. Trump ne s’est pas toujours opposé à cette guerre comme il le prétend. Même chose par rapport à l’invasion américaine en Lybie. Dans ces deux cas, il a même demandé un plus grand usage de la force dont la saisie des champs de pétrole au bénéfice économique des Américains. Il est aussi d’accord avec Mme Clinton pour intervenir militairement en Syrie pour créer des « zones sécuritaires » pour les réfugiés-es et pour intensifier les bombardements contre le groupe armé État islamique.

Donald Trump demande le retrait des forces américaines des territoires étrangers et que les pays comme le Japon, la Corée du Sud et l’Arabie saoudite développent leurs propres armements nucléaires. Il s’oppose à l’entente sur le nucléaire avec l’Iran. Il a faussement accusé le Président Obama d’avoir « soutenu le renversement d’un gouvernement ami en Égypte…et d’avoir ainsi aidé à porter les Frères musulmans au pouvoir ». Alors que le Président Obama et son administration ont aidé Israël en lui accordant des montants d’argent comme jamais auparavant et empêché les Nations unies d’enquêter sur des allégués d’atteintes aux droits humains dans ce pays, M. Trump dit qu’ils : « ne sont pas des amis d’Israël » et que le Président a : « servi une rebuffade et critiqué » ce qu’il considère comme : « la seule véritable démocratie du Proche Orient ».

M. Trump soutient également que : « notre arsenal nucléaire a été mené à l’atrophie et a désespérément besoin de modernisation et de renouvellement ». Pourtant, M. Obama prévoit de dépenser mille milliards de dollars au cours des trois prochaines années pour le budget militaire. Il a aussi critiqué la décision du Président d’annuler le programme de défense par missiles alors qu’il coûtait extrêmement cher et que son efficacité n’était pas démontrée. Il défend ardemment une augmentation spectaculaire des dépenses militaires. Il déplore que : « notre force militaire soit très réduite et qu’on demande à nos généraux et responsables militaires de s’inquiéter du réchauffement climatique », ce en quoi M. Trump ne croit pas du tout.

Tout au long de sa carrière, Mme Clinton a été belliqueuse. Non seulement a-t-elle soutenu la guerre en Irak, mais elle a aussi soutenu les occupations par Israël et le Maroc, le coup d’État au Honduras, divers alliés dictatoriaux, l’augmentation des dépenses militaires et plus de politiques étrangères interventionnistes. Elle a fourré son nez à la Cour de justice internationale et dans des agences internationales réputées qui ont des mandats de contrôle des armes et du respect des droits humains. Mais, ironiquement, son programme en politique étrangère sera probablement situé dans l’« aile gauche » du débat par les grands médias cet automne et au cours des quatre ou huit prochaines années.

C’est pour cela que ceux et celles, qui comme nous ont une véritable vision progressiste en matière de politique étrangère, doivent se mobiliser et y mettre leur poids.

Que Mme Clinton ait dû minimiser ses tendances belliqueuses pour pouvoir accéder à la candidature démocrate est une bonne nouvelle. De son côté, M. Trump a dû amplifier ses apparences conciliantes pour arriver à gagner la candidature républicaine. Ceci laisse entendre que nombre d’électeurs-trices sont préoccupés-es par la militarisation de la politique étrangère américaine.

Sauf rares exceptions, tous les changements à cette politique étrangère ont été le fait, non pas de politiciens-nes éclairés-es, mais bien du public de ce pays ; que ce soit pour la fin de la guerre du Vietnam, l’acceptation du plan de paix centre-américain, l’imposition de sanctions à l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, le ralentissement de la course aux armements nucléaires, la fin du soutien à l’Indonésie pour son occupation du Timor oriental ou le plan de retrait quasi complet de l’Irak.

Les élections sont importantes. Mais d’autres formes de pression le sont tout autant. Elles peuvent obliger à une politique étrangère plus saine et moins militariste.

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