Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Après cinq ans de crise : un état des lieux sommaire (extraits)

La crise : coup d'oeil sur les États-Unis

(L’extrait nous parle) de divers aspects de la situation économique, politique et sociale des États-Unis, auxquels il accorde une attention particulière, cinq mois avant les élections présidentielles de novembre prochain.

(tiré de la revue Carré rouge)

1 - L ’emploi

Même si les États-Unis sont le pays développé où la croissance prévue est la plus élevée pour 2012 (2,1 %) et 2013 (2,4 %), ces prévisions n’ont rien de ce qui pourrait être acclamé comme le signe d’une reprise réelle.

De nombreux observateurs se sont accrochés à une création d’emplois relativement forte, de 246 000 par mois en moyenne au cours des mois de décembre, janvier et février, pour en conclure que l’économie avait désormais le vent dans les voiles. Ils ont dû déchanter dès les mois suivants en apprenant que le nombre d’emplois créés en mars et avril n’était que de 120000 et 115000 respectivement et que les baisses successives d’un dixième de point du taux de chômage par rapport au mois précédent, étaient davantage attribuables à une réduction du nombre de demandeurs d’emplois qu’à une augmentation du nombre de personnes employées. La douche a été encore plus froide en mai, alors que le nombre d’emplois créés en avril a été révisé à la baisse de 33 %, à 77 000, et que mai a été encore plus décevant avec seulement 69 000 créations d’emplois [9]. Le taux de chômage a bien diminué, de 9,1 % au cours de l’été 2011 à 8,1 % en avril 2012 pour les emplois réguliers à plein temps, mais si on tient compte des travailleurs découragés qui ne cherchent plus d’emploi ainsi que des travailleurs à temps partiel qui préféreraient un emploi à temps plein, ce taux est beaucoup plus élevé. Il était de 15 % en mars 2012, en baisse de 1 % par rapport à l’été 2011.

Commentant l’évolution récente des statistiques de l’emploi, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke [10], a déclaré que la baisse observée du taux de chômage était déconnectée du rythme modeste de la croissance économique et reflétait surtout la volonté des entreprises d’ajuster leurs effectifs après les suppressions de postes exceptionnellement massives qui ont eu lieu durant la récession [11]. La réduction du taux de chômage ne serait en d’autres termes qu’un effet de retour du balancier qui a ramené ce taux à un niveau conforme à celui de la production. Pour que cette réduction se poursuive de manière significative, a déclaré Bernanke, il faudrait que la croissance économique soit beaucoup plus forte qu’elle ne l’a été jusqu’ici. Rien ne laissant présager une croissance plus vigoureuse stimulée par une reprise de l’investis-mesures publiques de relance ne sont pas non plus à l’ordre du jour, Bernanke a alors évoqué l’hypothèse du recours à une troisième phase d’« assouplissement monétaire quantitatif [12] ».

Entre 2000 et 2009, les États-Unis ont perdu 6,2 millions d’emplois manufacturiers, soit une chute de 30 %, dont la majeure partie, 3,9 millions, est le résultat de la concurrence asiatique, principalement chinoise. La récession a éliminé le reste, 2,3 millions d’emplois. Cette chute a été suivie d’une légère reprise, qui n’a ajouté que quelque 460 000 nouveaux emplois entre 2009 et 2011, de sorte que la part de l’emploi manufacturier a diminué dans l’emploi total. Les exportations manufacturières ont augmenté de 39 % au cours de ces deux années, mais les importations ont augmenté plus vite que les exportations. En bout de ligne, les États-Unis dominent toujours au niveau mondial quant à leur part de la production manufacturière, qui était de 20 % en 2011 comparativement à 24 % en 2000, mais ils sont sur le point d’être rattrapés et dépassés par la Chine dont la part a rapidement augmenté depuis 1990, alors qu’elle n’était que de 3 %, pour atteindre 18 % en 2010. Au cours de cette période, la part du Japon a diminué de 18 % à 11 %, celle de l’Allemagne de 11 % à 6 % et celle de la Grande-Bretagne de 5 % à 3 %, alors que celle de l’Inde augmentait légèrement, de 1 % à 2 % [13].

