Bien sûr, personne ne pouvait croire que Nicolas Sarkozy, en butte à une telle vague de rejet de sa personne et de sa politique, renoncerait à ce qui est sa marque distinctive : le goût de la bataille, usant de toutes les armes et de tous les moyens, même les plus déloyaux. Sa carrière politique s’est bâtie sur quelques recettes simples : dramatiser, hystériser le débat public, vilipender, diviser en déclarant tel ou tel coupable, instaurer un climat de guerre civile.
François Hollande est donc le cœur de cible de la guerre électorale sarkozyste. « Hollande pris en otage par Mélenchon, c’est deux jours pour mettre à bas cinq années d’efforts ; la sanction sera immédiate », promet-il. Un candidat flou ; « pochette-surprise » ; un candidat faible ; un candidat n’ayant rien compris au monde et à l’Europe ; un candidat irresponsable ; un candidat organisant le « matraquage fiscal des familles et des classes moyennes ». Et au bout de cette nouvelle expérience socialiste, « la faillite ». « Dans le passé, un pays faisant faillite, ca n’existait pas… aujourd’hui c’est possible. »
Cet exercice de démolition en règle du candidat socialiste, relayé par les ténors de l’UMP et dans des termes où la morgue et le mépris ne sont jamais loin, a toutes les chances de se révéler contre-productif. En 1981, Valéry Giscard d’Estaing s’était acharné contre François Mitterrand, renforçant ainsi le sentiment d’arrogance que le président sortant suscitait et accélérant sa descente aux enfers. En 1988 au contraire, François Mitterrand s’était bien gardé d’attaquer de front Jacques Chirac, jouant de sa stature de président au-dessus de la mêlée.
Nicolas Sarkozy, qui veut faire écho avec sa Lettre au peuple français à la démarche mitterrandienne (celle de Mitterrand s’appelait Lettre à tous les Français), ne reprend pourtant pas les ingrédients qui ont fait la réélection de 1988. C’est au contraire très exactement l’inverse que le candidat UMP est en train de construire : décrire une France menacée, en conflit et en crise pour demander à en être une fois encore le chef.
C’est cette lettre, plus que l’énoncé de quelques mesures déjà annoncées, déjà engagées pour certaines (le plan de réduction des déficits publics), peu ou mal chiffrées pour d’autres, qui fixe le cadre de cette nouvelle phase de la campagne électorale. C’est une France de la peur, une France des retraités et des Blancs, une France hostile au monde, hostile à l’immigration, et rétive à l’Europe que prétend vouloir défendre Nicolas Sarkozy à quelques jours du premier tour de l’élection.
Ce discours est d’abord d’opportunité tant il correspond à la nécessité de souder les voix venues de la droite et de l’extrême droite au soir du premier tour. Sans réserve de voix, le candidat UMP sait que sa défaite est certaine s’il ne parvient pas à créer un effet de surprise le 22 avril en passant largement le seuil des 30 % et en devançant fortement le candidat socialiste. C’est à cette seule condition qu’il peut espérer redistribuer les cartes pour la campagne de l’entre-deux tours.
Ennemi intérieur
D’où les signaux grossiers adressés à une partie de la droite : le spectre de la faillite et du matraquage fiscal avec le duo Hollande-Mélenchon ; le nouveau cadeau fait aux retraités après l’actualisation des pensions intervenue il y a quelques jours et l’annonce de leur versement au 1er de chaque mois (et non plus au 8) à partir du 1er juillet (c’est d’ailleurs le seul engagement daté de ce programme !). D’où les signaux multiples à destination de l’extrême droite : le gel de la contribution française au budget européen et l’armada de mesures visant à lutter contre l’immigration, l’islam et le « fondamentalisme ».
À cette France crispée et craintive, Nicolas Sarkozy désigne l’autre France, celle de la menace. Dès le début, sa lettre est l’occasion d’instrumentaliser les tragédies de Toulouse et de Montauban pour dessiner les contours du nouvel ennemi intérieur. « Il ne faut pas être naïf. Il y a une idéologie extrémiste qui travaille à la destruction des valeurs occidentales. Nous devons être sans faiblesse à son égard », écrit le candidat UMP.
En plusieurs pages, le message principal est des plus clairs : l’islam et l’immigration apportent le fondamentalisme, la criminalité voire le terrorisme. Jamais sans doute, les amalgames n’auront été autant assumés dans un programme présidentiel du candidat de la droite républicaine. Ni Edouard Balladur, ni Jacques Chirac, ni même le Sarkozy de 2007 ne sont allés aussi loin dans la construction de ce qui est présenté cette fois comme une véritable Cinquième colonne œuvrant à détruire « notre souveraineté ».
À cette France plus seulement assiégée mais désormais comme infiltrée, Nicolas Sarkozy déroule donc un programme qui fait écho à celui du Front national. D’abord en rétablissant une Europe forteresse. « L’Europe ne peut pas être le continent de l’amalgame insipide de toutes les cultures. L’Europe a une identité. Ses racines plongent dans la culture gréco-latine d’abord, judéo-chrétienne ensuite, dans celle des Lumières et du rationalisme enfin », est-il écrit.
Ensuite, en érigeant des frontières dans la tête de chacun (lire également le billet de Carine Fouteau). Cela donne ceci : « Aucun individu, aucune collectivité ne peut vivre sans frontières (…) Un enfant sans frontières est un enfant sans éducation. Une société sans frontières est une société sans respect. » Éloge de valeurs françaises, d’une identité nationale… L’immigration n’est désormais plus un enjeu économique, comme le considérait jusqu’alors la droite classique, Nicolas Sarkozy y voit désormais pour l’Europe et pour la France un défi identitaire et même moral : « La culture des peuples européens et leur demande d’identité doivent aussi être respectées (…) Nous devons mettre un certain nombre de conditions économiques et morales à l’installation sur notre territoire. »
Cet éloge de la frontière constitue de fait le fil conducteur de la Lettre au peuple français puisqu’après l’immigration, cela permet au candidat Sarkozy de faire écho au Front national dans sa dénonciation d’une « Europe passoire » ouverte à tous les vents mauvais de la mondialisation.
« Qui est en fait le candidat de l’extrême droite, est-ce que c’est Le Pen ou est-ce que c’est Sarkozy ? » demandait il y a quelques jours, devant le Parlement européen, l’ancien premier ministre belge – et libéral – Guy Verhofstadt (lire l’article de Ludovic Lamant). Le président candidat a répondu sans ambiguïté aujourd’hui. Peu importe un programme économique à peine suggéré dans cette lettre qui sera distribuée à des millions d’exemplaires. Face aux hordes barbares, c’est la vieille France blanche que le président sortant prétend protéger. Un tel projet, démultiplié dans les jours qui viennent par les responsables de l’UMP, annonce une fin de campagne nauséabonde. Sauf à espérer que ce qui reste de la droite républicaine s’insurge contre les incendiaires xénophobes aujourd’hui à l’œuvre à l’Élysée.