Au Québec, la classe capitaliste unanime derrière le tournant pétrolier.
Les organisations patronales décrivent souvent la transition énergétique comme relevant du discours vertueux, mais ne pouvant en rien déterminer les décisions économiques réalistes et profitables. Que ce soit le Conseil du patronat, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendance, l’Association des manufacturiers et exportateurs ou la Fédération des Chambres de commerce, tout le patronat est unanime pour la construction des pipelines, l’utilisation systématique des voies ferrées et maritimes afin de permettre au pétrole extrême de l’Ouest canadien d’avoir accès au marché mondial. Ces mêmes organisations patronales soutiennent également le développement de l’exploitation pétrolière au Québec que ce soit à Anticosti, en Gaspésie ou dans le golfe St-Laurent lui-même. La Caisse de dépôt et de placement investit d’ailleurs des fonds importants dans l’exploitation du pétrole tiré de l’exploitation des sables bitumineux.
La bataille politique politique des affairistes ne vise pas à créer les conditions d’une quelconque transition énergétique, mais bien à affaiblir la réglementation environnementale qui pourrait ralentir les investissements majeurs dans l’exploitation et le transport des hydrocarbures. Le lobby des pipelines est plus que jamais actif à Québec. Son objectif, c’est de faire soutenir par les politiciens le transport du pétrole de l’Ouest canadien en sol québécois et d’obtenir tous les permis de déboisement, de traversée des cours d’eau, de passage sur les territoires agricoles et dans les zones humides qu’implique la construction de pipelines.
Dans une rencontre avec des ministres du gouvernement Couillard, tenue le 6 juin dernier, les organisations patronales ont déclaré après la rencontre que « le gouvernement et les entrepreneurs sont bien alignés sur les mêmes priorités. »
Le gouvernement Couillard, la phrase verte pour couvrir une politique favorisant les hydrocarbures
Le premier ministre Couillard tente de se présenter comme un vert. Il aurait connu une illumination à la conférence de Paris (COP21). Il s’est fendu en tergiversations sur l’exploitation du pétrole à Anticosti. Il a établi des cibles de réduction des émissions de GES plus ambitieuses [2] que ceux des gouvernements canadiens. Mais dans les faits, ce gouvernement mène des politiques qui encouragent fortement les émissions de GES.
Le projet de loi 106 sur la politique énergétique [3] montre clairement où crèche ce gouvernement. Les conclusions de son analyse sont claires : les entreprises sont appelées à s’autoréguler – on a vu les résultats désastreux de cette politique à Lac-Mégantic, le parlement est exproprié de ses responsabilités et l’encadrement de l’exploitation des hydrocarbures est confié directement à l’exécutif. Les municipalités, qui, on le sait, s’étaient montrées plus réticentes à la construction de pipelines et au transport du pétrole extrême voient réduites leur pouvoir de réglementation et perdent des droits sur la gestion de l’eau de leur territoire. Les pétrolières et les gazières reçoivent un droit d’accès qui fait fi de la présence de résidents sur ce territoire. En fait, le projet de loi envisage les raccordements d’infrastructures de transport d’hydrocarbures permettant un véritable quadrillage du territoire québécois. Le gouvernement Couillard ouvre la porte à la fracturation hydraulique et à l’exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent. Satisfaite, l’Association pétrolière et gazière du Québec a salué ce projet de loi comme une progression vers les énergies renouvelables. Cherchez l’erreur.
Le gouvernement Couillard n’est pas seulement un gouvernement ouvert au passage du pétrole de l’Alberta sur le territoire du Québec, il n’est pas seulement ouvert à l’exploitation pétrolière et gazière dans la vallée du Saint-Laurent et dans le Golfe, il se fait également le promoteur du gaz naturel liquéfié comme énergie propre au mépris de toutes les analyses scientifiques qui rejettent cette prétention. Les écologistes indiquent que le gouvernement Couillard est même pris d’une véritable frénésie gazière et qu’il subventionne cinq usines de gaz naturel liquéfié. Ces usines seraient tournées vers l’exportation en Europe profitant du boom des gaz de schiste nord-américains pour briser la dépendance envers le pétrole russe. Une partie de cette production est appelée à servir de sources d’énergie aux entreprises s’installant dans le Grand Nord dans le cadre du Plan nord, en lieu et place du développement de sources d’énergies propres qui pourraient y être développées. Les accointances de ce gouvernement avec les entreprises gazières et pétrolières ne sont plus à démontrer.