2 - L’offensive anti-syndicale

Dans ce contexte, on peut facilement comprendre que la région manufacturière traditionnelle du pays, désignée comme la Manufacturing Belt, ou Rust Belt (ceinture de la rouille), qui s’étend de la Pennsylvanie, à l’est, jusqu’à la région des Grands-Lacs, ait été le théâtre de dures attaques contre les droits syndicaux au cours des dernières années. Le dernier coup a été porté en Indiana, situé au sud du lac Michigan, qui est devenu, le 1er février dernier, le 23e État du pays à adopter ce qui est frauduleusement désigné comme une loi de « droit au travail » (« right-to-work » law), mais qui reconnaît en fait un droit aux travailleurs réfractaires à l’adhésion à un syndicat de bénéficier des avantages négociés par le syndicat sans en être membres et sans assumer les frais de son financement. Cette expression, qui a pour objectif délibéré de semer la confusion, relève de cette « manière propre aux États-uniens d’utiliser des mots pour désigner des réalités qui sont le contraire de ce que ces mots signifient », écrit la journaliste Elizabeth Olson de la revue Fortune [14].

Déjà en vigueur dans tous les États du sud, ainsi que dans la majorité des États du Midwest et la moitié des États de l’ouest, les lois « right-towork » ont désormais fait une percée dans le bastion industriel traditionnel en gagnant l’Indiana. Le gouverneur républicain de l’Indiana, Mitch Daniels, a invoqué la nécessité de défendre la compétitivité de l’État contre la vague des emplois déplacés vers l’étranger. Il avait déjà fait adopter une législation très favorable à l’entreprise privée en réduisant de 25 % le taux d’imposition des profits des entreprises et en octroyant les exemptions d’impôt les plus élevées du pays pour la recherche et le développement [15].

Il va sans dire que cela contribuera à réduire un taux de syndicalisation déjà très faible et à précariser encore davantage les conditions de travail.

En 2011, ce taux n’était que de 11,8 % pour l’ensemble de la force de travail, soit seulement 6,9 % dans le secteur privé et 37 % dans le secteur public. À des fins de comparaison, le taux global était de 20,1 % en 1983 [16]. L’argument économique à l’appui de l’introduction de la loi « rightto- work » en Indiana n’est de toute évidence qu’une des dimensions d’une bataille éminemment politique engagée en 2011 dans tout le Midwest par la droite républicaine pour faire table rase des syndicats et des conventions collectives dans le secteur public. La résistance syndicale à ce mouvement s’est exprimée avec une force remarquable en particulier dans les États du Wisconsin et de l’Ohio. Appelée à se prononcer par voie de référendum en novembre 2011, la population de l’Ohio a rejeté par une majorité de 62 % la législation anti-ouvrière imposée par le gouvernement républicain interdisant la négociation collective avec les employés de l’État et des universités publiques et retirant le droit de grève aux employés des municipalités et des écoles. Plus récemment, un puissant mouvement de protestation a réuni un million de signatures pour demander la révocation du gouverneur républicain du Wisconsin, Scott Walker. Mais cela ne l’a pas empêché de remporter avec une majorité décisive l’élection du 5 juin qui l’a confirmé dans ses fonctions, grâce à l’énorme financement, en grande partie de l’extérieur de l’État, dont il a bénéficié.

Ce vote est très significatif. Non seulement il confirme la montée de l’ultra-conservatisme dans cette région du pays et il ouvre des perspectives d’extension des politiques antisyndicales aux États voisins, mais il a aussi une puissante valeur de test à quelques mois de l’élection présidentielle de novembre.

3 - L’amorce d’une déréglementation

a signé une loi désignée comme le JOBS Act. Il ne faut pas confondre ce JOBS Act avec l’American Jobs Act adopté en septembre 2011 dans la foulée du psychodrame de l’été précédent découlant de l’impasse quant au relèvement du plafond de la dette, qui a amené l’agence Standard & Poor’s à abaisser la note de crédit des États-Unis de AAA à AA +. Contrairement à cet American Jobs Act de 2011 qui était un plan de création d’emplois de 447 milliards de dollars, comprenant des réductions de taxes (253 milliards), ainsi que des dépenses d’infrastructures et de soutien des sans-emploi (194 milliards), le JOBS Act de 2012 n’a qu’un rapport lointain avec la création d’emplois. JOBS est en fait l’acronyme de Jumpstart Our Business Startups, qui signifie « Encourager le développement de nos entreprises en démarrage ». Si on ne peut nier que la poursuite d’un tel objectif rejoint dans une certaine mesure la promotion de l’emploi, l’objectif spécifique du JOBS Act est fort différent. Il vise à faciliter l’accès des entreprises en démarrage au financement en bourse, par l’allégement d’une réglementation financière jugée trop sévère.

