Paru sur le site Europe Solidaire Sans Frontières
Le 5 février 2022
Par Pierre-Antoine Donnet
Mettre en scène l’autorité
La cérémonie d’ouverture a commencé à 20 heures précises (13h à Paris) avec un feu d’artifice tiré au-dessus des 11 600 m2 du « Nid d’Oiseau », stade construit à l’occasion des JO de 2008 à Pékin. Quelques minutes plus tard, des enfants se sont saisis du drapeau chinois qu’ils ont transmis à des représentants des 56 ethnies de Chine, dont plusieurs Ouïghours. Le drapeau a ensuite été réceptionné par des soldats vêtus de leur tenue kaki, qui l’ont porté jusqu’à un mat d’une démarche presque robotique rappelant le fameux pas de l’oie, ce pas cadencé de sinistre mémoire.
Puis, tandis que le drapeau était levé jusqu’au sommet du mat, les spectateurs chinois présents sur les gradins du Nid d’Oiseau, rempli au tiers de ses capacités, ont entonné l’hymne national, La Marche des Volontaires, adopté en 1949, l’année de la fondation de la République populaire de Chine. Dans cet hymne, modifié en 1978, il est notamment dit : « Debout ! Nous ne voulons plus être des esclaves. C’est avec notre chair que nous allons bâtir notre nouvelle muraille. »
« À l’avant-garde de l’esprit olympique »
Jeudi, à la veille de l’ouverture des JO, le chef de l’État chinois n’y était pas allé de main morte. Ces jeux, avait-il dit dans une courte vidéo, seront « fantastiques, extraordinaires et excellents ». Ce vendredi, Xi Jinping a fait le lien avec les olympiades pékinoises quatorze ans auparavant : « Depuis les Jeux de 2008 [dont le slogan était] « Une planète – un rêve » jusqu’aux Jeux [dont le slogan est aujourd’hui] « ensemble pour un avenir partagé » en 2022, la Chine a pris une part active dans le mouvement olympique et a constamment été à l’avant-garde de l’esprit olympique. […] Les Jeux olympiques d’hiver ouvrent leurs portes. Le monde tourne son regard sur la Chine et la Chine est prête. Nous allons faire de notre mieux » pour que ces Jeux soient une réussite, a-t-il ajouté.
Thomas Bach, le président du Comité international olympique (CIO), a alors pris la parole pour tenter de livrer un message de paix. « Dans notre monde fragile, où les conflits et la méfiance augmentent, nous montrons au monde qu’il est possible d’être de redoutables adversaires tout en vivant dans la paix et le respect. La mission des Jeux olympiques est de nous rassembler dans une compétition pacifique, de toujours construire des ponts et ne pas ériger des murs. Cette mission est largement soutenue par la commission générales des Nations Unies. Nous appelons les athlètes olympiques à promouvoir la paix entre les nations. J’en appelle à toutes les autorités politiques du monde entier à respecter la trêve olympique. Donnez une chance à la paix. »
Pékin est la première ville au monde à avoir accueilli à la fois les Jeux d’été et les Jeux d’hiver. Mais ces JO se déroulent aujourd’hui dans un contexte politique lourd qu’illustre un concert de protestations en Occident à propos du viol des droits humains attribué au gouvernement chinois au Tibet et au Xinjiang. Les critiques se sont multipliées ces derniers mois sur le traitement de la minorité turcophone et musulmane des Ouïghours. Des documents sérieux et argumentés, de même que des déclarations de Ouïghours parvenus à l’étranger, laissant peu de doute sur le fait que plus d’un million de femmes et d’hommes de cette ethnie et d’autres minorités du Xinjiang sont détenus dans des camps dans des conditions insupportables. Les parlements de plusieurs pays, dont la France, ont adopté des résolutions dénonçant un « génocide » dans cette région du Nord-Ouest chinois.
Le boycott et les « fantômes du passé »
Les États-Unis d’abord, puis le Japon, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, la Lituanie et plusieurs autres pays ont décidé d’observer un boycott diplomatique de ces jeux. Ils n’ont envoyé aucun représentant officiel à Pékin. Jeudi, l’Inde a annoncé à son tour se joindre à cette liste de ces États. Le gouvernement français a, quant à lui, dépêché sa ministre déléguée aux sports Roxana Maracineanu, mais elle n’a pas assisté à la cérémonie d’ouverture et sera aussi absente de la cérémonie de clôture. Une posture à mi-chemin entre une participation pleine et entière, et un boycott diplomatique. La ministre n’arrivera à Pékin qu’en début de semaine prochaine.
