À Cancùn, si les négociations sont sorties de l’impasse, c’est au prix de nombreux sacrifices. Les pays riches refusent de réduire leur pollution ? Pas grave, ils pourront la compenser. Mais acheter le droit de polluer si l’on plante ou sauve des forêts est une fausse bonne idée. Voici pourquoi.
En grandissant, un arbre absorbe du dioxyde de carbone, l’un des principaux gaz à effet de serre. C’est pour ça que les entreprises l’adorent : il permet de continuer à polluer tranquillement en « compensant ».
Le système REDD+, en discussion à Cancún, propose de créer des crédits carbone accordés à ceux qui luttent contre la déforestation et plantent des arbres.
Un écran de fumée
Tant que le carbone est stocké sous forme de roche (charbon) ou de liquide (pétrole) dans le sous-sol, il est inerte d’un point de vue climatique. C’est sa libération dans l’atmosphère au moment de la combustion qui est problématique car elle n’est pas réversible : il faudrait des millions d’années pour recréer du charbon ou du pétrole à partir de la décomposition des végétaux (d’où le terme d’énergies fossiles).
Le piège de la compensation carbone, c’est de nous faire croire l’inverse. Il suffirait que les arbres absorbent le carbone émis lors de la combustion du pétrole pour le neutraliser. Mais un arbre n’a une durée de vie que de quelques dizaines ou centaines d’années. Quand l’arbre sera incendié ou que le bois sera décomposé, le carbone stocké sera émis à nouveau dans l’atmosphère. D’un point de vue climatique, l’intérêt est donc quasiment nul.
L’urgence est-elle de regarder pousser des arbres ou de fermer le robinet à pétrole ? Devinez…
Paie-moi ou je rase tout
Ces considérations n’empêchent pas les négociateurs de continuer à confondre compensation et réduction. Mieux, il est désormais question de créer un mécanisme encore plus complexe : la « déforestation évitée » ou, dans le jargon des négociations, « REDD » (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts).
L’ère du chantage écologique est officiellement ouverte : plus vous menacez de sortir les tronçonneuses, plus vous pourrez vendre de crédit carbone si finalement, vous vous engagez à éviter le massacre. Des consultants comme McKinsey ou ONF International se livrent une concurrence acharnée pour aider les pays du Sud à établir des scenarii de déforestation catastrophe.
Le Guyana, qui a aujourd’hui un taux de déforestation quasiment nul, brandit à la tribune des Nations unies une étude montrant qu’il est prêt à raser la quasi-totalité de sa forêt dans les vingt-cinq prochaines années… sauf, bien sûr, si on le paye en achetant ses crédits carbone « déforestation évitée ».
Pour faire accepter ce nouveau mécanisme à l’Inde et à la Chine, qui ne possèdent plus beaucoup de forêt mais plantent massivement, même les monocultures d’arbres à croissance rapide sont éligibles. Mais, à vouloir faire plaisir à tout le monde, le résultat est désastreux : on risque de voir disparaître les forêts naturelles au profit de ces monocultures.
L’Indonésie est en train de magouiller les chiffres et les définitions pour que ses immenses champs de palmiers à huile, plantés à la place de forêts, puissent recevoir des crédits carbone.
Les plus gros pollueurs s’achètent une conscience
Afin d’éviter que les entreprises et les pays développés « compensent » leurs émissions en achetant une parcelle d’arbres ou une promesse de non-déforestation, certains proposent que la compensation carbone soit uniquement volontaire et vienne s’ajouter aux efforts obligatoires de réduction. WWF et GoodPlanet, la fondation de Yann Arthus-Bertrand, proposent à Air France de compenser volontairement ses émissions en finançant un programme de lutte contre la déforestation à Madagascar.
Mais comme on le sait, une entreprise ne fait jamais rien gratuitement (ou très rarement), donc cette compensation volontaire risque de laisser penser qu’il n’y a pas besoin d’une règlementation contraignante.
On voit ainsi, aux Etats-Unis, des entreprises comme General Motors ou American Electrical Power, publiquement opposées à la ratification du protocole de Kyoto par leur pays, se lancer dans un vaste programme d’achat de forêt au Brésil pour compenser leurs émissions. Pas besoin de loi, laissez faire l’autorégulation.
La double peine pour les plus pauvres
Les plus pauvres risquent de subir de plein fouet les changements climatiques et de voir leurs droits restreints par une nouvelle forme de colonialisme climatique. Quand General Motors achète des forêts au Brésil, les populations locales n’ont plus le droit d’y mettre les pieds. Un villageois qui a essayé de couper du bois pour réparer sa maison a passé onze jours en prison.
En Ouganda, autour du Mount Elgon, un groupement d’entreprises énergétiques des Pays-Bas a expulsé des paysans pour planter des arbres à croissance rapide capable de stocker du carbone. Des exemples d’expulsion liée à ce nouveau business du carbone comme ceux-là, on en a recensés plein dans notre rapport « REDD : les réalités noir sur blanc ».
Les plus riches se frottent les mains
Les vautours planent au-dessus de ce nouveau marché. Interpol a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme sur le site Planetark.org :
« Les syndicats du crime organisé surveillent de très près l’émergence des crédits carbone forestiers et y voient une opportunité potentielle de fraude très lucrative. »
En Papouasie-Nouvelle-Guinée, des villageois ont rapporté avoir été menacés par des personnes armées pour signer des documents cédant leurs droits sur leurs forêts, selon une télé australienne.
Au Liberia, les responsables d’une entreprise anglaise, Carbon Harvesting Corporation, ont été interpellés par la police pour tentative de corruption en vue d’obtenir des crédits carbone frauduleux.
Enfin, flairant le bon filon, les banques sont en train de se ruer sur la finance carbone et de créer de nouveaux placements : BNP a, par exemple, investi dans un projet de réduction de la déforestation au Kenya. Après la crise des crédits subprimes toxiques, la crise des crédits carbone bidons ?