Parmi les mesures prévues par la nouvelle loi, mentionnons : 1) l’augmentation du nombre d’actionnaires audelà duquel une entreprise a l’obligation de s’inscrire à la Commission des opérations de bourse (Securities and Exchange Commission ou SEC) et de devenir une entreprise « publique », c’est-à-dire tenue de divulguer l’information relative à sa situation financière ; 2) l’exemption pour une période de cinq ans accordée à certaines entreprises cotées en bourse, désignées comme des « entreprises émergentes en croissance », de l’obligation de divulguer l’information relative à leur situation financière qui est normalement requise d’entreprises ayant ce statut ; 3) l’exemption de l’exigence d’inscription auprès de la SEC de certains types de petites émissions d’actions, par une large ouverture au « crowdfunding » (pratique qui consiste à recueillir sur internet des participations de petites valeurs de la part d’un grand nombre de personnes, qui était jusqu’ici très limitée par la loi). Il ne s’agit pas d’un fait anodin. Il s’agit au contraire de l’amorce d’une révision de certains aspects d’une réglementation qu’on avait jugé nécessaire de resserrer, d’abord par l’adoption en 2002 de la loi Sarbanes-Oxley, à la suite de la vague de scandales financiers dont le plus célèbre avait été dévoilé par la faillite de l’entreprise Enron, puis par l’adoption en 2010 de la loi Dodd-Frank de réforme du système financier, dont l’objectif annoncé était d’empêcher qu’une crise comme celle de 2007-2008 se reproduise.

4 - La bataille du budget

La préparation du budget de l’année 2013 est l’occasion d’une charge déchaînée de la droite ultra-conservatrice pour accroître les privilèges de la minorité des nantis, ceux qu’on désigne désormais comme le 1 % de la population, et détruire ce qui reste du filet de protection sociale des démunis. Depuis que le déficit budgétaire a plongé en un an de 3 % du PIB en 2008 à 12 % en 2009, l’enjeu du débat budgétaire est, chaque année, l’échéance du retour au déficit cible de 3 % du PIB et les moyens à prendre pour y parvenir. Dès sa première proposition budgétaire en 2009, le président Obama souhaitait annuler les réductions d’impôt pour les riches et les grandes entreprises accordées par ses prédécesseurs Démocrate et Républicain, William Clinton et George Bush, et augmenter les taxes sur les gains de capital. Mais le processus budgétaire est complexe et d’autant plus difficile qu’il doit passer par la Chambre des représentants, où le parti Républicain détient la majorité depuis 2010, et par le Sénat où le parti Démocrate dispose d’une très faible majorité. L’ampleur des affrontements qui se déroulent au Congrès des deux chambres a été dévoilée à l’été 2011 lors du débat sur la hausse du plafond de la dette.

L’exercice budgétaire de cette année a commencé par la présentation en février de la proposition du président qui reprend ses propositions bloquées des années précédentes et propose de nouvelles mesures visant à réduire les avantages des plus riches et des multinationales qui déplacent des emplois vers l’étranger. Au total, les propositions d’Obama permettraient ainsi de récolter un supplément de 2000 milliards de dollars sur dix ans, pour les années 2013 à 2022, soit une augmentation de 5 % des revenus budgétaires globaux de la période [17]. Par la voix du représentant Paul Ryan du Wisconsin, la majorité Républicaine à la Chambre des représentants a proposé quant à elle un programme qui est à l’extrême opposé du programme du président. Le programme déposé par Paul Ryan et endossé par celui qui sera le candidat Républicain aux élections présidentielles de l’automne prochain, Mitt Romney, propose une réduction des dépenses de 5300 milliards de dollars sur dix ans qui ferait dramatiquement reculer les programmes de protection sociale, notamment les programmes de financement des soins de santé, Medicare pour les plus de 65 ans et Medicaid pour les pauvres.

