Édition du 19 novembre 2024

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Débat sur la question nationale

Congrès Solidaire sur le programme en mai 2016

La Constituante doit être portée par un rapport de forces

Se tiennent ces jours-ci les assemblées générales préparatoires au congrès de Québec solidaire des 27-29 mai prochain portant sur la révision du programme et des statuts. Plusieurs pensent que le débat crucial de ce congrès sera celui sur l’Assemblée constituante dont on propose trois options soit ouvert (statu quo), indépendantiste et tronc commun avec deux volets un indépendantiste et l’autre fédéraliste.

À l’assemblée générale de la circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve, il s’en est fallu de peu que, lors d’un vote indicatif, l’option indépendantiste, pourtant promue par la coordination de la circonscription, soit rejetée en faveur du statu quo. L’argument que l’élection d’un gouvernement indépendantiste mettant en place l’Assemblée constituante garantirait le caractère démocratique de l’option indépendantiste n’a pas fait consensus, tant s’en faut, et avec raison.

D’abord, l’élection d’un gouvernement majoritaire dans le contexte actuel d’un système uninominal à un tour ne nécessite aucunement l’obtention de la majorité des votes. C’est encore plus vrai par rapport à l’électorat total et la contradiction est renforcée par la multiplication des partis. Un gouvernement majoritaire sans majorité, au nom de la stabilité, est d’ailleurs le but explicite de ce système. Le gouvernement Couillard a obtenu la majorité des députés (56%) avec 41.5% des votes valides et 29% de l’électorat inscrit. Par exemple, la majorité parlementaire indépendantiste du parlement de la Catalogne mais sans majorité du vote indépendantiste (48%) sert d’argument de blocage au centralisme espagnol.

Un gouvernement indépendantiste élu majoritairement pourrait-il être dans les cartes ? Étant donné l’appui minoritaire pour le ‘oui’ depuis belle lurette et encore plus pour explicitement l’indépendance, particulièrement sa baisse de popularité dans la jeunesse, cette possibilité est hors d’atteinte dans le rapport de forces actuel. Qui ne se rend pas compte que la peur du référendum garantit l’hégémonie des Libéraux d’où tout ce brasse-camarade pour faire l’unité des partis dit souverainistes qu’ils soient indépendantistes ou autonomistes, de gauche ou de droite. C’est de peine et de misère que le PQ, en 2012, a battu des Libéraux complètement discrédités par la corruption et par la contestation étudiante pour peu après, en 2014, leur re-céder un gouvernement majoritaire suite à une campagne cristallisée par le poing en l’air de PKP.

L’élection majoritaire d’un parti indépendantiste promettant une Assemblée constituante ouverte, soit l’actuel programme Solidaire, pourrait-il être le « piège à homards » permettant la quadrature du cercle ? Une assemblée constituante québécoise n’a de sens que pour un Québec indépendant à moins de s’adapter à la constitution canadienne ou de partir en croisade pan-canadienne pour mouler cette dernière aux volontés québécoises. Faudrait-il alors que le peuple québécois, à moins d’accepter son oppression historique, ronge son frein en attendant de convaincre un Canada pénétré de Quebec bashing, englué dans le pétrole et dans l’industrie automobile et l’esprit façonné par une histoire nationale de conquête des nations non anglophones et de leur intégration-anglicisation... heureusement pas encore aboutie ? Tout un chacun comprendrait que la démarche constitutionnelle initiée par un parti indépendantiste viserait l’indépendance et non pas à faire du sur place. Les fédéralistes purs et durs ajusteraient leur tactique en conséquence...

Le congrès va-t-il se déchirer entre blanc bonnet et bonnet blanc ? (L’option tronc commun est un subterfuge fédéraliste car il suppose un fédéralisme réformable à moins de réduire le tronc commun à des peccadilles.) Ce serait absurde car l’une ou l’autre option conduit dans le mur de la défaite électorale... à moins au préalable de changer le rapport de forces. Bien sûr, on peut aussi faire l’hypothèse machiavélique que la séquence élections-constituante-référendum, avec ses trois votes, ses préliminaires législatifs et sa vaste consultation populaire, reporte à toute fin pratique le référendum final au-delà d’un premier mandat. Ainsi on pourrait conduire les souverainistes en bateau, surtout ces éternels hésitants que sont les autonomistes, tout en rassurant les fédéralistes écœurés des turpitudes des Libéraux. Honni soit qui mal y pense.

