Cette entente stipule notamment que « [d]ans le contexte politique actuel, une réconciliation des forces indépendantistes et progressistes est plus que jamais nécessaire pour réunir les conditions de notre sortie du régime canadien et rendre possible le projet de société dont le Québec a besoin. Considérant l’histoire de la société québécoise et la réalité d’aujourd’hui, ce rassemblement ne pouvait se faire qu’autour d’un véritable programme de pays, affranchi des limites posées par le système politique canadien ». De plus, elle engage le nouveau parti unifié à ce que « le régime colonial canadien [soit] placé au même niveau d’importance que le néolibéralisme » et que « le “Québec-bashing” [soit] dénoncé et combattu ».
Qu’y a-t-il à gagner et qu’y a-t-il à perdre d’une telle entente pour les militant.e.s solidaires ?
À gagner
QS gagne à se défaire de l’image d’intransigeance qui lui colle à la peau depuis son refus de négocier des alliances stratégiques avec le Parti Québécois (PQ). S’il vise à récolter une majorité de votes au Québec, le parti doit montrer qu’il peut travailler avec d’autres gens que ses quelques 17 000 membres, qui ne représentent au final que 0,2 % de la population. Lorsque l’on vise à gouverner, la capacité à faire des compromis est une qualité non négligeable.
Le parti gagne également en consolidant un bloc à la gauche du PQ. Ce dernier tente lui-même de se présenter comme l’alternative progressiste au Parti Libéral, malgré que ses politiques aient historiquement été en porte-à-faux avec un tel discours. Le parti unifié devra donc convaincre la population qu’il constitue la seule alternative au néolibéralisme ambiant.
Cette consolidation des forces progressistes aura aussi l’avantage de faciliter la tâche aux travailleurs et travailleuses qui n’ont, à vrai dire, que peu de temps à consacrer à la chose politique étant donné les rythmes de vie qu’on leur impose. Pour les gens qui n’ont pas pu éplucher chacun des programmes, les deux partis peuvent sembler comme bonnet blanc et blanc bonnet. Aux prochaines élections, si l’entente passe, il n’y aura plus de doute à savoir pour qui voter si l’on veut ré-instiller un peu de solidarité en ce bas monde.
À perdre
Plusieurs militant.e.s solidaires pourraient avoir à perdre d’un recentrement du parti sur la souveraineté du Québec qui se fera nécessairement au détriment d’autres enjeux comme le féminisme, l’antiracisme, l’écologie ou même, les droits des travailleurs et travailleuses. En effet, ON est avant tout une formation souverainiste, pour qui la séparation d’avec le reste du Canada est une fin en soi et non un moyen pour réaliser un projet de gauche. Même si un Québec solidaire 2.0 conservait la souveraineté comme moyen, s’il veut voir le jour, il devra accorder plus de place à cet enjeu, en témoigne l’extrait de l’entente cité plus haut.
On a beau affirmer que toutes ces luttes sont inter-reliées, encore faut-il pouvoir le démontrer. Je ne vois pas en quoi me séparer du reste du Canada m’empêcherait de me faire harceler quasi-quotidiennement dans la rue. À ce que je sache, ce ne sont pas des Canadiens-anglais qui quadrillent le périmètre autour de chez moi.Concernant la situation des personnes racisées, la province a toute la misère du monde à démarrer une commission sur le racisme systémique, alors que l’Ontario a déjà mené la sienne et adopté une loi contre le racisme depuis. Qu’est-ce qui porte à croire, alors, que nous faisons mieux ici ? Qu’une séparation d’avec le reste du Canada pourrait alléger le fardeau quotidien de ces personnes ?
Même si les souverainistes de QS nous ont déjà resservi ad nauseum l’argument du pipeline d’Énergie-est comme motif irréfutable de vouloir l’entière souveraineté sur notre territoire afin de réaliser un projet de société écologiste, qu’en est-il depuis que le projet est mort ? Quels sont les autres arguments ?