Tomas Bach a régulièrement défendu le choix de Pékin pour ces Jeux d’hiver. Ce jeudi, le président du CIO dénoncé « les nuages de la politisation croissante du sport venus obscurcir l’horizon » durant ces deux dernières années jusqu’à l’ouverture des Jeux hivernaux à Pékin. « Nous avons vu également dans les esprits de certains les fantômes des boycotts passés montrer à nouveau leurs têtes hideuses », a-t-il insisté.
En 1976, 29 pays africains pour la plupart, emmenés par la Tanzanie, avaient boycotté les Jeux olympiques de Montréal pour protester contre la tournée de l’équipe néo-zélandaise de rugby en Afrique du Sud au mépris de l’embargo sportif encouragé par les Nations Unies contre l’apartheid. En 1980, les États-Unis avaient boycotté avec 64 autres pays les olympiades de Moscou en réaction à l’invasion soviétique de l’Afghanistan. En réponse, Moscou avait refusé de participer avec 14 pays aux JO de Los Angeles. « Voici pourquoi nous avons travaillé encore plus dur dans le but de réunir autant de pays que possible autour de ces Jeux, avait récemment souligné Thomas Bach. Aujourd’hui, nous pouvons dire que la Chine est un pays digne d’accueillir ces Jeux d’hiver. Voici pourquoi les Jeux de Pékin 2022 vont être le point de départ de Jeux d’hiver globaux. »
Les retombées économiques de ces jeux pour l’industrie des sports devraient totaliser quelque 150 milliards de dollars dans la prochaine décennie, selon le président du CIO. « De cette croissance considérable, ce sont tous les jeux d’hiver à travers le globe qui vont en bénéficier », a ponctué Thomas Bach.
Les athlètes sous surveillance
Depuis ce samedi 5 février, quelque 3 000 athlètes prennent part aux épreuves des Jeux de Pékin. À la veille de la cérémonie d’ouverture, selon le Washington Post qui cite des militants des droits de l’homme, « des athlètes de nombreux pays qui entendent exprimer leur solidarité avec les victimes des violations des droits humains par le gouvernement chinois [s’étaient] discrètement préparés à snober la cérémonie d’ouverture ».
D’ores et déjà, les autorités chinoises ont mis en garde les athlètes contre toute tentative de prendre la parole pour critiquer le pouvoir chinois pendant les Jeux : ceux qui oseraient le faire seraient immédiatement chassés. « Tout comportement ou discours qui irait à l’encontre de l’esprit olympique et notamment des réglementations et des lois chinoises est passible de certaines sanctions », a prévenu Yang Shu, directeur adjoint du Comité d’organisation des Jeux de Pékin.
Le CIO et les sponsors qui lui sont affiliés ont, eux aussi, enjoint aux athlètes de se tenir à l’écart de toute controverse à caractère politique. Mais boycotter les cérémonies auraient été, selon ces mêmes sources, un moyen d’exprimer leur désaccord sur la politique chinoise au Xinjiang et au Tibet sans pour autant en être exclus.
« Le simple fait de snober les cérémonies est une opportunité pour ces athlètes de manifester leur solidarité et leur compassion avec les Ouïghours, les Tibétains et les Mongols qui sont victimes de violations inimaginables dans les mains du Parti communiste chinois, expliquait Dorjee Tseten, directeur général de l’ONG Students for a Free Tibet (SFT), cité par le quotidien américain. Vous, les athlètes, vous avez une voix qui compte, votre geste de solidarité peut faire la différence. »
Depuis plusieurs mois, des groupes de Tibétains, de Ouïghours et de Hongkongais ont approché les athlètes lors des épreuves de qualification olympiques pour les sensibiliser à cette cause. Puisque boycotter la totalité des Jeux seraient pour ces athlètes un grand sacrifice alors qu’ils se sont entraînés depuis des années, le seul fait de ne pas être présents aux cérémonies d’ouverture et de clôture serait déjà une initiative forte. Vendredi, les délégations de sportifs, dont celle des États-Unis, ont défilé dans le Nid d’Oiseau, avant le moment de l’ouverture officielle des Jeux prononcée par Xi Jinping. Mais il était impossible de savoir si certains d’entre eux manquaient à l’appel.
