Hier, j’ai croisé un vieil ami.
Il te connait, j’ai pris de tes nouvelles.
Nous nous sommes croisés dans une faille du temps
À travers le brouillard délétère
De grenades.
De grenades.
Ta vallée était pleine du bruit des balles
Et je n’étais pas en promenade
Tu étais debout, perché sur ton drapeau
Puis tu gisais, là, dans ton étendard
Pour toujours le lys est maculé de sang.
C’est alors que le temps a cessé d’exister.
Je ne savais ni ton nom, ni ton âge, rien,
Mais il fallait sauver ce dormeur du val.
Nous étions plusieurs dans ces gestes suspendus.
Autour de nous des cris, des courses, une foule en déroute
Des balles de plastique, des ambulances refoulées par la police
Des ambulanciers visés par la milice
Le soldat jeune, tête nue, n’avait pas deux trous rouges au côté droit.
Mais ton sang coulait rouge sur la fleur de lys.
Et la charge est venue, on t’a transporté
C’était risqué pour toi, mais il a bien fallu
Vers ambulance, enfin,
Je les ai vus trainer ton corps vers les secours,
Puis le temps est revenu.
Calmement, ils t’ont installé sur la civière,
Pendant que nous étions encore une fois chargés
J’allais et venais portée par la vague
Des cavalcades paniquées et des hurlements de douleur.
J’ai retrouvé mon chemin dans les miasmes de haine lacrymogène.
J’ai croisé une jambe cassée et une demoiselle
Qui tenait ses dents dans ses mains.
Et j’ai marché, marché, sans rien ressentir.
Pour retrouver les miens.
Plus tard, j’ai su que tu vivais
Plus tard, j’ai su que tu vivrais.
Dix ans ont passé, je me demande souvent
Comment vis-tu ?
Tu ignores qui je suis, moi je connais ton nom.
Mais tu demeures pour moi le dormeur
Dont le sang fut versé sur la fleur de lys.
Manon Ann Blanchard
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