Le projet Ryan propose de mettre un terme au programme de financement direct par le gouvernement des soins de santé pour les personnes âgées par le programme Medicare et de le remplacer par un système de bons (vouchers) qui seraient remis aux personnes âgées pour leur permettre de faire l’achat d’une assurance privée. Le programme Medicaid quant à lui serait progressivement diminué, ainsi que les autres programmes de soutien aux démunis, de sorte que leur financement par le gouvernement serait réduit de 3300 milliards de dollars sur dix ans et de 50 % en proportion du PIB en 2050. Non seulement ces propositions sont dirigées contre les défavorisés, mais elles auraient pour effet d’éliminer 5 millions d’emplois sur une période de cinq ans, de 2013 à 2017, selon une étude de l’Economic Policy Institute [18]. Toutes les autres dépenses, telles l’aide à l’étranger, le soutien des vétérans, le financement des établissements scolaires et la construction de routes, serait réduites des deux tiers. Du même souffle, le plan Ryan met de l’avant des réductions de 4600 milliards de dollars sur dix ans des impôts et taxes des entreprises et des plus riches, une mesure dont il soutient qu’elle pourrait être compensée par l’élimination des échappatoires fiscales. Ce plan budgétaire a été caractérisé comme le plus frauduleux de l’histoire des États-Unis par l’économiste Paul Krugman [19].

Simultanément, le Sénat était saisi d’une proposition d’un de ses membres, le sénateur Sheldon Whitehouse du Rhode Island, en faveur de l’adoption d’un projet de loi intitulé « Paying a fair share Act » (payer sa juste part), dont l’objectif était d’imposer la « Buffet Rule » (la norme « Buffet »), ainsi nommée à la suite d’une déclaration du milliardaire et icône de la finance, Warren Buffet, qui considère comme une aberration le fait que ses propres revenus ne soient imposés qu’à un taux de 15 %, alors que le taux que doit payer sa secrétaire est le double du sien. Pour éliminer une telle aberration, le projet de loi proposait que les personnes gagnant plus d’un million de dollars par année soient imposés à un taux de 30 %. Plus d’une centaine d’organisations syndicales, et de défense des droits démocratiques l’ont activement appuyé, parmi lesquelles l’AFLCIO (American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations), l’American Federation of State, County and Municipal Employees, l’Alliance for Retired Americans, l’organisme Citizens for Tax Justice, l’International Brotherhood of Teamsters, la Main Street Alliance, la National Organization for Women, les United Steeworkers, les United Autoworkers, l’American Federation of Teachers et le Center for American Progress.

Elles ont notamment fait valoir le fait que 22 000 ménages gagnant plus d’un million de dollars par année payaient moins de 15 % de leur revenu en impôt et que près de 1500 ne payaient pas un seul sou d’impôt ; que, depuis 1980, les revenus des 1 % les plus riches avaient quadruplé en termes réels et que la part de leurs revenus dépassait 40 % des revenus globaux ; que les inégalités atteignaient des niveaux jamais vus depuis les années 1920 et que le taux d’imposition de 30 % réclamé n’avait rien d’excessif, puisque c’est exactement ce qui était encore la norme dans les années 1990 [20]. Soit dit en passant, le candidat républicain à la présidence, Mitt Romney, fait partie de cette tranche favorisée dont les revenus annuels dépassent le million de dollars et dont les revenus sont taxés à moins de 15 %. La fortune personnelle de Romney est évaluée à 200 millions de dollars. Elle a été accumulée à la direction de cet empire de 60 milliards de dollars qu’est l’entreprise de placements privés et de capital de risque, Bain Capital, dont les profits sont le fruit d’opérations prédatrices d’acquisition d’entreprises en vue de les démanteler et de les revendre par pièces en licenciant des milliers de travailleurs.

