5 septembre 2024 | tiré du site de l’Assemblée nationale
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Introduction
Alors que notre énergie a historiquement été gérée avec une forte dimension publique et démocratique, ce projet de loi semble orienter la gestion des ressources énergétiques vers un modèle privé, dénationalisé et nettement moins transparent, remettant en question les acquis de plusieurs décennies de gestion publique de l’énergie au Québec. Il vient également politiser cette gestion, car si le ministre de l’Économie devient insidieusement responsable des décisions, celles-ci seront prises à courte vue et en accord avec l’orientation politique du gouvernement en place et non pas nécessairement en fonction de la sécurité énergétique, de l’environnement ou de l’intérêt social collectif, détruisant ainsi l’héritage des générations passées.
Dans ce contexte, il est crucial de réexaminer ce projet de loi dans la perspective du bien commun, en veillant à ce que la gestion de l’énergie reste ancrée dans les valeurs de transparence, de participation citoyenne, de préservation de l’environnement et de justice sociale qui ont historiquement guidé le développement énergétique du Québec. Conséquemment, la FTQ recommande le rejet du projet de loi dans sa forme actuelle ainsi que la suspension du processus de consultation, et ce, jusqu’à ce qu’un Plan de Gestion Intégrée des Ressources Énergétiques (PGIRE) soit élaboré, afin de garantir une planification cohérente et durable de la transition énergétique. Le présent mémoire vise donc à offrir une critique constructive du projet de loi 69, à mettre en lumière les risques majeurs qu’il pose pour la survie du filet social québécois, à souligner les incohérences dans l’approche présentée par le gouvernement et à proposer des recommandations substantielles pour une politique énergétique cohérente et durable.
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Les angles abordés
Ce mémoire est structuré en plusieurs sections principales de la façon suivante :
1. Une offensive de centralisation au détriment de l’environnement et de la gouvernance démocratique : Analyse des implications de la centralisation des décisions énergétiques au sein du ministère de l’Économie et réduction du rôle du ministère de l’Environnement.
2. Modifications terminologiques et privatisation des infrastructures énergétiques : Discussion sur les impacts des changements terminologiques proposés dans le projet de loi 69, comme le passage de « consommateur » à « client » et évaluation des risques liés à la privatisation accrue des infrastructures énergétiques.
3. Tarification et sécurité énergétique : Examen des conséquences de la modulation tarifaire résidentielle et de l’incertitude tarifaire après 2026, ainsi que du rôle de la Régie de l’énergie.
4. Enjeux environnementaux : Exploration des impacts environnementaux potentiels et des défis en matière de biodiversité et de changements climatiques.
5. Cohérence dans l’élaboration du PGIRE : Propositions pour l’adoption d’un Plan de Gestion Intégrée des Ressources Énergétiques (PGIRE) avant la mise en œuvre de tout changement législatif et règlementaire.
Une offensive de centralisation au détriment de l’environnement et de la gouvernance démocratique
Le projet de loi 69 est une attaque frontale contre la protection de l’environnement et la transparence démocratique, en centralisant de manière drastique les pouvoirs décisionnels énergétiques au sein du MEIE. Sous prétexte de simplifier la gestion des ressources énergétiques, ce projet de loi marginalise le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) ainsi que celui des Ressources Naturelles et des Forêts (MRNF), concentrant ainsi un pouvoir immense entre les mains d’un seul ministère. Cette manœuvre nous apparaît comme une tentative de museler les voix discordantes (mais nécessaires à la santé démocratique) et de s’assurer que les décisions énergétiques du Québec servent principalement des intérêts économiques étroits, au mépris des impératifs sociaux et environnementaux.
Le MEIE s’arroge désormais le contrôle du PGIRE et l’établissement des cibles énergétiques, reléguant au second plan les considérations environnementales essentielles à la durabilité du Québec (art. 4, PL-69). En donnant carte blanche à un ministère motivé par une logique purement économique, ce projet de loi ouvre la voie à des décisions hâtives, irresponsables et incohérentes dont les conséquences sur la biodiversité, les écosystèmes et le filet social québécois pourraient être dévastatrices pendant plusieurs générations. La mainmise du MEIE sur la gestion des forces hydrauliques de l’État, y compris la perception des redevances (art. 7, 8, PL-69), est un autre exemple criant de cette centralisation dangereuse qui subordonne l’ambition climatique à des intérêts financiers à court terme.