Autrement, il faut en revenir au changement préalable du rapport de forces. Suffit-il, pour créer un vent indépendantiste, d’agiter l’étendard de la Constituante ? Un peuple au prise avec les malédictions de l’austérité générée par le libre-échange et ses paradis fiscaux, des hydrocarbures générateurs de crise climatique, et des guerres et de ses réfugiés causées par le nouvel impérialisme néolibéral va-t-il s’enthousiasmer pour de seules paroles ronflantes ? Lors des grands soulèvements en Amérique andine puis dans le monde arabe, la Constituante a certainement été un élément de la mobilisation, son moment institutionnel pourrait-on dire.

Mais le fond de ses soulèvements a toujours été socio-économique et démocratique, une aspiration à des réformes profondes si ce n’est à des changements révolutionnaires. En pratique, leurs Constituantes ont scellé les rapports de force du moment, pas toujours à l’avantage des forces progressistes et toujours à l’avantage d’un capitalisme plus ou moins réformé et restant inscrit dans le marché global. Faut-il s’en surprendre ? Les Constituantes ont historiquement été un outil démocratique privilégié par la (petite)-bourgeoisie et par la bureaucratie, jamais un outil anticapitaliste. C’est donc dire qu’en 2016 la Constituante n’ouvre pas la porte du plein emploi écologique.

C’est donc dire qu’une stratégie indépendantiste à la Solidaire doit se dépêtrer de l’ornière institutionnelle la canalisant dans le mur de la défaite constitutionnelle à moins de faire l’hypothèse d’une implosion du Canada à la soviétique ou à la tchécoslovaque ou à la yougoslave. C’est éviter ce piège que visait ma proposition à l’assemblée générale d’Hochelaga-Maisonneuve... qui est tombée entre deux chaises, la mienne et celle de mon secondeur, un des rares militants du milieu populaire du quartier présent à l’assemblée :

Proposition d’option C pour le point P1 qu’il faut ré-interpréter comme « stratégie d’accès à l’indépendance »

Dans la foulée de la Conférence de Paris sur le climat qui appelle à une hausse maximale de seulement un demi-degré de la température terrestre d’ici 2100 par rapport au niveau actuel et dans celle des ravages de l’austérité néolibérale allant jusqu’à la généralisation de la guerre et des déplacements massifs de population, la tâche prioritaire de tout gouvernement Solidaire sera le plein emploi écologique implanté à la vitesse grand V et tel que détaillé dans un plan « Sortir du pétrole » libéré de la tutelle du capital financier.

Cette tâche prioritaire nécessite la mobilisation de toute l’épargne nationale sous contrôle fédéral, en plus d’une réforme radicale de la fiscalité. S’y ajoute la régie de tout le domaine énergétique et des transports pour casser le mépris des TransCanada et Canadien Pacifique sans compter celle sur la langue. En implantant cette stratégie d’indépendantisme écologique anti-austérité et anti-guerre, en harmonie avec le droit à l’auto-détermination des nations autochtones et inuit, Québec solidaire contribuera à la renaissance d’une mobilisation de libération nationale et d’émancipation sociale renouant avec la la grande mobilisation 1966-1976.

Cette stratégie gagnera la majorité à l’indépendance tout en stimulant une sympathie pan-canadienne et au-delà évitant une rétorsion chauvine diplomatique, financière ou militaire. Ainsi il ira de soi que la Constituante, dont les modalités seront à régler en temps et lieux, sera indépendantiste.

Cette proposition aura eu relativement plus de succès à l’assemblée générale de la région de Montréal où les deux premiers paragraphes, dans une version préliminaire, ont été retenus comme proposition de préambule aux trois options en débat officiel... ce qu’ils ne sont pas vraiment. Peut-être que ces paragraphes parviendront-ils à franchir la barrière du comité de synthèse pour être intégrés au cahier de propositions pour le congrès. Peut-être aussi ma proposition peut-elle inspirer l’une ou l’autre d’entre vous.

Marc Bonhomme, 18 avril 2016

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