La délégation de Taïwan, représentée par quatre athlètes, a elle aussi défilé, mais sous un drapeau ne portant pas les couleurs de Taïwan et sous l’appellation « Chinese Taipei ». Soit le seul nom reconnu par le CIO et d’ailleurs imposé par le gouvernement chinois, qui considère l’ancienne Formose comme faisant partie intégrante de la Chine.
De nombreux athlètes redoutent les conséquences pour eux de ne pas prendre part à ces cérémonies. Mais d’autres sont bien conscients du fait que leur présence aux Jeux sera utilisée par la Chine dans sa machine de propagande, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Le département d’État américain a, quant à lui, expliqué aux athlètes les risques pour leur sécurité s’ils s’expriment en public sur les questions d’ordre politique, selon le Washington Post.
Mais pour les Chinois aussi, l’heure n’est pas vraiment à la fête puisqu’aucun billet n’a été vendu en raison des risques sanitaires. « En 2001, nombre de Chinois ont pleuré de joie lorsque le CIO a attribué à Pékin les Jeux de 2008. Vingt ans plus tard, les Jeux d’hiver se déroulent dans une très grande indifférence de la population, tenue à distance des épreuves et des cérémonies même si un « sans faute » de la Chine aux Jeux renforcerait sans aucun doute le nationalisme ambiant », souligne Frédéric Lemaître, correspondant du Monde à Pékin.
Xi Jinping et Vladimir Poutine unis contre l’OTAN et les Etats-Unis
Les Jeux de Pékin seront-ils les « jeux de la honte » ? Nul doute que Pékin parviendra à en retirer un bénéfice sur le plan international. Au total, 21 chefs d’État et de gouvernement étaient présents dans la tribune d’honneur du Nid d’oiseau. À commencer par Vladimir Poutine.
Pour Xi Jinping, le président russe a été vendredi le premier chef d’État à le rencontrer en présentiel depuis le début de la pandémie de Covid-19 apparue à Wuhan à l’automne 2019. Le numéro un chinois ne rate pas une occasion de qualifier le dirigeant russe de « meilleur ami ». Sitôt arrivé à Pékin, vendredi matin, Vladimir Poutine a pris la parole devant les caméras de la CCTV, la chaîne de télévision étatique chinoise, pour vanter les liens de son pays avec la Chine désormais « plus étroits que jamais ».
La Chine et la Russie sont maintenant côte à côte pour faire face à de nombreux défis dans des domaines comme la géopolitique et le développement économique, a expliqué le président russe. « Nos relations bilatérales sont vraiment sans précédent pour ce qui est de l’esprit d’amitié et d’un partenariat stratégique. Les liens entre les deux pays sont devenus un exemple de liens étroits qui facilitent le développement mutuel et aide les autres [pays] à se soutenir mutuellement dan le développement économique. »
Dans une déclaration commune diffusée après leur entretien, les deux présidents se sont déclaré « opposés à tout élargissement futur de l’OTAN » et ont dénoncé « l’influence négative pour la paix et la stabilité dans la région de la stratégie Indo-Pacifique des États-Unis ». Ils se disent en outre « préoccupés » par la création en 2020 de l’alliance militaire AUKUS des États-Unis avec le Royaume-Uni et l’Australie.
Pour ponctuer cette déclaration commune, Xi Jinping a apporté son soutien à une éventuelle invasion russe de l’Ukraine, tandis que Vladimir Poutine a affirmé que l’ancienne Formose fait partie intégrante de la Chine. Samedi, le ministère taïwanais des Affaires étrangères a vivement protesté contre ces déclarations « méprisables ». La Chine « continue de proférer des contrevérités sur le fait que Taïwan est une partie inaliénable de la Chine et son opposition à toute forme d’indépendance de l’île, a indiqué le ministère, cité par Reuters. Non seulement cela renforce le dégoût et la répugnance du peuple de Taïwan face à l’arrogance et l’intimidation du gouvernement chinois, cela montre aussi à tous les pays du monde le visage sinistre de l’agression du régime communiste chinois, son expansionnisme et ses dégâts infligés à la paix. Ceci est une insulte à l’esprit de paix contenu dans la Charte des Jeux Olympiques et ce sera rejeté par le peuple de Taïwan et tenu comme méprisable par les pays démocratiques. »
Les États-Unis aussi ont critiqué ce sommet sino-russe, estimant que le président chinois, plutôt que de tenir des propos incendiaires, aurait dû au contraire s’attacher à inciter son homologue russe à faire baisser la tension autour de l’Ukraine. Bien que la Russie soit devenue plus proche de la Chine ces dernières années, tant Moscou que Taipei maintiennent une représentation diplomatique dans la capitale de l’autre. L’ancien président de Taïwan, Chiang Ching-kuo, le fils du général Chiang Kaï-shek, à l’origine des premières réformes démocratiques à Taïwan, parlait le russe et était marié à une Russe qu’il avait rencontrée dans les années 1930 lorsqu’il travaillait à Moscou.
