Édition du 3 décembre 2024

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Canada

La fin du néolibéralisme progressiste au Canada

Pourquoi une alternative économique valable n’est-elle plus offerte au Canada. Les élections mettent en lumière des différences. En ce moment, Justin Trudeau et Pierre Poilievre semblent à l’opposé l’un de l’autre et ça ne fera qu’augmenter quand la période des élections sera à son apogée.

Ricardo Tranjan, Canadian Dimension, 3 août 2024
Traduction, Alexandra Cyr

Mais après les élections, les différences s’affadiront. Un gouvernement Poilievre changera certainement des choses, mais ce sera la continuité dans les zones les plus critiques.

C’est parce que les Conservateurs et les Libéraux partagent un engagement égal envers les marchés. Pour s’attaquer aux enjeux sociaux économiques, les deux Partis offrent des incitatifs aux entreprises en leur accordant des subventions, en s’abstenant de leur imposer de nouvelles régulations même là où c’est le moyen le plus direct et le moins couteux (pour résoudre une situation).

La philosophe politique Nancy Fraser a créé les termes « néolibéralisme progressiste » pour décrire les gouvernements qui publiquement, adoptent les idéaux d’équité et de diversité du mouvement social tout en défendant les intérêts des entreprises de production et financières. Bill Clinton a ouvert la voie à Barack Obama (pour administrer ainsi). Tony Blair en a été l’emblème au Royaume Uni. Et nous l’avons vu ici aussi.

Constamment, les Libéraux de J. Trudeau ont allié un discours progressiste tout en inspirant des plans sur la base des fondamentaux des marchés. C’est en matière de changement climatiques et dans les politiques de logement que cette approche est le plus visible. Il est probable qu’un gouvernement Poilievre annulerait une petite partie de ces changements positifs tout en continuant à défendre la primauté des marchés. Pour ce qui est du climat son plan central est « supprimer la taxe (sur le carbone) ».

La taxe fédérale sur le carbone est un mécanisme de marché basée sur des incitatifs et des restrictions. L’impact de ce système sur les émissions de GES au pays est très minime. Son prix est encore trop bas pour que les comportements changent sérieusement. L’application est aussi liée à des failles qui permettent à l’industrie de ne pas vraiment se soumettre au système.

Depuis 2015, le gouvernement fédéral a retiré une série de cadres réglementaires ce qui esquisse l’introduction de diverses régulations et des plans d’investissement en vue d’établir une économie plus économe en carbone. Ce ne sont que des plans pour le moment.

Le chercheur sur le climat, Hadrian Mertins-Kirkwood, démontre dans un chapitre percutant de son ouvrage : The Trudeau Record : Promise and Performance, que le gouvernement fédéral a manqué plusieurs occasions d’implanter ses plans sur le climat. L’an dernier, il a déclaré lors de la mise à jour économique de l’automne, que les Libéraux étaient allés aussi loin qu’ils le pouvaient pour ce qui est du financement des actions envers le climat. Il avait raison. Dans le budget 2024 on mentionne que 2 milliards de dollars seront investis au cours des 5 prochaines années. Pourtant, le Canada devrait investir environ 100 milliards de dollars par année en énergie propre pour atteindre les objectifs son but de zéro énergie fossile en 2050. Même si cette somme ne viendra pas que du gouvernement fédéral, il n’est reste pas moins qu’un gouvernement vraiment engagé investirait plus de 2 milliards au cours des cinq prochaines années.

En même temps, les Libéraux ont évidemment soutenu les industries pétrolières et gazières avec de généreuses subventions, des exemptions sur la taxe carbone et financé directement des oléoducs et autres infrastructures pour le pétrole. Ce soutien a permis à la production d’augmenter entrainant ainsi une augmentation des GES. Cela a annulé les progrès faits dans d’autres secteurs, comme la fin de l’utilisation du charbon. Sans aucun doute, P. Poilievre maintiendra cette politique de soutien à la production pétrolière et gazière.

En matière de logement, le plan de P. Poilievre est de bâtir, bâtir et bâtir encore. C’était aussi le focus des Libéraux qui ont fait plus que les gouvernements qui les ont précédés mais moins qu’ils ne le disent. La stratégie nationale pour le logement est centrée sur le soutien au secteur privé qui construit des logements pour la location. Ce qui, selon plus d’une analyse du gouvernement, ne rend pas le logement accessible à une majorité de locataires.

Les fonds pour l’aide aux sans abris se sont constamment réduits entre 2015 et 2020 pendant que le nombre de personnes dans cette situation, ne cesse d’augmenter. Le financement des projets de logements hors marché (Coop. Obnl et autres) a fondu bien en dessous de ce que les analystes estiment nécessaire. Dans le budget de 2024, on trouve un million et demi pour ce secteur alors que 15 millions sont prévus pour les développeurs privés.

Et en même temps, le gouvernement utilise un discours progressiste, reconnait que le logement est un droit humain, crée le Conseil national sur le logement, le Bureau du défenseur fédéral des droits au logement, promet une Charte des droits des acheteurs de maisons et une autre pour les locataires. Jusqu’ici tout cela n’a rien donné.

Même la promesse de la fin des enchères à l’aveugle dans le marché immobilier n’a pas été tenue à ce jour. La taxation du secteur immobilier qui aboutit à des profits excessifs dans le secteur locatif, devait être révisée. Le projet est mort. Le gouvernement a beaucoup enquêté sur ce secteur au cours des deux dernières années et il rétropédale.

Ce que nous savons des détails du plan de P.Poilievre se résume à imposer aux municipalités des obligations de permettre par tous les moyens aux développeurs d’augmenter les constructions. Les Libéraux en font plus : le fonds d’accélération de la construction à des buts mixtes allant de dézonages au gel des charges en matière de développement ce que le ministre du logement, M. Sean Fraser appelle abusivement, une taxe sur le logement.

Sur ces grands enjeux, un futur gouvernement conservateur n’aurait pas beaucoup de marge de manœuvre pour être plus pro-marché que l’actuel gouvernement.

Clairement, un gouvernement Poilievre serait différent. Les Conservateurs courtisent les groupes d’extrême droite, n’est pas précis sur l’avortement et est prêt à tester les limites de la Constitution. Tout cela pourrait générer des pertes de droits et de libertés. Mais la peur de l’avenir ne doit pas interférer dans notre jugement sur le présent.

Derrière les gestes progressistes des Libéraux, leurs politiques mitigées et leur financement parcimonieux des solutions non marchandes, il y a un engagement profond envers les approches marchandes. C’est cette idéologie qui affaibli l’État canadien depuis les années 1990.

Un gouvernement Poilievre se débarrasserait du vocable « progressiste » dans « néo libéralisme progressiste » en faisant confiance aux approches pro marchés qui empêchent tout progrès sur les enjeux que la population a à cœur.

Une véritable alternative économique serait concentrée sur l’augmentation des taxes et impôts des plus riches pour améliorer la qualité des services publics universels, sur la réglementation des marchés pour les empêcher de profiter des biens de base comme la nutrition, la santé, l’éducation et le logement. Elle renationaliserait les ressources naturelles et les infrastructures publiques.

Cette alternative n’est pas offerte au Canada en ce moment.

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