Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

La Constitution pourrait bien être la pire menace envers Donald Trump

Qu’il soit condamné ou non, les juristes universitaires et les historiens.nes jugent que les gestes d’insurrection de Donald Trump concordent avec les standards établis par le 14ième Amendement.

John Nichols, The Nation, 4 août 2023,
Traduction, Alexandra Cyr

Donald Trump, est le premier Président à jamais être accusé de 78 chefs criminels dans trois poursuites distinctes. Et le total pourrait facilement augmenter pendant qu’il mène sa campagne présidentielle de 2024. Il se pourrait qu’il soit, même si c’est peu sûr, condamné et emprisonné avant les prochaines élections. La perspective d’un candidat menant sa campagne depuis la prison soulève bien des discussions.

Mais l’ex-Président n’est pas au bout de ses difficultés judiciaires même si pour la plupart, elles ne sont pas un obstacle à ses ambitions politiques. Il est le clairement le meneur pour la nomination au Parti républicain et un sérieux candidat contre le Président Biden, selon les sondages. Des candidats.es condamnés.es et incarcérésé.es ont fait campagne pour la Présidence antérieurement. Les supporters de D. Trump semblent approuver la candidature d’un criminel en 2024, et le candidat présumé se sert de ses fonds de campagne pour payer ses factures légales impressionnantes, convaincu qu’il pourra continuer à payer ses comptes aux dons de ses supporters enthousiastes.

Mais des considérations légales et politiques pourraient contredire son projet. S’il est condamné selon les accusations que le procureur spécial Jack Smith a présenté cette semaine, portant sur ses efforts pour renverser les résultats de l’élection de 2020, ce serait, selon le représentant démocrate du Mississipi, M. Bennie Thompson qui a présidé le Comité spécial de la Chambre sur l’investigation de l’attaque du six janvier contre le Capitole : « une tentative de coup d’État, une tentative effrontée, comme l’a dit un émeutier peu après le 6 janvier, de renverser le gouvernement ». Sa campagne pourrait en souffrir.

Le texte de la Constitution est très clair quant aux conséquences pour les individus qui tentent de renverser le gouvernement. À propos de tels crimes, le troisième article du 14ième amendement stipule : « Nul ne sera sénateur ou un représentant au Congrès ou électeur des Présidents et Vice-Présidents, ni n’occupera aucune charge civile ou militaire du gouvernement des États-Unis ou de l’une quelconque législature des États, qui après avoir prêté serment comme membre du Congrès ou fonctionnaire des États-Unis ou membre d’une législature d’État, ou fonctionnaire exécutif ou judiciaire d’un État de défendre la Constitution des États-Unis, aura pris part à une insurrection ou à une rébellion contre eux, ou donné aide et secours à leurs ennemis. Mais, le Congrès, pourra par un vote aux deux tiers de chaque Chambre, lever cette restriction ». (Traduction provenant d’internet. N.d.t.)

Depuis que M. Smith a déposé ses accusations (contre D. Trump), certains.nes ont tenté avec force de prétendre que parce que l’accusation n’implique pas explicitement la recommandation du Comité sur les événements du 6 janvier (2021), soit que l’ex Président soit accusé d’avoir violé l’article 18 section 2383 du code américain, qui prévoit qu’inciter, assister ou s’engager dans une rébellion ou une insurrection est un crime, l’exclurait d’une accusation en vertu du 14ième amendement de la Constitution. Encore plus tordu, de suggérer que le 14ième amendement ne définit pas spécifiquement les éléments d’une insurrection ou qu’il pourrait être compris raisonnablement que « un fonctionnaire des États-Unis » ne s’appliquerait pas d’emblée à l’accusé D. Trump.

Ces sont des spéculations absurdes. Selon le sens commun, une insurrection, telle que définie dans le dictionnaire et dans les discussions légales, est une action contre le gouvernement en vue de remplacer le dirigeant légitime par un autre prétendant illégitime au pouvoir. C’est exactement ce que D. Trump et ses alliés ont tenté de faire en 2020 après qu’il ait perdu le vote populaire par 7 millions de voies et ait été défait par 306 à 232 voies au Collège électoral. Les accusations du Procureur spécial portent sur les actions visant à suspendre la transition pacifique du pouvoir et à l’installation d’un président illégitime. Si D. Trump est condamné, il est tout-à-fait raisonnable de penser que le contenu du 14ième amendement s’appliquera.

Croire que dans ces circonstances particulières, le 14ième amendement se s’appliquerait pas à l’ex Président est l’idée la plus farfelue qui soit. On peut raisonnablement penser qu’un amendement qui révoque les membres du Congrès, les législateurs.trices , les juges et les membres de l’exécutif en cas d’illégalité, inclut aussi les Présidents dans l’illégalité. Le Président, comme dirigeant de l’exécutif est « le membre de cet exécutif » le plus puissant du pays. Insinuer le contraire c’est se moquer de la Constitution qui est basée sur la prémisse que le Président n’est pas un monarque de droit divin.

Cet amendement a été ajouté à la Constitution après la Guerre civile. Il reconnaissait que les rebelles confédérés qui s’étaient élevés contre le gouvernement légitime du pays pourraient tenter de s’emparer du pouvoir dans la période qui a suivi cette guerre. Qui peut sérieusement croire que le 14ième amendement ne se serait pas appliqué à l’ancien Président John Tyler, qui a littéralement aidé à l’établissement de la Confédération, qui a promu la révolte dans chacun des États qui voulaient poursuivre l’esclavage et qui a brièvement siégé dans la Chambre des représentants de la Confédération s’il avait voulu obtenir un poste dans une agence fédérale ? Ce scénario est aussi incompréhensible que l’idée que Jefferson Davis, ancien sénateur américain et secrétaire à la défense qui a occupé le poste de Président des États confédérés d’Amérique, aurait pu être exempté des sanctions prévues par le 14ième amendement. Contrairement à J. Tyler, il a vécu encore 25 ans après la défaite de la Confédération.

