En premier lieu, les élites ont détourné les discussions et les décisions de caractère économique vers des officines opaques, des processus secrets, des bureaucraties sans nom ni visage. Charest, Harper et les autres nous disent, « c’est comme cela ». C’est le FMI, les grandes banques, l’OCDE, l’ALÉNA qui décident. Les médias nous parlent du « marché » qui décide quelle sera la valeur de nos produits, comme si le « marché » n’était pas un ensemble d’institutions et de personnes qui coordonnent le capitalisme financiarisé qui sévit dans le monde. Les politiciens tous confondus, les élites économiques, les médias (encore) affirment qu’il faut que la Banque du Canada soit « indépendante », comme si on n’avait pas un gouvernement, en principe mandaté par les citoyenNEs, devant régir la politique macro-économique (fondamentale dans le système). Ce qui veut dire qu’en pratique, cette Banque n’est pas imputable si ce n’est au « marché » (c’est-à-dire au capitalisme financiarisé). Autrement, les politiques régissant l’environnement, les services publics, la protection sociale sont « renvoyées » vers des traités obscurs qu’il faut, nous disent les dominants, respecter à tout prix. À quoi sert un gouvernement alors ? Pourquoi prendre du temps pour élire des représentants qui nous diront que la décision est prise ailleurs ?
En deuxième lieu, le processus de la représentation est perverti. Les gouvernants ne respectent pas les droits et quand cela devient trop évident, ils changent les lois. Ils sont très peu imputables, à moins de mettre en place des commissions d’enquête terriblement coûteuses et d’une durée interminable. À part quelques exceptions, les parlementaires proviennent de groupes sociaux restreints où dominent des « professionnels » de la politique, et non de la citoyenneté au sens large. Ces parlementaires, on ne peut les révoquer, du moins en dehors de l’élection comme telle. Parlant élection, le système (britannique) que nous avons permet de choisir entre « le moins pire » des deux. Lors de cette élection, de redoutables machines sont mises en place avec des armées d’experts en tout genre qui manipulent les résultats. L’« opinion publique » (un autre mot à mettre entre guillemets) est constamment définie, construite par des sondages et des interventions médiatiques qui appartiennent à quelques méga groupes de presse qui sont imbriqués jusqu’au cou dans la « gestion » du pillage et de la prédation.
Globalement, on est dans le pétrin. Il faut donc être critiques et savoir que la lutte électorale aujourd’hui relève d’une « démocratie » de bas étage qu’il faudra bien changer un jour. Est-ce qu’il est surprenant alors que tant de personnes, surtout des jeunes, disent basta et ne votent pas ? On serait vraiment stupide de les blâmer.
Pour autant, les dominés ne choisissent pas le choix de leurs terrains de combat. Le combat électoral, aussi perverti et détourné soit-il, doit également être « envahi » par les dominés et leurs organisations. Pas parce qu’ils ont des illusions. Mais parce que le combat politique doit se mener partout.
Quand les dominés par les hasards de la vie politique et dans le contexte de grandes crises avancent sur le terrain électoral, il y a alors deux choix. Le premier choix, le plus facile, est de continuer à gérer le même système pourri, quitte à faire quelques réformes ici et là. On ne peut dénigrer cela, mais c’est contradictoire. Le problème, on l’a dit, est systémique. Changer le système requiert beaucoup plus qu’une élection. Il est cependant vrai que la gauche si elle est élue peut faire beaucoup.
Le deuxième choix est de transformer et d’élargir les luttes, d’utiliser le terrain politique tel qu’il l’est pour le transformer « de l’intérieur », comme le proposait en son époque Gramsci. L’action parlementaire est alors soutenue par un fort mouvement social qui devient un interlocuteur actif, qui intervient, qui encourage (et si nécessaire) pousse les parlementaires à respecter la volonté populaire. Le système politique dans ce contexte est habituellement transformé, avec de nouvelles institutions, une nouvelle constitution, de nouvelles façons de faire de la politique.
La démagogie est habituellement l’apanage de la droite sous ses diverses coutures, mais elle s’infiltre quelquefois dans la gauche. Pour gagner une élection, on promet trop ou mal. On tourne les coins ronds, on laisse miroiter des changements extraordinaires alors qu’en réalité, on sait qu’il faudra beaucoup de patience et de détermination. Certes, un gouvernement de gauche ne peut décréter comme par magie l’abolition du système économique et politique pourri qui existe depuis des centaines d’années à l’ombre du capitalisme. Par contre, il peut commencer à le faire en améliorant la vie des gens tout en modifiant les paramètres de ce système. À long terme, de telles pratiques permettent aux couches populaires de s’engager sur le chemin de l’émancipation.