La Coalition Avenir Québec ajoute l’arrogance à l’aveuglement volontaire
La CAQ est un parti qui défend inconditionnellement le projet de TransCanada. Il refuse la fausse rhétorique de Couillard. Ce parti prétend pour s’en désoler que cela peut nuire aux investissements des pétrolières au Québec. Il a fait son beurre parlementaire des tergiversations de Couillard sur l’exploitation pétrolière à Anticosti. En fait, son rôle à ce niveau n’est que celui de la mouche du coche du gouvernement du Québec dont l’orientation actuelle lui aurait été chapardée.
Le Parti québécois, un gouvernement comme les autres, un parti sous tension
La prise du pouvoir par le Parti québécois avait permis de beaucoup espérer. Le programme du parti donnait une large place au tournant vers les énergies renouvelables. Des écologistes occupaient même des ministères stratégiques pour l’environnement. Mais les politiques du gouvernement Marois ont été verticalistes, antidémocratiques et pro-pétrolières. Le gouvernement Marois s’est montré ouvert au tournant pétrolier canadien. Pauline Marois a rencontré ses pairs d’Alberta et du Nouveau-Brunswick et leur a offert sa collaboration. Et elle a soutenu le tournant vers l’exploitation pétrolière et son gouvernement a même soutenu financièrement l’exploration pétrolière à Anticosti. Cette politique a sans doute contribué à la défaite de ce gouvernement Marois et a nourri le parti des abstentionnistes aux élections. Dans une première course à la chefferie, suite à la démission de Pauline Marois, le candidat favori, Pierre-Karl Péladeau, a refusé de prendre position sur le projet Énergie Est de TransCanada. Sa prise de position ultérieure contre ce projet a eu une crédibilité pour le moins mitigée ; beaucoup s’attendant à un nouveau revirement advenant le retour du PQ au pouvoir.
Après la démission de Pierre-Karl Péladeau, 4 des 5 candidat-e-s, s’opposent à Énergie Est. Seul Jean-François Lisée refuse de se prononcer contre l’exploitation à Anticosti. Mais, en fait, ils gardent le profil bas sur la question. Que feront-ils face au projet de loi 106 s’interrogent les écologistes ? En fait, il faut comprendre que ce parti est sous tension : une grande partie de ses effectifs et de sa base électorale rejettent tant le passage de l’oléoduc de TransCanada que l’exploitation pétrolière dans le golfe Saint-Laurent. Mais les député-e-s et ministrables connaissent très bien la position unanime du patronat et il est inconcevable, pour un tel personnel politique, d’envisager de confronter le patronat à cet égard. Ce parti n’est pas un parti de l’alternative politique, mais un parti de l’alternance qui a comme seul horizon la relance de l’économie capitaliste et a besoin pour ce faire, de la collaboration de la classe des entrepreneurs. Tant que le pouvoir reste hors de portée de main, le PQ peut se payer des manœuvres de récupération des sensibilités environnementalistes, mais pas question de créer des obstacles sérieux à un éventuel retour à la gestion d’un gouvernement provincial. Pour ce qui est de la souveraineté, en ce domaine également, cette dernière est repoussée par la majorité des candidat-e-s à la chefferie comme une dangereuse tentation et un objectif qu’ils considèrent maintenant que difficilement atteignable.
Martine Ouellet, dans ce contexte fait figure d’exception. Son plan de développement économique [4] vise la réduction des émissions de GES, et c’est un document chiffré qui vise l’efficacité énergétique par le verdissement du parc immobilier, commercial, institutionnel et résidentiel, la transformation du secteur des transports vers la filière des composants électriques, la modernisation des usines québécoises pour les rendre moins polluantes. Des cibles précises de création d’emplois verts sont aussi identifiées. Elle lie également ce plan à une démarche indépendantiste.
