Les questions posées par la FECQ, en plus d’user d’un ton de gestionnaires de coupures et de politiciens bourgeois en herbe en plusieurs endroits, sont, sur le fond, bien plus à droite que les positions de QS. Il y a plusieurs exemples de cela dans le questionnaire, j’en nomme ici quelques-uns. D’abord, aucune mention de la gratuité scolaire, alors que la grève de 2005 a pourtant réussi à relancer le débat au sein de la population étudiante et, dans une certaine mesure, dans la population en général. Ensuite, la FECQ s’interroge quant à la volonté des partis de geler, ou non, les seuls frais afférents qui ne le sont pas au niveau collégial. Mais pourquoi ne pas remettre en question l’existence même de ces frais ?
Vient ensuite la question de l’Aide Financière aux Études. La FECQ ne questionne pas les partis au sujet de revendications historiques du mouvement étudiant québécois concernant l’AFE et l’endettement étudiant. Une question aurait pu confronter les partis en les appelant à se positionner au sujet de mesures concrètes notamment sur l’autonomie des étudiants-es face aux parents dans le calcul de l’aide, sur la conversion des prêts en bourses, etc. L’indexation de l’endettement au coût de la vie est loin d’être satisfaisant.
Un dernier exemple : le "fonds jeunesse capitalisé". L’éducation doit être financée entièrement et directement par l’État, à tous les niveaux. Un fonds capitalisé est une pseudo solution qui joue le jeu de la gestion de coupure néo-libérale et engage le financement de l’éducation post-secondaire sur une pente glissante. J’arrête ici sur le fond des questions. Je comprends bien sûr l’intérêt d’un tel questionnaire. Cela permet de recentrer le débat électoral autour des idées et des programmes des partis. Mais le tout est de voir à partir de quel point de vue nous souhaitons les confronter.
Mais je suis aussi choqué pour une autre raison, peut-être plus fondamentale. Pourquoi PTAG, un groupe de gauche, choisit-il de s’associer à la FECQ ? Cette organisation, depuis plus de quinze ans, est plus une représentante de l’État néo-libérale au sein du mouvement étudiant que l’inverse. Elle a beau jeu d’exiger le gel des frais afférents (frais de toutes autre nature). Elle ne mentionnera pas que ces frais ont été instaurés et que leur augmentation a été laissée à la discrétion des directions collégiales à la suite de négociations auxquelles elle a participé au début des années 2000.
Au lendemain des négociations, la FECQ a crié victoire sur toutes les tribunes. Elle prétendait avoir arraché le retrait de la « taxe à l’échec » (en échange des fameux frais de toute autre nature). « Prétendait », car le retrait de cette taxe fut surtout le fait d’une large mobilisation étudiante lancée et coordonnée par une coalition d’association étudiante indépendante. La FECQ, s’appuyant sur cette mobilisation, s’était alors unilatéralement accordé le droit exclusif d’aller négocier avec le PQ.
De plus, la fédération peut bien vouloir une réforme des programmes de formation technique, un cours sur la citoyenneté, etc. mais ces intentions, bien que louables, appellent la méfiance : que fera-t-elle au moment de négociations concrètes devant mener à de l’implantation de telles mesures visant à réformer les programmes. En 1996, par exemple, lors de la grève étudiante, elle n’a pas hésité à participer à une conférence de presse, avec sa grande sœur la FEUQ, pour proposer des mesures « réalistes » afin de régler les problèmes de financement de l’éducation post-secondaire en remaniant les programmes : fermeture de programmes universitaires, fusion des services des bibliothèques universitaires montréalaises, remise en question des acquis des professeurs, etc.
Enfin, la FECQ peut bien parler de démocratie et exiger une réforme du mode de scrutin, reste qu’elle n’a de leçon à donner à personne sur ces sujets. Elle ne fait à peu près rien pour stimuler une démocratie réelle dans les associations étudiantes de campus (ce serait plutôt le contraire). Elle a aussi refusé d’exiger que les négociations avec le gouvernement incluent la CASSÉÉ lors de la grève de 2005, alors que cette dernière représentait plus de 80 000 des 185 000 étudiants-es en grève illimitée. Lors de ces mêmes négociations, alors qu’elle pouvait profiter d’un rapport de force historique, la FECQ n’a d’ailleurs exigé aucune mesure pour améliorer le système de l’AFE afin de réduire l’endettement étudiant et n’a exigé aucun engagement du ministre au sujet de la privatisation du réseau collégial et de la mise en compétition de ses composantes.
Aujourd’hui elle souhaite faire ces gains en recourant au lobbying et à des chaussures bien cirées. Et c’est précisément pour cette raison qu’elle se limite en fait à ne pouvoir que gérer l’implantation de l’agenda néo-libéral en éducation ; donnant même à cette application un vernis faussement démocratique (concertation, etc.) tout en faisant périodiquement raisonner tambours et trompettes afin de célébrer ses « victoires ».
Je n’arrive donc pas à saisir la raison pour laquelle vous acceptez de vous associer à cette organisation, sans aucune critique apparente de ses positions et de son passé peu reluisant. Est-ce par souci d’union au sein du mouvement étudiant et de la gauche ? Mais alors, autour de quoi, autour de quels principes doit-on réaliser cette union ? Est-ce parce que la FECQ est un acteur central de la "société civile" québécoise ? Si c’est ce que vous croyez, détrompez-vous : elle n’est en rien un mouvement de masse et, de façon générale, la façon dont elle défend les intérêts des étudiants-es tend plutôt à nuire à la formation d’un véritable mouvement de masse démocratique.
Je suis d’autant plus surpris que je ne sens pas de volonté de se rapprocher de l’ASSÉ de la part de PTAG. Mais, je dois bien l’admettre, il se peut que je me trompe. Si, par contre, j’ai raison, l’absence d’une telle volonté est pour le moins dommage. L’ASSÉ est encore relativement jeune et doit continuer sa maturation comme l’a fait avant elle l’ANEEQ. Mais, au lendemain de la grève de 2005, elle est plus forte et plus ouverte que jamais. C’est cette organisation, et non les fédérations, qui forme la gauche étudiante, une gauche combative, démocratique et rompant résolument avec le néo-libéralisme.
J’espère que vous ne verrez pas dans ma lettre une manifestation de sectarisme. Je ne souhaite pas tant défendre une organisation que des principes ; et non pas tant des principes abstraits que des principes liés à la stratégie que je crois être nécessaire à l’union d’une gauche résolument anti-néo-libérale et, éventuellement, socialiste, au sein de QS. Si Henri Massé, après avoir appuyé le PQ et avoir fait la cour au patronat, dans un élan de folie, souhaitait publier un article sur le réseau collégial dans les pages de PTAG, je crois bien qu’il essuierait un refus (ou bien, encore, un tel texte viserait à lancer un débat, plutôt que d’être utilisé comme source d’information en soi).
Ce même refus devrait être présenté à la FECQ, pour les raisons mentionnées ci-haut et pour bien d’autres encore. Ce refus devrait être d’autant plus catégorique – et ce point est pour moi central – que PTAG n’a nullement besoin d’Henri Massé ou des fédérations étudiantes pour produire une analyse critique et intelligente des programmes des partis en matière d’éducation – bien au contraire. Il existe d’autres individus et organisations capables de le faire, et de le faire bien mieux.