La centralisation des décisions sous l’égide du MEIE constitue, selon la FTQ, une voie directe vers un échec de l’ambition climatique du Québec. En autorisant le ministre de l’Économie à approuver des projets énergétiques sans l’obligation de consulter les autres ministères (art. 4, PL-69), le projet de loi 69 contourne les contre-pouvoirs et vient réduire les règles de gouvernance nécessaires au bon maintien du filet social. Le gouvernement semble prêt à sacrifier les écosystèmes locaux sur l’autel du profit, ignorant les risques graves et irréversibles pour la biodiversité, les habitats naturels et les communautés y vivant.
La FTQ exprime de sérieuses réserves face à cette orientation centralisatrice à l’encontre des principes de transparence et de responsabilité. Le projet de loi 69 met en péril la gouvernance démocratique en limitant les occasions pour les acteurs de la société civile de participer au processus décisionnel. Notons d’ailleurs la modification à l’article 7 de la Loi sur la Régie de l’énergie venant remplacer « 12 régisseurs » par « d’au plus 12 régisseurs » dans sa composition, indiquant clairement un effort de réduction de la capacité de surveillance et d’échange de la Régie. L’article 45, lui, élimine l’obligation pour Hydro-Québec de procéder par appel d’offres pour certains contrats d’approvisionnement en électricité, à moins que le gouvernement n’en décide autrement, restreignant les garanties de transparence et ouvrant la porte à des décisions prises à huis clos, sans véritable consultation publique. Selon la FTQ, cet article doit être révisé pour réintroduire cette exigence, qui est essentielle pour maintenir la transparence et garantir que les contrats énergétiques sont attribués de manière équitable et en conformité avec l’intérêt public.
La FTQ souligne également, l’article 67 du projet de loi qui, une fois de plus, permet au gouvernement de contourner et d’affaiblir les contre-pouvoirs en permettant au ministre de l’Économie d’intervenir directement dans les décisions de la Régie de l’énergie sous prétexte de préoccupations économiques. Ceci nous apparaît comme une tentative flagrante de politisation des processus régulatoires menaçant l’indépendance de cette institution. L’introduction de ce biais politique risque d’affaiblir les critères techniques, scientifiques sociaux et environnementaux au profit de priorités économiques en rendant quasi-obsolète le rôle même de la Régie.
En centralisant ainsi de manière inquiétante les pouvoirs au sein du MEIE, le PL-69 compromet à la fois la protection environnementale et la qualité de la gouvernance démocratique. Il est impératif de réexaminer ce projet sous l’angle de la transparence, de la participation citoyenne, de la transition juste et de la justice environnementale, afin d’éviter des dérives potentielles qui pourraient nuire gravement au bien commun des Québécoises et des Québécois.
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Conclusion
La FTQ réitère sa position ferme contre l’adoption du projet de loi n° 69 dans sa forme actuelle. Le projet de loi, tel que rédigé, présente des risques significatifs pour la gouvernance démocratique des ressources énergétiques et ne tient pas suffisamment compte des impacts environnementaux critiques et des enjeux de gouvernance et de transparence des processus décisionnels qu’il crée. En l’absence d’une vision intégrée pour la gestion des ressources énergétiques, le projet de loi centralise des pouvoirs excessifs au sein du ministère de l’Économie, au détriment d’une approche équilibrée et concertée. Cette façon de procéder chronologiquement incongrue et ne peut qu’exacerber les risques de dérives énergétiques.
La FTQ appelle à la suspension immédiate des travaux parlementaires sur ce projet de loi et demande la mise en place d’un Plan de gestion intégré des ressources énergétiques (PGIRE) avant toute reprise des discussions. Ce plan doit inclure une évaluation exhaustive des impacts environnementaux et économiques, garantir que les décisions énergétiques du Québec soient alignées avec les engagements internationaux en matière de biodiversité et de lutte contre les changements climatiques et assurer un processus décisionnel inclusif qui mettra de l’avant l’expertise des travailleuses et travailleurs ainsi que des nombreux acteurs de la société civile.
