Édition du 17 décembre 2024

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Sports

Les Jeux olympiques n'ont pas eu lieu

Décortiquant la Charte olympique et les documents liants le Comité international olympique à ses partenaires, Marc Perelman décrypte ce qui s’avère être une idéologie autoritaire et plus soucieuse de profits que d’écologie, de santé publique, de respect des territoires, d’éducation, malgré des promesses vertueuses. Il analyse « le coeur du projet olympique et de ses valeurs, ainsi que les conséquences sociopolitiques sur nos territoires et dans nos vies ».

Non seulement les Jeux olympiques et paralympiques prévus à Paris en 2024 occupent d’ores et déjà une partie de l’actualité mais aussi le « terrain » avec pas moins de 7000 points de travaux en cours dans la capitale et la Seine-Saint-Denis, pour le plus vaste et le plus long chantier depuis Hausmann. Marc Perelman consacre un long chapitre à la confiscation mémorielle opportunément réalisée par la concordance décidée entre la date de l’ouverture des jeux et celle de la fin de la restauration de Notre-Dame de Paris. C’est toute la ville qui sera ainsi « durablement colonisée par l’olympisme » puisque cette « olympisation » (le terme est de Coubertin) s’étendra à d’autres monuments : compétitions d’équitation au château de Versailles, d’escrime au Grand Palais, de beach-volley près de la Tour Eiffel, de vélo sur les Champs Élysée, de tir à l’arc aux Invalides, de triathlon au Trocadéro, de nage libre dans la Seine,… La rénovation de l’île de la Cité préconise sa « mise en tourisme » pour la rendre « conforme à l’urbanisme de la capitale du XXIe siècle » c’est-à-dire en transformant « l’actuel piéton en superconsommateur ».

Le Dossier de candidature de Paris 2024 ne s’embarrasse pas d’euphémismes. Il s’engage « à réduire tout risque potentiel de perception négative des Jeux » ! Les quelques opposants politiques ne remettent jamais en question l’idéologie des Jeux, ni n’analysent « les JO comme une institution intégrée à l’ordre capitaliste, structurellement liée à la compétition qui en est la seule matrice ». Les Insoumis se contentent de dénoncer le mercantilisme et les écologistes parisiens proposent d’organiser des Jeux écolos. L’auteur s’attarde peu sur le budget annoncé, fixé à 6,8 milliards. Même s’il rappelle que ceux des Jeux précédents dépassaient en moyenne de 179% les prévisions. Il s’intéresse surtout à « la façon dont les JO parviennent à faire partager l’idéologie de la compétition des uns contre les autres au nom du bonheur d’être ensemble, de la citoyenneté partagée, de la santé, de l’éducation, de la culture pour tous, etc. » « Dans le sport, personne ne conteste la compétition, qui en est aussi le moteur et reste surtout son “point aveugle“. Et pourtant le sport de compétition ne ressemble en rien au jeu ou à l’activité ludique, qui eux font appel à la liberté de se mouvoir quand on veut et où on veut, à la gratuité, à la non discrimination entre les sexes, à l’accueil de corps différents, à l’indifférence quant aux résultats, aux refus de la performance, du record et de la prouesse, au rapport libre, organique et plastique avec une nature non artificialisée. » « Les JO fabriquent un monde à l’image d’une immense compétition. Ils fabriquent ou plutôt redoublent le monde de la compétition économique capitaliste par une compétition, pour le coup, musculaire entre les individus censés représenter leurs nations (il est pourtant précisé dans la Charte olympique que les compétitions se déroulent entre athlètes ou entre équipes, et non entre nations). »

La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), créée en février 2017, s’est engagée à ce que les nouvelles constructions protègent et développent la biodiversité, atténuent le réchauffement climatique. Marc Perelman, architecte de formation, y voit surtout une « architecture sans âme, (…) subordonnée à l’urbanisme actualisé du greenwashing » et une smart city dont la consommation d’énergie ne sera certainement pas en baisse. Les organisateurs ne parlent que des « 100% de spectateurs se déplaçant en transports en commun », sans tenir compte des moyens utilisés pour rejoindre la capitale. Il est également permis de douter des promesses de « zéro imperméabilisation » des sols, de « 100% de l’alimentation » en filière locale (avec Coca Cola comme partenaire officiel !).

La lecture du contrat liant la ville hôte au CIO est affligeante : la ville est responsable de tout tandis que le CIO empoche des royalties, y compris sur l’utilisation des symboles olympiques, sans être jamais redevable d’impôts directs ou indirects. Aucun autre événement ne peut avoir lieu, avant ou après les Jeux, sans l’accord préalable du CIO. Le projet de loi relatif à l’organisation des Jeux a été voté en mars 2018 et se présente comme « l’ultime ordre de soumission aux oukases du CIO ». Article 10 : « les constructions, installations et aménagements directement liés à la préparation, à l’organisation ou au déroulement des Jeux olympiques et paralympiques 2024 et ayant un caractère temporaire constituent des réalisations dispensées de toute formalité au titre du code de l’urbanisme ».

