Un dimanche après-midi, au pied du Pain de sucre, des pêcheurs jettent leurs lignes dans les eaux de l’anse de Botafogo. L’un d’eux sent quelque chose au bout de son hameçon, tire avec force, sous les yeux de ses camarades. Apparaît alors un gros sac de jute emberlificoté d’objets indéfinissables. La scène n’étonne plus ces pêcheurs cariocas, qui depuis longtemps ne consomment plus le produit de leur pêche.
Elle a beau être une des plus belles baies du monde [1], entourée par le relief si particulier des « morros », ces collines rondes et verdoyantes, la baie de Rio de Janeiro souffre depuis des années des conséquences des activités humaines. Près de 9 millions de personnes vivent à proximité de cette étendue d’eau de 380 km². Et ce sont près de 14.000 industries — dont des terminaux et chantiers maritimes, des ports commerciaux, des raffineries de pétrole — qui exercent des activités très polluantes. La baie recevrait ainsi 18.000 litres par seconde de déchets domestiques, notamment les eaux usées de près d’un million et demi de personnes qui se déversent directement dans les rivières sans aucune forme de traitement. C’est le cas à Duque de Caxias et Nova Iguaçu, des communes dépourvues de système de tout-à-l’égout, où les maladies et les mauvaises odeurs affectent la population depuis des années [2].
Lorsqu’on prend le ferry, on découvre un cimetière de bateaux rouillés
Le déficit récurrent de politiques publiques vis-à-vis du traitement obligatoire des déchets et de la préservation environnementale a fait de ce bout de mer une poubelle à ciel ouvert. Sur les rivages intérieurs, on peut voir s’échouer tous les vestiges de la modernité, télévision, pneus, réfrigérateurs ; tandis qu’au centre de la baie, on découvre, lorsque l’on prend le ferry, un immense cimetière de bateaux, allant de petites embarcations à d’immenses cargos, abandonnés là depuis plusieurs décennies. Même si les autorités ont commencé à faire le ménage, il restait encore, fin 2015, près de 150 navires rouillant entre deux eaux. Enfin, il ne faut pas oublier l’impact environnemental des sites industriels, responsables de fuites de produits toxiques et de métaux lourds.
Dans ces conditions, les athlètes s’inquiètent pour le bon déroulé de la compétition, mais aussi pour leur santé. En réponse, les autorités ont mis en place récemment des solutions palliatives avec l’installation de 17 « écobarrières » pour retenir les déchets en amont et la mise en service d’« écobarques », qui ramassent jusqu’à 40 tonnes par mois de détritus flottants — un travail un peu dérisoire lorsque certaines études estiment que 90 tonnes de résidus solides sont jetées par jour dans la nature. Le secrétaire à l’Environnement de l’État de Rio de Janeiro, André Corrêa, lors d’une conférence de presse, le 20 juillet, a pourtant essayé maladroitement de rassurer. « Je suis très optimiste sur le fait que nous aurons des épreuves de voile “convenables”, même s’il existe un risque d’avoir un problème. » Les autorités ont également promis que la qualité des eaux serait testée tous les jours durant les compétitions.
La question de la dépollution n’est pas nouvelle, elle existe depuis plus de 20 ans, bien avant l’attribution des Jeux olympiques. Dans les années 1990, le gouvernement de Rio de Janeiro avait lancé un programme, qui a déjà coûté 10 milliards de réais (environ 3 milliards d’euros), pour un résultat très partagé. Il estime aujourd’hui qu’il en faudrait au moins le double pour arriver à un résultat satisfaisant, et cela pas avant 20 à 25 années d’efforts. Or, l’État de Rio de Janeiro est aujourd’hui en faillite, à tel point qu’il a dû déclarer, il y a quelques semaines, l’« état de calamité publique ».
« Aujourd’hui, les rivières et les mangroves sont mortes »
Pour de nombreux spécialistes, l’échec d’une dépollution complète pour les J.O.était prévisible — mais pas inévitable. L’objectif des organisateurs de traiter 80 % des égoûts des 15 municipalités riveraines était ambitieux, lorsque l’on sait qu’en 2007, à l’époque de la candidature de la ville, seuls 11 % des eaux usées étaient traitées. Mais, d’après le journaliste Emanuel Alencar, auteur du livre La baie de Guanabara, négligence et résistance [non disponible en français] la mise en œuvre technique a souffert de nombreux retards, de manque de transparence et d’accompagnement des organes de contrôle, tel que le ministère public et les agences environnementales. « Certaines erreurs ne devraient plus être commises tant d’années après le début du programme de dépollution. Et pourtant, elles continuent d’être faites », souligne le journaliste brésilien.
Ainsi quatre grandes stations d’épuration ont bien été construites durant la mise en place du programme pluriannuel, mais elles fonctionnent aujourd’hui bien en dessous de leur capacité. Le professeur Paulo Canedo, spécialiste en ressources hydriques de l’université de Rio de Janeiro, explique que le réseau de collecte, lui, n’a tout simplement pas été construit. « Il n’y a pas assez d’égouts qui arrivent, les stations ne peuvent donc pas remplir leur mission. » Pourtant, de l’autre côté de la baie, la ville de Niteroi, elle, a réussi à atteindre un objectif de 95 % de traitement des eaux usées, alors que Rio atteint difficilement les 50 %. Certes, la municipalité est presque dix fois plus petite que sa jumelle, mais d’après une enquête d’Associated Press, une étroite collaboration et surveillance entre la mairie et la société qui s’occupe des eaux de la ville a permis ce résultat encourageant.
La ville organisatrice s’était pourtant engagée avec le Comité olympique à remplir plusieurs objectifs environnementaux. Pour le biologiste Mario Moscatelli, qui lutte depuis 20 ans pour la préservation des écosystèmes aquatiques de Rio de Janeiro, « les Jeux étaient une occasion formidable de faire quelque chose. Les autorités brésiliennes ont promis beaucoup pour pouvoir gagner les Jeux. Mais aujourd’hui, les rivières et les mangroves sont mortes. » Outre la baie de Guanabara, deux autres lieux de compétition, les lacs de Jacarepagua et de Rodrigo de Freitas, n’ont pas respecté les objectifs de dépollution, et resteront interdits à la baignade. La replantation de 24 millions d’arbres qui devait permettre une compensation carbone de l’événement est également en dessous des promesses faites.
Notes
[1] Rio de Janeiro et sa baie de Guanabara sont reconnus depuis 2012 par l’ONU, comme « paysage culturel » du patrimoine mondial de l’humanité.
[2] Une étude de l’Institut de santé et de développement durable (Instituto Saúde e Sustentabilidade) démontrait en 2012 que la pollution atmosphérique des communes de la zone nord de Rio dépassait les limites maximum imposées par l’Organisation mondiale de la santé et que les infections respiratoires et bactériennes auraient causé près de 36.000 morts en sept ans dans toute la région, soit 14 morts par jour.