Le Québec semble être très bien capable de détruire son propre territoire de façon tout à fait indépendante, en témoigne les quelques 700 sites miniers abandonnés qui parsèment aujourd’hui la province.Finalement, on essaye régulièrement de nous convaincre que les Québécois.es sont plus à gauche, sur l’axe capitaliste, que le reste du Canada – comme si le ROC n’était qu’un bloc monolithique. Il faudra alors se demander pourquoi nous n’avons élu qu’une succession de gouvernements néolibéraux depuis le début du néolibéralisme lui-même. Qu’est-ce qui permet de croire qu’une assemblée constituante tirerait nécessairement vers la sociale-démocratie ? Qu’un Québec souverain serait soudainement féministe, antiraciste, écologiste et ultra-progressiste ?
La souveraineté en soit ?
Reste qu’il est plus facile de mobiliser 8 millions de personnes pour la réalisation d’un tel projet de société que 36 millions. Cependant, dans une économie aussi mondialisée que la nôtre, il est permis de se demander quel est l’intérêt de fonder un projet de gauche à si petite échelle ? Quelle sera la latitude du Québec pour réaliser un tel projet ? Ne vaudrait-il mieux pas mettre l’énergie nécessaire pour, d’emblée, étendre ce projet à la plus grande échelle possible ?
Beaucoup de propositions défendues par QS font l’objet de lutte à l’international. La campagne pour le 15$ de l’heure est un excellent exemple. La lutte contre les énergies fossiles – l’argument si cher aux souverainistes de Québec solidaire – illustre encore mieux la nécessité d’une solidarité à grande échelle, puisque les gaz à effet de serre n’ont pas de frontière et qu’il n’y a aucun intérêt à limiter leur extraction sur un seul territoire.
Il apparaît toutefois démocratiquement souhaitable, même lorsque l’on cherche à s’inscrire dans des luttes internationales, de rapprocher le pouvoir des gens. En effet, chaque voix aurait plus de poids à l’échelle d’un regroupement de 8 millions de personnes. Cela serait d’autant plus vrai s’il l’on choisissait plutôt l’échelle municipale pour s’organiser politiquement. Dans tous les cas, il faut reconnaître l’arbitraire des structures provinciales et municipales déjà en place. Nous les prenons de façon opportuniste, parce qu’elles sont déjà là, et non parce qu’elles représentent quelque chose qui existent en soit, quelque chose comme un peuple. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un peuple ? Où commence-t-il et où finit-il ?
Entre stratégie et principes
La fusion avec ON pourrait donc être utile stratégiquement pour QS à court terme afin d’emporter plus de sièges aux prochaines élections et ce, en renforçant sa crédibilité et en formant un bloc à la gauche du PQ. Par contre, le recentrement sur la souveraineté pourrait s’avérer peu utile à long terme, à moins que l’on cherche uniquement à rapprocher le pouvoir. Rappelons que le but ultime n’est pas de gagner les élections, mais bien de transformer la société.
La séparation du Québec d’avec le reste du Canada ne soulèvera probablement pas de passions chez les électeurs et électrices, parce que la prétendue domination du Canada anglais n’affecte que peu les gens dans leur quotidien, comparativement au harcèlement de rue, à la discrimination à l’embauche, à la dégradation de l’environnement, au temps d’attente des urgences et au salaire minimum, entre autres choses. D’ailleurs, comme cette oppression du régime colonial canadien se traduit-elle concrètement dans la vie des Québécois.es allochtones ? Ne sont-ils pas eux-mêmes d’anciens colonisateurs ?
Il serait donc probablement plus judicieux de la part de futur parti unifié, s’il voit le jour, de conserver l’équilibre parmi les différents fronts de lutte qui existait auparavant à QS. Cependant, il est permis de se demander quel serait alors l’attrait, pour ON, d’accepter une telle fusion ? Du côté de QS, il faudra réfléchir à quel point l’on est prêt à négocier ses principes pour parvenir à ses fins. La ligne entre compromis et compromission est souvent mince.
Un message, un commentaire ?