On a dit pendant cette campagne que le parti Québécois sous Pauline Marois est plus à gauche que jamais, du moins dans l’histoire récente de cette formation qui se veut social-démocrate.
On oublie de souligner que si cela est vrai, c’est dans un contexte où la gauche qui gouverne n’a jamais été aussi à droite ! Le programme actuel du parti Québécois en matière sociale et économique (j’exclus ici la question nationale et linguistique) n’aurait pas incommodé un Jean Lesage ou un Pierre Elliot Trudeau, voir même un Lester Pearson et un Joe Clark. Il se peut même qu’ils l’auraient trouvé timide en matière d’investissements publics et d’encadrement du secteur privé. Il ne faut pas se leurrer, même avec quelques députés Québec Solidaire à leur trousses, les ministres d’un futur gouvernement PQ ne dérogeront pas du cadre d’économie politique néolibéral mis en place depuis le coup de barre de Lucien Bouchard en 1998.
Déficit zéro, poursuite d’une politique d’ouverture économique par le biais de la ratification de traités de libre échange, politiques industrielles qui favorise le secteur de l’exportation et l’extractivisme, répression salariale, défiscalisation des bénéfices des grandes entreprises et des revenus financiers seront le cadre général de la gouverne économique et fiscale du Parti Québécois. À ce titre le parti québécois n’est pas un parti de la rupture avec le modèle néolibéral, il a plutôt opté historiquement pour une sorte de "gouverne sociale" de la croissance que celui-ci devrait en théorie générer. Mais pourtant il le faudra, à terme, rompre et non pas seulement avec le néolibéralisme, mais plus largement avec une économie capitaliste qui génère des contradictions sociales et écologiques de plus en plus insurmontables.
Plusieurs le reconnaissent, une vaste transition économique s’impose, il faut non seulement sortir du capitalisme mais construire une économie socialisée écologique. Cela est entièrement incompatible avec le cadre d’économie politique - la gouvernance sociale du capitalisme - qui sera celui du Parti Québécois au pouvoir. Le défi pour les solidaires est dès lors non seulement d’agir en opposition de gauche qui ramène le PQ à ses promesses, mais aussi de proposer des politiques qui vont au-delà de la réduction de la pauvreté et pointe vers une telle transition économique, d’être un vecteur d’information et de conscientisation de l’opinion publique sur des questions plus radicales dans leur implications à moyen terme : planification écologique, socialisation de la propriété capitaliste, démocratisation des entreprises, réduction radicale du temps de travail et de l’empreinte écologique de la société.
Les solidaires ont participé au mouvement des casseroles et du printemps avec la même intensité avec laquelle ils se sont lancés dans l’arène électoral cet été. Et les premiers mois du prochain gouvernement, en particulier, son premier budget, seront certainement l’occasion de se mobiliser de nouveau dans la rue, de se retrouver ensemble avec des militants et militantes de tout horizons, avec des citoyens et citoyennes conscientisés, avec des étudiants et étudiantes, à contester bruyamment. En effet, l’onde de choc de la crise de 2008 continue à se faire sentir, elle se présente maintenant sous la forme de puissantes forces stagnationnistes qui affectent surtout les économies européennes, États-Uniennes et commencent aussi à se faire sentir en Chine et ailleurs en Asie.
Pour le moment les réactions des différents gouvernements de ces pays et continents, plutôt que de mitiger les effets de ces forces, les renforceront. En effet, la grande stagnation qui marquera les mois et années à venir implique des économies qui entrent et sortent régulièrement d’un état récessif, des économies connaissant une croissance anémique, marqué par le sous-investissement et la sous-utilisation des capacités dans le secteur privé, un effet dépressif sur les revenus des États, la croissance du chômage et de l’insécurité chez les salariés. La seule réponse à date qui semble concevable de la part de gouvernements de gauche et de droite est l’austérité, un cycle récurrent d’ajustements à la baisse des dépenses publiques qui sont, pour plusieurs économies, la seule source possible de stimuli.
Bref, ce qu’on appel de plus en plus "une trappe de stagnation et d’austérité" où les forces économiques sont amplifiées par les forces politiques et vice versa. Certains voudront célébrer la "décroissance" de fait qui en résulte. Mais celle-ci est largement une décroissance contrainte et chaotique, qui se fait sur le dos des plus vulnérables et des salariés ordinaires, tandis que l’élite réussit à y maintenir les assises de son accumulation. Tout cela demanderait beaucoup plus d’explications (et je vous en promet une bientôt sous la forme d’un livre chez Lux), mais l’essentiel est que ce contexte risque de rattraper rapidement le PQ à mesure que les principaux partenaires économiques du Québec tombent en récession, ou s’enfoncent dans la trappe de stagnation. À ce moment là l’austérité sera au rendez-vous et sera le plus gros défis au projet de gouvernance sociale et environnementale du PQ. Où couper, où restreindre l’accès, quoi vendre, quoi restructurer ? La fuite en avant dans l’exploitation des ressources pétrolières et gazières pour éviter le plein impact de l’austérité risquent d’être trop tentant. C’est là qu’il faudra ressortir dans la rue, pour souligner notre refus de voir la société québécoise s’enfoncer de plus dans les contradictions du modèle actuel, pour partager avec nos concitoyens et concitoyennes notre conviction qu’il est temps de rompre.
Bref, après les urnes, gardons nos casseroles à porter de la main….