Mais en fait, elle se refuse également de poser le problème du financement de ce projet. La position actuelle du capital financier au Québec y compris la Caisse de dépôt et de placement devra être radicalement remise en question pour permettre une véritable appropriation sociale des infrastructures énergétiques en complétant le processus de nationalisation par un contrôle citoyen. En fait, le plan en reste à une dénégation complète de la confrontation avec la classe dominante qu’un tel plan implique.
Selon les sondages, Martine Ouellet s’achemine vers une autre défaite. Que fera-t-elle de sa défaite ? Se contentera-t-elle de se ranger derrière le gagnant comme elle l’a fait avec PKP et de mener des combats d’arrière-garde sans avenir, ou reconnaîtra-t-elle la nécessité de rompre avec un parti, qui, en refusant de confronter les projets de la classe dominante, sera appelé à renier ses promesses les unes après les autres comme les partis réformistes le font systématiquement dans cette conjoncture. On verra.
Québec solidaire, la rupture avec l’oligarchie pétrolière est pleinement assumée
Québec solidaire a clairement rejeté le projet de TransCanada dès le début. Plus, il a élaboré un projet de sortie du pétrole qu’il a présenté devant l’électorat durant les deux dernières élections générales. Il a fixé des cibles de diminution des émissions de GES (40% d’ici 2020 par rapport à 1990 et 95% d’ici 2050). Il a posé cette sortie dans le cadre de campagnes d’économies d’énergie, et de transformation de la structure des transports. Son congrès, en juin dernier, a réaffirmé ses positions et a rejeté les propositions visant à utiliser les mécanismes du marché (comme la bourse du carbone) pour la réduction des émissions de GES et les fausses techniques comme les agrocarburants, le stockage du carbone et les illusions de la géoingénérie.
Québec solidaire dénonce la négation du droit à l’autodétermination du Québec sur l’utilisation de son territoire en matière énergétique que constituent les prétentions du gouvernement fédéral de décider au mépris de l’opinion du peuple québécois sur cette question.
Au-delà de la croyance à la concertation sociale et du lobbying militant, le point de vue écosocialiste
Le mémoire de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec [5], affirme : « Étant donné que la lutte aux changements climatiques requiert des transformations majeures de l’économie québécoise, c’est l’ensemble de la société qui doit être mobilisée autour de cet important projet. Puisque les travailleurs et les travailleuses seront les premiers touchés par cette restructuration, il est fondamental qu’ils prennent part à toute démarche visant à réduire les émissions de GES. » [6]. Malheureusement la seule perspective de mobilisation sociale déduite de ce constat se réduit à la demande de la nomination de représentants des travailleurs et travailleuses au Comité-conseil des changements climatiques du gouvernement. Cette perspective de concertation occulte les conflits de classe qui seront au centre des transformations majeures visées pour faire face aux changements climatiques.
Comme l’écrit Daniel Tanuro : « Face au capitalisme en crise et au problème climatique, il est illusoire d’espérer vaincre le chômage par un compromis avec la « croissance ». C’est au contraire dans la remise en cause radicale du productivisme – donc du capitalisme – que réside la seule stratégie cohérente pour concilier le social et l’écologique. Il s’agit de sortir du cadre, sur quatre axes en particulier : la collaboration avec les paysans contre l’agrobusiness et la grande distribution, l’expropriation du secteur financier (très enchevêtré au secteur énergétique), le développement du secteur public (transports en commun, isolation des bâtiments, soins aux écosystèmes…), et la réduction radicale du temps de travail (la demi-journée de travail), sans perte de salaire, avec embauche compensatoire et diminution des cadences. » [7]
La bataille pour les changements climatiques nécessitera de s’appuyer sur l’action de masse des organisations syndicales, populaires, féministes et autochtones afin de bloquer la construction des infrastructures permettant l’exploitation et le transport des hydrocarbures. C’est déjà une bataille pancanadienne impliquant la mobilisation de ces organisations à l’échelle du pays, tout en respectant les dimensions nationales de cette mobilisation, particulièrement le rôle stratégique que peut jouer les nations autochtones et québécoise autour de cette question. Se contenter du lobbying militant et offrir sa collaboration aux gouvernements voués à la défense de ce système capitaliste pollueur, c’est rester en deçà des nécessités de ce combat vital.