« Mettre en scène l’autorité absolue de Xi »
Dans la tribune présidentielle de l’élégant stade olympique, Xi Jinping et Vladimir Poutine étaient entourés d’une trentaine de dirigeants, pour l’essentiel des autocrates, dont le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev, qui vient de mater dans le sang une révolte dans les steppes khazaks, ses homologues du Turkménistan et du Kirghizstan, ou encore Mohammed ben Salmane, « MBS », l’implacable prince héritier saoudien.
Les seuls dirigeants de l’Union européenne présents à Pékin, le président polonais Andrzej Duda et son homologue serbe Aleksandar Vucic, ont accompagné Albert de Monaco et le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.
Le pas de deux avec Poutine permet à Xi de camoufler « l’isolement diplomatique croissant de la Chine », selon Wu Qiang, politologue indépendant à Pékin, cité par Le Figaro. « Cette longue liste de participants prouve l’échec de la tactique du boycott fomentée par les États-Unis », a pour sa part estimé le Global Times, quotidien chinois de langue anglaise affilié aux PCC. Elle contraste avec celle de la cérémonie d’ouverture des jeux d’été à Pékin en 2008, où une centaine de dirigeants se pressaient auprès du géant émergent, de George W. Bush à Nicolas Sarkozy, misant sur son intégration au monde. « La cérémonie se résume à un grand rassemblement de leaders autoritaires, ce qui va ternir encore l’image de la Chine », juge Chong Jia Ian, chercheur à la National University of Singapore, cité lui aussi par Le Figaro. « Quatorze ans plus tard, Pékin 2022 entend offrir un précipité d’une nouvelle Chine décomplexée de Xi Jinping, chantre d’une renaissance nationaliste, défiant désormais ouvertement l’ordre international dessiné par les démocraties occidentales, dans un nouveau climat de guerre froide », relève le quotidien français.
Pris en tenaille entre son obsession du « contrôle », et sa volonté d’affirmer la puissance chinoise retrouvée sur la scène mondiale, Xi doit franchir sans accroc cette porte de slalom délicate pour pouvoir poursuivre son règne autoritaire au long cours, en plein bras de fer stratégique avec les États-Unis. « Ils veulent passer le test, et ils ont les moyens d’y arriver. Ce sera aseptisé, et plus contrôlé qu’à Tokyo », souligne le sinologue Jean-Pierre Cabestan, directeur de recherche au CNRS, basé à Hongkong, augurant de l’olympiade la plus contrôlée de l’histoire.
« Il s’agit à la fois d’un enjeu international et de politique intérieure, décrypte Wu Qiang. Les Jeux offrent une scène pour mobiliser le nationalisme au service du Parti, et mettre en scène l’autorité absolue de Xi, en démontrant qu’il est capable d’unir le pays dans l’adversité, malgré les défis épidémiques et internationaux. »
Pierre-Antoine Donnet
P.-S.
• Asialyst. 2022/02/05 :
https://asialyst.com/fr/2022/02/05/jo-jeux-olympiques-hiver-ouverture-xi-jinping-avec-poutine-contre-amerique/
• Ancien journaliste à l’AFP, Pierre-Antoine Donnet est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l’Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié « Le leadership mondial en question, L’affrontement entre la Chine et les États-Unis » aux Éditions de l’Aube. Il est aussi l’auteur de « Tibet mort ou vif », paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Son dernier ouvrage, « Chine, le grand prédateur », est paru en 2021 aux Éditions de l’Aube.
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