Mis aux voix le 17 avril, le projet de loi de la « Buffet Rule » a été rejeté par une majorité de 51 à 45, les Républicains s’y étant opposés en bloc, forts de l’appui ou de l’abstention de quelques Démocrates et/ou d’indépendants [21]. Ces péripéties annoncent un rendez-vous palpitant, comme celui de l’an dernier, pour la fin de l’année budgétaire en cours, fin septembre, quelques semaines avant les élections présidentielles du 6 novembre, à l’occasion desquelles seront également renouvelés la Chambre des représentants et le tiers du Sénat.

5 - La santé devant la Cour suprême

Première puissance mondiale, pour quelques années encore jusqu’à ce que la Chine la rattrape et la double d’ici dix ans, les États-Unis sont le pays où les coûts de santé sont les plus élevés du monde industrialisé et où l’état de santé de la population est le plus précaire. Leur taux de mortalité infantile, par exemple, est le double de celui de la Suède, de l’Allemagne et de la France, pour ne mentionner que ces pays, et le taux d’obésité y dépasse les 30 % de la population, soit trois fois le taux moyen des pays européens. 50 millions de personnes ne disposent d’aucune assurance- santé, soit une personne sur six. Dans une volonté de remédier à cette situation, le président Obama a gagné in extremis, en mars 2010, un véritable bras de fer contre l’opposi tion Républicaine en faisant adopter, par 219 voix contre 212 (178 Républicains et 34 Démocrates) à la Chambre des représentants, le Patient Protection and Affordable Care Act (Loi de protection des patients et de soins abordables), communément désigné comme la loi « Obamacare ». Cette loi est le résultat d’importants compromis qui ont dilué la portée du projet mis de l’avant par Obama comme l’objectif phare de sa campagne présidentielle de 2008. Le fer de lance de cette loi est l’obligation pour tout citoyen des États-Unis de souscrire à une assurance-santé auprès d’une société d’assurance privée. Il est important de souligner qu’elle n’a reçu l’appui d’aucun des élus Républicains. Dès le lendemain de son adoption, elle a été contestée devant les tribunaux par 13 États, auxquels s’en sont ajoutés 13 autres par la suite. Son sort est désormais devant la Cour Suprême des États-Unis qui a commencé à entendre la cause en mars. Le verdict devrait être rendu à la fin de juin.

La Cour doit trancher sur la constitutionnalité de l’obligation qui est faite à chacun de souscrire à une assurance. Dans ce pays du « Live free or die », où les droits individuels sont déifiés, les opposants à la loi « Obamacare » soutiennent que le fait de forcer un individu à acheter un bien ou un service qu’il ne souhaite pas acheter constitue une extension outrageante du pouvoir de l’État fédéral et un coup sauvage porté à la liberté individuelle.

Dans un véritable processus de substitution du pouvoir judiciaire au pouvoir législatif, ce sont donc neuf juges, appelés à juger de la constitutionalité de la Loi, qui scelleront le sort de cette loi démocratiquement adoptée par les instances législatives. Le théâtre est d’autant plus tragi-comique que ces juges sont d’authentiques créatures politiques, ayant été nommés par le président actuel ou par ses prédécesseurs. Quatre d’entre eux ou elles (Stephen Brayer, Ruth Bader Ginsburg, Elena Kagan et Sonia Sotomayor) sont connus comme étant d’allégeance « libérale ». Quatre autres (Samuel Alito, Antonin Scalia, Clarence Thomas et le juge en chef John Roberts), sont connus comme étant d’allégeance « conservatrice », alors que le neuvième est identifié comme un « swing voter » (expression qu’on peut traduire par le terme « girouette »), se prononçant d’un côté ou de l’autre selon les circonstances. À suivre.

6 -Une nouvelle course aux armements comme bouée de sauvetage ?