La Charte olympique, véritable « codification de l’olympisme », défend une « philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels », dans le complet déni d’un olympisme « entaché de tant et tant de méfaits, de forfaitures, de mensonges réguliers, de dissimulations, de ruses, de mascarades, quand ce ne sont pas prévarications, concussions et malversations ». Quand elle évoque le « sport », elle ne parle que de compétition, « c’est-à-dire d’une activité codifiée, institutionnalisée, développant sa propre logique avec ses records, sa violence partout déployée », l’inverse du jeu, « une activité désintéressée, sans but lucratif, ludique, libre ».

Si toute forme de discrimination est proscrite, les JO ont bel et bien renforcé le régime nazi en 1936 et à Mexico, en 1968, quelques jours après le massacre de trois cents étudiants, Tommie Smith et John Carlos ont été exclus pour avoir levé leurs poings gantés de noir en signe de protestation contre le racisme aux États-Unis.

Si la Charte stipule donc bel et bien que les compétitions voient s’affronter des athlètes, « en épreuves individuelles ou par équipes et non entre pays », tout dans leur déroulement, depuis l’ouverture « quasi militaire », les hymnes nationaux, les classements, prouve le contraire.

L’auteur étudie ensuite l’impact des Jeux en Seine-Saint-Denis où la construction du village olympique, par exemple, implique le « déménagement » de vingt-cinq entreprises, d’une école d’ostéopathes, d’un foyer de migrants, d’un lycée professionnel, du réfectoire et de l’internat d’une école d’ingénieurs. Il rappelle le coût exorbitant de l’entretien du Stade de France pour 20 à 30 événements par an, réglé par les habitants, jusqu’à ce que la société d’e-sport Team Vitality (dont l’équipe de jeu vidéo de football Fifa !) ne s’engage comme club résident.

Pierre de Coubertin étant déjà l’objet de nombreuses études, l’auteur nous propose quelques échantillons significatifs de ses déclarations pour découvrir le personnage. Extraits :

« La théorie de l’égalité des droits pour toutes les races conduit à une ligne politique contraire à tout progrès colonial. Sans naturellement s’abaisser à l’esclavage ou même à une forme adoucie de servage, la race supérieure a parfaitement raison de refuser à la race inférieure certains privilèges de la vie civilisée. »
« Ô sport, tu es la Fécondité ! Tu tends par des voies directes et nobles au perfectionnement de la race en détruisant les germes morbides et en redressant les tares qui la menacent dans sa pureté nécessaire. »

Suivent vingt-et-une « thèses », série de réflexions philosophiques ou sociologiques sur les « ressorts structurels du sport », parmi lesquelles nous avons glané quelques bribes pour donner le ton et aussi envie d’en lire plus :

« Intégrée à l’ensemble des institutions que les hommes se sont donnés, et jusque dans l’école, la compétition assigne les individus de leur naissance à leur mort à une société dont la matrice politique est la lutte de tous contre tous. »
« Le sport nait à la fin du XIXe siècle et se déploie en tant que projet politique et idéologique dans un cadre économicopolitique capitaliste structuré par la forme compétitive de l’organisation globale des rapports sociaux. »
« Les manifestations sportives déversent sans interruption des flots de résultats, de statistiques et d’anecdotes qui saturent l’espace comme le temps. “Le sport ne s’arrête jamais“ afin qu’on “oublie la politique“, comme l’énonce la chaîne de télévision quatari BeIN sport ».
« Le dopage, la violence ou encore le racisme (antisémitisme inclus) sont consubstantiels au sport. Ils ne l’altèrent pas ; ils n’en sont pas des excroissances monstrueuses : ils sont la vérité du sport. »
« La critique du sport n’a pas de projet et elle n’est pas un projet puisque son seul objectif est la disparition de son objet : le sport. »

N’en doutons pas, cet ouvrage suscitera de nombreuses réactions. Il a l’immense mérite de pulvériser un discours dominant.

2024 – LES JEUX OLYMPIQUES N’ONT PAS EU LIEU
Marc Perelman
192 pages – 18 euros
Éditions du Détour – Bordeaux – Janvier 2021
editionsdudetour.com/index.php/2024-les-jeux-olympiques-nont-pas-eu-lieu

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Marc Perelman

Marc Perelman est professeur à l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Dernier ouvrage paru : Le Sport barbare, Michalon (disponible en anglais chez Verso).

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