L’opacité comme politique
L’industrie des énergies fossiles est bien connue pour son culte du secret : refus de dévoiler les études d’impact sur les opérations d’extraction ; chiffres gonflés à propos des emplois et revenus générés par cette industrie ; refus de rendre des comptes sur les produits utilisés dans le processus de fractionnement des couches de schistes ; interventions sans consultation sur des terres privées ou publiques.
Malgré ce bilan plus que douteux, l’industrie peut compter sur la complicité du gouvernement Charest. Plusieurs membres de cabinets de ministres libéraux ont immigré dans les somptueux salons des entreprises à titre de conseillers ou de porte-paroles. La ministre du Développement durable, de l’environnement et des parcs Nathalie Normadeau s’est élevée comme une bonne soldate afin de défendre bec et ongles les intérêts de l’industrie. Le débat sur la réforme de la loi sur les mines a accouché d’une souris impotente et est passé à côté de l’essentiel : donner aux régions et aux municipalités les pouvoirs nécessaires pour faire cesser l’arbitraire de l’industrie.
Pire : la presse nous révélait récemment qu’une vérification a permis d’établir que 19 des 31 puits en activité au Québec comportaient des fuites. Face à de telles révélations, nous aurions pu espérer un mouvement de recul, de pause motivée par un désir de précaution. Et bien non. Le ministère des ressources naturelles et de la faune s’emploie à calmer la grogne et à banaliser la situation. Dans les jours précédents, l’Association pétrolière et gazière du Québec expliquait qu’il était normal que de telles fuites surviennent parce que le coffrage des installations était récent, Or, toutes les installations vérifiées et dont fait état l’étude ont été construites à l’automne 2010, quelques mois avant les inspections. Tous ces puits ont été forés entre 2006 et 2010.
Avec de tels alliés, l’industrie joue ses dernières cartes car la bataille de l’opinion publique semble définitivement perdue pour ces champions du secret. Reste les manœuvres discrètes et la politique d’essoufflement que les libéraux peuvent adopter : faire fi des critiques et aller de l’avant. Après eux le déluge…
La mobilisation citoyenne se développe
Le mois de décembre a été marqué par le regroupement de 25 comités de citoyenNEs afin de coordonner leurs activités. Des artistes sous l’initiative de Dominic Champagne ont produit une vidéo qui a eu un impact important sur la sensibilisation citoyenne. Même le Bye Bye 2010 a concocté une scène autour d’un échange hilarant entre André Caillé et un citoyen révolté (joué par Jean-François Mercier).
Si la population a ainsi montré dans sa grande majorité qu’elle souhaitait un moratoire sur l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles, particulièrement les gaz de schiste, elle n’a pas encore réussi à faire hisser le drapeau blanc par l’industrie. L’empressement de cette dernière à faire avaler des demi-vérités et ses omissions à la population n’a pas trouvé preneur mais elle compte sur le gouvernement Charest pour garder la porte grande ouverte à toute éventualité. Pour mettre définitivement un terme aux aspirations des Junex, Questerre, Gastem ou Talisman Energy, il faut une démonstration massive de mobilisation populaire dans les rues du Québec.
Une première étape dans cette direction a été franchie à l’automne dernier lorsque les groupes écologistes ont mis sur pied la coalition Vigilance Énergie. Au début décembre, le regroupement réunit 25 comités de citoyenNEs à l’échelle du Québec. Tout récemment, Daniel Breton de Maîtres chez nous au 21e siècle annonçait une manifestation nationale dont les détails seront précisés bientôt. Elément important quant à cette manifestation : les organisateurs semblent pencher vers une thématique qui engloberait l’ensemble des mobilisations concernant les ressources naturelles.
Une telle perspective permettrait de rallier les mobilisations citoyennes portant sur le pétrole (Junex reluque des gisements en Gaspésie, Gaztem a l’oeil braqué sur les Îles-de-la-Madeleine et tous salivent à l’idée d’exploiter le gisement d’Old Harry au large de Terre-Neuve). Y seront alors conviés les membres de Sept-Îles-sans-uranium et des communautés qui se mobilisent contre l’extraction et le transport de l’uranium, de FragÎles, des comités de citoyenNEs qui luttent contre le projet de pipeline transcanadien en Montérégie et pourquoi pas les citoyenNEs contre l’exploitation et l’exportation de l’amiante donnant toutes les chances au mouvement de se multiplier. En outre, un tel événement permettra de mesurer l’ampleur de la mobilisation populaire et de mettre en commun les expériences et les informations à l’échelle nationale. Cette manifestation est aussi l’occasion d’inviter les autres mouvements sociaux, les centrales syndicales notamment, à se joindre au mouvement.
Des questions incontournables
Alors que le gouvernement fédéral ferme les yeux sur les conséquences environnementales de l’exploitation des sables bitumineux en Alberta, que la population de la Saskatchewan est loin d’être unanime quant à l’exploitation de cette ressource dans la province (un récent sondage de Sigma Analytics comptait 25% d’appuis et 232% d’opposants aux sables bitumineux), que le tout nouveau ministre de l’environnement fédéral fredonnait la même chanson usée et vantait les mérites du sable bitumineux les qualifiant d’éthique, l’industrie peut compter sur des appuis sans faille de la part des gouvernements. Il revient à la population québécoise de prendre l’initiative et d’imposer un rapport de force qui ne laissera pas de marge de manœuvre au gouvernement Charest : moratoire ou démission.
Il revient aussi aux groupes écologistes et aux regroupements de citoyenNEs de mettre sur la table les prémisses du débat qui doit traverser le Québec : la réduction radicale des gaz à effet de serre est-elle compatible avec l’utilisation des énergies fossiles ? Ne doit-on pas plutôt orienter nos efforts vers la recherche et le développement de nouvelles technologies vertes ? La logique du profit qui conduit le capitalisme est-elle compatible avec une stratégie de réductions massives des émissions de gaz à effet de serre ? Le Québec doit-il envisager l’exploitation des énergies fossiles de façon « propre » ? De telles interrogations sont incontournables dans les prochaines étapes du débat.