La FTQ tient à souligner avec force que la gestion des ressources énergétiques ne peut être laissée au hasard ni soumise à des décisions précipitées. Les choix que nous faisons aujourd’hui définiront l’avenir non seulement de notre économie, mais aussi de notre environnement, de notre qualité de vie, et de notre place sur la scène internationale en tant que chef de file de la transition énergétique juste. Le Québec ne peut se permettre de balayer sous le tapis les préoccupations légitimes soulevées par la société civile, les experts, et les travailleuses et travailleurs qui seront les premiers touchés par les conséquences de ce projet de loi. Ainsi, la FTQ appelle le gouvernement à se hisser à la hauteur des défis de notre époque en exigeant que les décisions prises soient à la mesure de l’histoire que nous souhaitons écrire : celle d’un Québec visionnaire, inclusif, responsable, et engagé envers les générations futures. Il est fondamental que le gouvernement prenne le temps nécessaire pour élaborer un plan nous permettant de naviguer vers un avenir qui soit à la fois ambitieux, créatif et juste.
En conclusion, le moment est venu pour le Québec de démontrer son leadership en empruntant les chemins difficiles, mais nécessaires, afin de garantir un avenir où l’économie, l’ambition climatique et la justice sociale sont indissociables. Il est essentiel que les services d’électricité demeurent publics, avec Hydro-Québec comme responsable des opérations et propriétaire des actifs actuels et futurs. Cette gestion publique est cruciale pour assurer une énergie accessible, équitable et durable, tout en protégeant les intérêts de l’ensemble de la population québécoise. La FTQ se tient prête à collaborer pleinement à cette tâche, tout en restant vigilante et résolue à défendre les intérêts de ses membres et de l’ensemble des Québécoises et Québécois.
Listes des recommandations
Recommandation no 1
La FTQ recommande que le projet de loi 69 soit modifié pour garantir la participation obligatoire à titre d’intervenants, du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) et du ministère des Ressources Naturelles et des Forêts (MRNF) lors des demandes de projet liées aux ressources énergétiques.
Recommandation n o 2
La FTQ recommande que les impacts environnementaux et sociaux soient évalués par des experts indépendants et que ces évaluations soient intégrées dans le processus décisionnel, afin de prévenir les décisions hâtives et irresponsables qui pourraient compromettre la durabilité écologique du Québec.
Recommandation no 3
La FTQ recommande que l’obligation d’appel d’offres pour tous les contrats d’approvisionnement en électricité soit conservée.
Recommandation no 4
La FTQ recommande la mise en place de garanties claires pour l’indépendance de la Régie de l’énergie, et s’oppose fermement à toute ingérence gouvernementale dans ses décisions. L’article 67 doit être modifié pour éliminer la possibilité de politisation des processus régulatoires.
Recommandation no 5
La FTQ recommande que des mesures pour une transition énergétique juste et équitable soient intégrées, en soutenant les travailleuses et travailleurs et les communautés affectées par ces transformations.
Recommandation no 6
La FTQ recommande de maintenir une gestion exclusivement publique des infrastructures énergétiques afin de préserver leur statut de bien commun, crucial pour la collectivité et propose même que le mandat d’Hydro-Québec soit étendu à l’ensemble de la production, du transport et de la distribution électrique quelle qu’en soit la source et que les sources renouvelables soient nationalisées.
Recommandation no 7
La FTQ recommande de renforcer les mécanismes de régulation de la Régie qui assurent une prévisibilité et une stabilité à court et long terme, tout en tenant compte des impacts de l’inflation et des enjeux de vie chère exacerbés depuis la pandémie et réitère le besoin pressant de dépolitiser le mandat de la Régie.
Recommandation no 8
La FTQ recommande de renforcer les mesures environnementales dans le projet de loi 69 en rendant obligatoires les évaluations d’impact pour tous les projets énergétiques d’envergure.
Recommandation no 9
La FTQ recommande d’intégrer des mesures claires et inclusives propres à une transition énergétique juste afin de s’assurer que les décisions économiques respectent nos engagements en matière de biodiversité et de lutte contre les changements climatiques dans un esprit de dialogue social.
Recommandation no 10
La FTQ recommande de mettre en place le PGIRE avant tous changements législatifs ou règlementaires, permettant ainsi de planifier efficacement les besoins énergétiques du Québec, en mettant l’accent sur l’efficacité énergétique et la sobriété énergétique dans une perspective de transition juste avec l’ensemble des acteurs de la société civile, tout en tenant compte des limites planétaires
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