Encore récemment, certains quotidiens ont prétentieusement affirmé qu’il était peu probable que le 14ième amendement s’applique à D. Trump même s’il est condamné pour crime pour avoir tenté de renverser le gouvernement. De fait, le 117ième Congrès qui aurait pu introduire une législation stipulant que D. J. Trump avait violé cet amendement, qui avait le pouvoir dans les deux Chambres, ne l’a pas fait.

Qu’est-ce qui fait que tant de précautions sont prises avec cet amendement ? Pourquoi tant d’élus.es, de juristes et de commentateurs.trices sont tellement enclins.es à restreindre leurs interprétations quant à ses intentions et son application. Cela dépasse l’affaire Trump. Malgré la répétition de : « Personne n’est au-dessus de la loi », ceux et celles qui détiennent le pouvoir acceptent généralement la notion élaborée par Arthur Schlesinger de, « présidence impériale » qui inclut toutes les manœuvres et les privilèges attachés à la royauté. Au mieux, l’idée de « roi pour quatre ans » leur convient généralement. Au pire, c’est la conception que les Présidents quittent la Maison blanche en portant le manteau de l’invulnérabilité.

Mais les analystes honnêtes reconnaissent le libellé de la Constitution pour ce qu’il est et le contexte historique particulier de sa rédaction. Eric Foner, détenteur d’un prix Pulitzer en histoire, a déclaré qu’immédiatement après le six janvier le Congrès aurait pu, avec une majorité simple, invoquer le 14ième amendement et disqualifier l’ex Président. Jamie Raskin, le représentant démocrate du Maryland, professeur de droit constitutionnel, qui a mené les débats pour mettre D. Trump en accusation en 2021, a déclaré qu’il répondait exactement à ce que cet amendement prévoit pour disqualifier quelqu’un.e.

Dans un rapport très complet, publié plus tôt cet été, le groupe de surveillance Citizens for Responsability and Ethics in Washington (CREW), explique que parce que : « l’ex Président a causé une insurrection violente et a presque annulé une élection et brisé notre démocratie, il s’est disqualifié lui-même selon la section 3 du 14ième amendement pour occuper quelque poste que ce soit dans les administrations fédérales et des États dont celui de Président. Donald Trump est l’exemple même de la menace contre la démocratie que les Pères de la nation ont voulu protéger en évinçant tous ceux et celles qui ont failli à leur serment ».

Bien sûr des alliés.es de D.J. Trump n’approuvent pas des interprétations. Ce que permet la poursuite actuelle, c’est d’apporter plus de clarté dans le débat. Si l’ex Président est condamné les personnes qui ont depuis longtemps soutenu qu’il fallait l’obliger à rendre des comptes, seront renforcées. Mais, le problème c’est que les poursuites ne sont pas aussi rapides que le processus électoral. Nous sommes donc devant la possibilité que D. Trump fasse campagne alors qu’il est inculpé plutôt que candidat à la condamnation.

Devons-nous simplement attendre ? Il faut envisager la perspective que les avocats de la défense fassent tout pour allonger les délais au point ou D. Trump puisse être élu en 2024, qu’il nomme un nouvel Attorney général et fasse cesser les poursuites. Mais ce n’est pas certain, selon l’avocat spécialiste de la Constitution, Mtre John Bonifaz, qui a fondé le National Voting Rights Institute et qui est président de Free Speech for People, un groupe national qui a une longue expérience dans l’étude de la responsabilité présidentielle, soutient que les responsables des élections n’ont pas à attendre la condamnation : « Les Secrétaires d’État et les hauts responsables des élections partout au pays vont devoir décider si D. Trump est éligible et donc si son nom peut apparaître sur les bulletins de vote des primaires républicaines pour l’élection de 2024 bien avant quelque condamnation que ce soit. Mais les précédents dans l’histoire législative sont clairs : la section trois de l’amendement statut qu’il n’est pas besoin de condamnation criminelle pour que ses articles s’appliquent. La vaste majorité des ex Confédérés ont été disqualifiés selon la clause de disqualification pour insurrection et pour le crime d’avoir participé à une rébellion. La preuve est largement faite que l’ex Président a incité, mobilisé et facilité l’insurrection du 6 janvier ».

Free Speech for People et Mi Familia Vota Education Fund, ont envoyé, en juillet, des lettres aux Secrétaires de neuf États et à leurs hauts responsables des élections les exhortant de respecter la constitution et d’empêcher que le nom de Donald Trump apparaisse sur les bulletins de vote en 2024.

Dans ces lettres on explique que, outre les qualifications connues, soit : la naissance dans le pays et la citoyenneté, l’âge et la résidence, il est aussi requis de ne pas s’être engagé dans une insurrection contre les États-Unis après avoir prêté serment à la Constitution et que D. Trump ne répond pas à ces critères.

La condamnation de D. Trump pour avoir cherché à renverser les résultats d’une élection qu’il a perdue n’est pas l’enjeu principal pour ce qui est de l’accès à la Présidence. Selon M. Bonifaz, qu’il soit condamné ou non : « les Secrétaires des États et les hauts responsables des élections, doivent faire leur devoir, se soumettre aux exigences de la section 3 du 14ième amendement et retirer le candidat Trump des bulletins de vote. Il est le Jefferson Davis de notre temps ».

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : États-Unis

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...