Avec un déficit public de près de 10 % du PIB en 2011 et une dette publique de 100 % du PIB [22], les États-Unis se classent parmi les pays les plus mal en point du monde pour ce qui est de l’état de leurs finances publiques. Non seulement par ailleurs ils sont en voie de perdre leur statut de première puissance économique et industrielle devant la montée fulgurante de la Chine, mais ils risquent aussi de voir cette dernière les devancer sur le plan militaire dans un avenir rapproché. Alors que les États-Unis réduisent leur budget militaire dans un effort pour rétablir l’équilibre budgétaire, la Chine, dont le budget militaire de la dernière décennie a augmenté d’environ 12 % par année (un rythme de croissance voisin de celui de son PIB), prévoit maintenir ce rythme au cours des années à venir, ce qui placerait ses dépenses militaires au premier rang mondial d’ici vingt ans [23]. De quoi faire frémir non seulement les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, mais aussi les puissances asiatiques voisines que sont le Japon et la Corée du sud. Une nouvelle course aux armements serait-elle à prévoir, pour définir les nouveaux rapports de forces qui s’annoncent, mais aussi pour relancer l’économie ? Il ne faut jamais oublier que le militarisme a été la bouée de sauvetage qui a permis au capitalisme de surmonter la stagnation économique tout au long de son histoire. Et stagnation il y a. L’économiste Robert Shiller de l’Université Yale, auteur du livre intitulé Irrational Exuberance [24], en mesurait récemment l’ampleur dans les termes suivants : « Je crains fort qu’il n’y ait pas de grand redressement de notre vivant » [25].
le 6 juin 2012


Notes de l’extrait

9- Bureau of Labor Statistics. US Depart- 42/CARRE ment of Labor, News Release, The Employment Situation, March 2012, April 2012 et May 2012.

10- Voir Josh Bivens, « Unemployment rising too fast, then falling too fast… », Economic Policy Institute, Washington, 5 avril 2012 (www.epi.org).

11- Officiellement, selon les compilations du National Bureau of Economic Research, les États-Unis sont entrés en récession en décembre 2007 et en sont sortis en juin 2009.

12- Mesure de stimulation de l’activité économique qui consiste dans la création pure et simple de monnaie par la banque centrale d’un pays (aux États-Unis, la Réserve fédérale) pour l’achat de nouvelles obligations gouvernementales. La Réserve fédérale des États-Unis y a recouru de janvier 2009 à novembre 2010 et de novembre 2010 à juin 2011. Voir Louis Gill, La crise financière et monétaire mondiale, Montréal, M Éditeur, 2e édition, p. 66-67 et 78-83.

13- The Economist. Special Report. Manufacturing and innovation, 21 avril 2012, p. 5.

14- « What right-to-work laws really mean », 31janvier 2012, accessible sur CNNMoney. com.

15- « Unionisation. Another one takes a plunge », The Economist, 4 février 2012, p. 32.

16- Chiffres du Bureau of Labor Statistics cités par Elizabeth Olson dans l’article de Fortune déjà cité.

17- Calculé à partir des prévisions de revenus du Congressional Budget Office : The Budget and Economic Outlook : Fiscal Years 2012 to 2022.

18- Ethan Pollack, « Medicaid Cuts in Ryan Budget would Cost Jobs in Every State », Economic Policy Institute, Issue Brief no. 328, Washington, 10 avril 2012.

19- Paul Krugman, « Pink Slime Economics », The New York Times, 1er avril 2012.

20- Seth Hanlon et Sarah Ayres, « What the Buffet Rule Will and Won’t Do », Center for American Progress, Washington, 13 avril 2012.

21- Chacun des 50 États dispose de deux voies au Sénat, quelle que soit sa population. Au moment du vote, les Démocrates détenaient 50 sièges, les Républicains 47. S’ajoutaient un Indépendant et un Démocrate indépendant. Un siège n’était pas comblé.

22- Il s’agit de la dette totale qui comprend deux composantes, la dette détenue par le public (68 % du PIB) et la dette détenue par des organismes gouvernementaux (32 % du PIB).

23- Selon des prévisions du FMI et du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute). Voir « The dragon’s new teeth », The Economist, 7 avril 2012, p. 27-32.

24- Princeton University Press, 2e édition, 2005.

25- Associated Press, Reuters et Le Devoir,

Louis Gill

Économiste retraité du département de sciences économiques de l’UQAM où il a oeuvré de 1970 à 2001. Tout au cours de cette carrière, il a eu une activité syndicale active. Il a publié plusieurs ouvrages, sur la théorie économique marxiste, l’économie internationale, l’économie du socialisme, le partenariat social et le néolibéralisme, ainsi que de nombreux essais et articles de revues et de journaux sur des questions économiques, politiques, sociales et syndicales.

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